Le faux récit permanent des médias dominants
Comment se fait-il que les médias dominants aux Etats-Unis et dans les autres pays occidentaux présentent la lutte de libération palestinienne comme un ‘conflit’ où ‘les deux côtés’ partagent le blâme, particulièrement parce que les ‘extrémistes’ subvertissent les 'modérés’ ? Pourquoi ces médias soutiennent-ils sans faillir le ‘droit à l’autodéfense’ d’Israël, même face à des manifestations non armées telles que la récente Marche du Grand Retour de Gaza qui, dans certains cas, a opposé des pierres et des cerfs-volants en flammes à un armement moderne ?
Greg Shupak, qui enseigne l’étude des médias à l’université de Guelph-Humber au Canada, étudie l’élaboration de ces récits et autres questions dans son nouveau livre Le récit Erroné : Palestine, Israël et les Médias.
Shupak choisit une approche novatrice. Plutôt que d’examiner les parti-pris dans le compte-rendu des nouvelles, il se concentre sur les éditoriaux du New-York Times dans le but de révéler le soutien idéologique sous-jacent des médias dominants à un Etat étroitement aligné sur les objectifs de la politique étrangère américaine au Moyen- Orient.
Shupak montre que fabriquer les récits révélés dans les éditoriaux repose sur le fait de ne sélectionner que certains aspects de la réalité qui sont alors repris dans le compte-rendu des nouvelles. Ces sélections renforcent les convictions déjà établies et les présupposés culturels.
Une fois ce discours établi, aucun autre aspect de la réalité n’est présenté qui puisse détruire le montage.
Comme le dit Shupak : « En Occident, les récits sur Palestine-Israël font marcher les ‘structures cognitives bien établies’ qui existent dans un plus large contexte culturel qui est colonial, impérialiste, orientaliste ou une combinaison de ces dernières, dans lesquelles Israël est considéré comme un avant-poste de la civilisation occidentale dans la lutte avec les Arabes arriérés et sauvages. »
Obturer le blocus
Les trois constructions que Shupak identifie comme les plus fréquentes dans la présentation des nouvelles dans les médias occidentaux, c’est le discours sur ‘les deux côtés’ ou ‘la fausse équivalence’ ; le discours sur ‘les modérés contre les extrémistes’ ; et le discours sur ‘le droit à l’autodéfense’.
Si on les examine de près comme le fait Shupak, les informations sélectionnées pour soutenir ces montages, favorisent la propagande du gouvernement israélien et dissimulent systématiquement les informations nécessaires pour comprendre le récit palestinien.
Prenez la déclaration habituelle comme quoi « les deux parties » sont à blâmer dans ce conflit. Ce récit « identifie une petite portion de l’injustice faite aux Palestiniens tandis qu’il gonfle proportionnellement le tort fait aux Israéliens », écrit Shupak, « présentant » ainsi « une fausse équivalence entre les droits et les responsabilités des colonisateurs et des colonisés ».
Pour ne donner qu’un exemple, Shupak fait remarquer que, sur cinq éditoriaux du Times rédigés pendant et immédiatement avant les bombardements israéliens et l’invasion terrestre de Gaza en 2008-2009, un seul mentionnait le siège et le blocus du territoire par Israël. La seule façon pour le Times de pouvoir proposer un récit « des deux côtés » était d’omettre le fait qu’un seul côté – Israël – conduisait un siège
Israël n’était pas assiégé par les Palestiniens ; les Palestiniens résistaient au blocus israélien. Les Palestiniens n’avaient aucune possibilité d’imposer un blocus à Israël étant donné l’asymétrie de pouvoir entre les deux côtés.
Et, fait remarquer Shupak, les Palestiniens n’ont jamais non plus occupé militairement Israël ni soumis les Israéliens à la dépossession de leur terre, à des lois discriminatoires, des checkpoints, de la détention administrative, des restrictions à leur liberté d’expression et de réunion, des interdits sur le regroupement familial, des déportations, ou l’interdiction de formes non violentes de résistance.
