Les Palestiniens se méfient de la loi sur la sécurité sociale de l’AP + démission du gouvernement
Le projet de loi de Mahmoud Abbas a catalysé la colère des Palestiniens contre l’Autorité palestinienne ces dernières semaines
Mohammad Ta’amra se lève à l’aube chaque jour pour voir ses enfants partir à l’école avant que lui-même n’aille travailler comme chef dans un restaurant de la ville cisjordanienne de Bethléem.
Après avoir terminé sa journée au restaurant, ce trentenaire se rend à l’hôtel Jacir Palace pour y travailler en tant que serveur pendant huit heures. Lorsqu’il rentre chez lui, il est près de minuit, et sa femme et ses enfants dorment.
Malgré ses deux emplois, Mohammad Ta’amra a du mal à joindre les deux bouts à la fin du mois. «C’est à peine assez pour s’en sortir, mais je fais du mieux que je peux», a-t-il confié à Middle East Eye.
Environ la moitié des 4.000 shekels (environ 950 euros) que Mohammad Ta’amra gagne chaque mois sert à rembourser ses emprunts bancaires et son loyer, l’autre moitié étant destinée à la nourriture et aux articles ménagers, aux couches pour son nouveau-né et aux frais de scolarité pour ses deux enfants.
En tant qu’employé du secteur privé, Mohammad Ta’amra devrait désormais verser 7% de son salaire mensuel pour financer la Société palestinienne de sécurité sociale (SPSS), un nouveau programme de l’Autorité palestinienne (AP).
Adoptée par décret présidentiel en 2016, cette loi controversée sur la sécurité sociale n’a pas encore été appliquée face à une opposition généralisée.
«Presque toutes les personnes que je connais occupent deux, voire trois ou quatre emplois, et nous nous en sortons à peine», a déclaré Ta’amra à MEE pendant une pause. «En Palestine, les salaires sont bas et le coût de la vie élevé», a-t-il déclaré. «Comment pouvons-nous penser à la sécurité sociale alors que nous essayons simplement de mettre de la nourriture sur la table?»
Les griefs de Mohammad Ta’amra concernant la loi sur la sécurité sociale trouvent un écho depuis des mois auprès de nombreux Palestiniens, alors que manifestations et grèves se succèdent en Cisjordanie occupée.
Bien que la loi n’ait pas encore été mise en œuvre en raison des actuelles manifestations et que la plupart des travailleurs ne sachent pas quand ils verront leur salaire diminuer en conséquence, les entreprises palestiniennes comptant plus de 200 employés ont pu commencer à s’inscrire pour devenir membre de la SCSS la semaine dernière.
La loi fixe à 60 ans l’âge national de la retraite pour les hommes et les femmes, âge à partir duquel les travailleurs devraient donc se voir redistribuer leurs contributions sous la forme d’une pension de retraite.
Mohammad Ta’amra a déclaré que l’idée de la retraite le faisait rire et que les employés étaient en grande partie laissés dans l’ignorance quant au fonctionnement du système. «Qui exactement contrôle l’argent? Où va-t-il? Comment est-il géré?», a-t-il demandé. «Le gouvernement n’a répondu à aucune de ces questions. Nous ne savons rien.»
À la suite de manifestations et d’une grève générale la semaine dernière, le responsable palestinien Majed el-Helo, qui supervise le programme de sécurité sociale de l’AP, a déclaré que «des amendements majeurs» avaient été introduits dans la loi pour répondre aux préoccupations de ses détracteurs.
Il a déclaré à l’agence de presse palestinienne Wafa que les prestations de sécurité sociale s’étendraient aux veuves des retraités après leur décès – peu importe la nature du décès – et que l’AP s’efforçait, par le biais du programme, de proposer des prêts à faible taux aux entreprises satisfaisant à certains critères.
Cependant, ces promesses n’ont pas affaibli l’opposition à la loi, ses détracteurs continuant à accuser l’AP de ne pas expliquer correctement le fonctionnement du système. «Le gouvernement ne fait pas assez preuve de transparence et s’il veut que cette loi soit adoptée, il doit y remédier», a déclaré Mahmoud al-Afranji, coordinateur du Conseil des organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme (COPDDH). «En ce moment, ils nous disent négocier des amendements à la loi, mais personne ne sait avec qui ils négocient», a-t-il déclaré.
Al-Afranji milite depuis plus d’une décennie en faveur d’une sécurité sociale en Palestine et de la création d’une société consacrée à sa gestion. «Je travaille depuis quinze ans, mais si je décède demain, ma femme et mes enfants ne toucheront rien, à l’exception de mes indemnités de fin de carrière», a-t-il expliqué à MEE. «Je veux avoir l’esprit tranquille sachant que si quelque chose m’arrivait, ma famille serait protégée.»
Contrairement à Ta’amra, qui souhaite que la loi soit purement et simplement annulée, al-Afranji espère que celle-ci sera promulguée mais seulement à condition que des modifications appropriées y soient apportées.
«En tant que militant des droits de l’homme, je pense que la sécurité sociale est un droit fondamental dont nous devrions tous disposer», a-t-il déclaré. «Nous pouvons constater les avantages des programmes de sécurité sociale dans le monde entier. Mais sous sa forme actuelle, ce programme de sécurité sociale ne fonctionnera pas», a-t-il nuancé.