Ce qui devrait apparaître comme évident quand tous les faits sont sélectionnés, c’est que la relation entre Israéliens et Palestiniens est celle qui existe entre l’oppresseur et l’opprimé. Par conséquent, un seul côté est à blâmer pour le conflit.
Les médias institutionnels ne faillissent pas seulement à raconter les deux côtés de l’histoire ; ils ne racontent en fait qu’un seul côté et, ce faisant, transmettent un récit erroné.
Modérés ?
La critique la plus incisive de Shupak, et de maintes façons, révolutionnaire du récit des médias dominants, apparaît lorsqu’il examine le schéma « modérés contre extrémistes » pour expliquer pourquoi le « conflit » a tellement traîné en longueur.
Dans ce schéma des médias, les extrémistes israéliens sont les colons religieux fanatiques qui ne veulent pas rendre la terre et effectuent des actes de violence, tandis que les Israéliens modérés sont les responsables du gouvernement qui prétendent favoriser une solution à deux Etats, la terre contre la paix.
Le Hamas bien sûr représente les extrémistes palestiniens à cause de son utilisation de la violence. Et l’Autorité Palestinienne représente les modérés qui veulent renoncer à la violence et négocier une solution pacifique avec Israël.
Qu’est-ce qui cloche dans ce scénario ? Parallèlement au fait que des gouvernements successifs soi-disant « modérés » ont créé et agrandi les colonies illégales d’Israël, les « modérés » israéliens ont par ailleurs été de bien plus grands pourvoyeurs de violence que les colons fanatiques, fait remarquer Shupak.
L’armée israélienne a tué des milliers de fois plus de Palestiniens que les colons ne l’ont jamais fait et avec des armes bien plus puissantes que les colons n’en possèdent.
Cependant, les ‘modérés’ palestiniens, sous la forme de l’AP, n’ont pas joué un rôle de résistants, mais se sont plutôt intégrés dans l’appareil de sécurité israélien et la politique économique néolibérale comme faisant partie du processus de paix d’Oslo. Les donateurs internationaux se sont assurés que le planning économique de l’AP soit conforme à cette politique.
Shupak maintient que « l’AP a été depuis le début, au moins partiellement, une voie d’entrée pour les intérêts capitalistes mondiaux, au centre desquels on trouve la classe dirigeante américaine. »
Par conséquent, quand les médias occidentaux présentent l’AP comme étant les Palestiniens ‘modérés’ ils imposent essentiellement un récit erroné dans lequel une clientèle est présentée comme faisant partie d’une éventuelle solution pacifique quand en fait elle fait partie du problème incessant.
On peut aussi trouver le discours du ‘droit à l’autodéfense’ dans les éditoriaux du New-York Times, qui nient essentiellement le droit des Palestiniens à l’autodéfense. La « légitimité de la violence du colonisateur est incontestée », observe Shupak, « tandis que la violence du colonisé est présentée comme illégitime ».
En bref, Israël a le droit d’utiliser la violence pour imposer son blocus sur Gaza, mais les Palestiniens n’ont pas le droit d’utiliser la violence pour résister au siège. Par ailleurs, note-t-il, depuis que l’État d’Israël a agi comme l’agresseur et a initié la violente expulsion de 750.000 Palestiniens en 1948, « l’idée de ‘l’autodéfense israélienne’ est logiquement impossible ».
Le droit à l’autodéfense n’appartient adéquatement qu’aux Palestiniens.
Shupak conclut son étude en observant que la couverture des médias dominants occidentaux n’est pas susceptible de changer jusqu’à ce qu’une « pression massive » sous la forme de l’opinion publique, oblige les pays occidentaux à cesser de soutenir Israël.
La tâche qui consiste à obtenir les « changements nécessaires dans la prise de conscience », écrit-il, appartient aux médias indépendants, ainsi qu’aux gens ordinaires qui informent sur la Palestine « sur les campus, les lieux de travail, dans les communautés religieuses et dans la rue ».
Rod Such -
26.07.18
Source : Agence Medias Palestine