Il a ajouté qu’il était également essentiel que le fonds de sécurité sociale reste séparé de l’AP et ne soit affilié à aucune institution gouvernementale. «La réalité est simplement que les gens ne font pas confiance au gouvernement.»
Le manque de confiance envers le président palestinien Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne a joué un rôle moteur dans les protestations, durant lesquelles les manifestants ont scandé: «Des voleurs, des voleurs, une bande de voleurs».
L’AP étant incapable de veiller à ce que les entreprises versent un salaire minimum à leurs employés, de nombreux travailleurs palestiniens doutent de sa capacité à collecter la part des cotisations de retraite censée être versée par les employeurs.
Cela, conjugué à la retenue régulière par Israël des fonds de l’Autorité palestinienne issus de l’impôt et aux fréquentes incursions de l’armée israélienne dans les zones contrôlées par l’AP (y compris Ramallah), pousse certains Palestiniens à dire que celle-ci n’est pas suffisamment stable ou puissante pour protéger leur argent.
L’armée israélienne a pénétré à Ramallah, centre administratif de l’AP, à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, parfois en plein jour. Les soldats israéliens ont effectué des descentes dans des magasins et des bureaux palestiniens et confisqué, entre autres, des images de caméras de surveillance.
«S’ils ne peuvent pas protéger notre peuple, comment puis-je leur faire confiance pour protéger mon argent et mon avenir?» a demandé Mohammad Ta’amra.
Dawoud Yousef, un analyste politique basé en Cisjordanie, a déclaré que les descentes de l’armée israélienne avaient brisé «la façade de souveraineté de l’AP sur la bulle qu’est Ramallah. Israël envoie ainsi un message fort: même votre territoire n’est pas réellement vôtre», a-t-il observé.
Selon lui, le fait que les raids israéliens à Ramallah soient concomitants aux manifestations contre la loi sur la sécurité sociale pourrait être catastrophique pour l’Autorité palestinienne.
«Deux messages sont actuellement envoyés aux habitants de toute la Palestine», a-t-il affirmé. «Premièrement, le soutien public envers l’AP est fragile, et deuxièmement, cette dernière ne peut même pas fournir les deux choses les plus importantes pour la population: l’argent et un État palestinien.»
Si les manifestations se transforment en un appel plus large contre le gouvernement palestinien ou Abbas lui-même, l’AP sera obligée de reculer sur son projet de loi, pense Yousef. «La seule légitimité de l’AP repose sur l’argent et, à l’ère Trump, très peu d’aide ou de fonds sont versés sur son compte», a-t-il commenté. «Si ces manifestations devaient prendre leur envol et se développer alors qu’une crise économique est imminente et que, malgré les dires d’Abbas, de prochaines élections sont improbables, cela pourrait être fatal pour l’AP.»
Akram al-Waara -
28.01.19
Source: MEE
Le gouvernement de R. Hamdallah a présenté sa démission à M. Abbas. L’exécutif demeure l’une des manifestations des lourdes dissensions qui existent entre le Fatah et le Hamas en Palestine
Le gouvernement palestinien, basé à Ramallah, a soumis mardi sa démission au président Mahmoud Abbas. Qui, d’après l’agence officielle Wafa, l’a acceptée, alors que règnent en ce moment des dissensions persistantes et délétères entre organisations palestiniennes.
Le cabinet continuera toutefois à «assumer toutes ses responsabilités jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé», a ajouté Wafa, citant un communiqué du conseil des ministres réuni à Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Le Premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, en place depuis 2013, avait déclaré lundi mettre son gouvernement «à la disposition du président» de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas.
Celui-ci, interlocuteur privilégié de la communauté internationale et sans véritable contre-pouvoir au sein de l’AP, aura donc la tâche de former une nouvelle coalition exécutive. Ce qui, selon certains analystes, devrait isoler un peu plus les «rivaux» du Hamas, le parti islamiste au pouvoir à Gaza.
Depuis 2006 et une quasi guerre civile entre le Fatah («épine dorsale» de l’AP) et le Hamas, les deux partis entretiennent des relations extrêmement froides.
A l’époque, la communauté internationale (qui reconnait l’AP comme seul interlocuteur) n’avait pas voulu admettre la victoire du Hamas aux élections législatives (41% des voix contre 36% pour le Fatah).
Les islamistes s’étaient alors emparés de la bande de Gaza (sud d’Israël) en signe de protestation. Et des exactions avaient eu lieu des deux côtés.
Aujourd’hui, le gouvernement palestinien demeure l’une des manifestations des lourdes dissensions qui existent entre les deux «frères ennemis».
«Le Fatah est un mouvement de libération nationale apparu à la fin des années 1950 et devenu la principale force du nationalisme palestinien», indiquait en 2006 Jean-François Legrain, chercheur au CNRS.
«Le Hamas est un mouvement de Frères musulmans qui a pour mot d’ordre principal la prédication active d’une certaine lecture de l’islam.»
Les deux partis peuvent toutefois se retrouver sur certains points. Comme, par exemple, la création d’un Etat palestinien et la fin de la colonisation israélienne. Seul le Fatah accordant à l’Etat hébreu le "droit d’exister".
En novembre 2017, les leaders palestiniens devaient se rencontrer au Caire, qui chapeaute le processus de paix israélo-palestinien, en vue d’un retour du Fatah dans la bande de Gaza. Et d’une pacification des relations entre les deux partis. Ce qui n’a toujours pas eu lieu.
Rédaction de LMA -
30.01.19
Source: Le Monde Arabe