« Mon cœur est à jamais enfermé là-bas »: le calvaire des familles mixtes palestiniennes
Alors que la détention du Franco-Palestinien Salah Hamouri vient d’être prolongée et que son épouse française et leur enfant n’ont toujours pas le droit de fouler le territoire, de nombreuses autres familles mixtes sont déchirées par le harcèlement administratif d’Israël. Témoignage.
Mon arrivée en Palestine en décembre 2004, en pleine Intifada, est due à ma curiosité naturelle, presque maladive, qui n’a eu de cesse de me pousser à m’y rendre. M’y rendre pour voir, rencontrer, ressentir et, dans le meilleur et plus optimiste des cas, comprendre.
Une fois sur place, la vie coule tranquillement, comme ce paradoxe de se retrouver dans des zones dites « de conflits » et ne pas le ressentir, non pas par une quelconque insouciance mais bel et bien par cet état général que l’on y trouve et qui devient nôtre, dans lequel chaque Palestinien vit chaque jour comme une continuité, une suite à laquelle il s’adapte sans se plaindre même si tout le pousserait à le faire.
Très vite, je m’y installe en faisant face à l’administration israélienne. La danse des visas commence pour moi. À l’époque, j’étais seule, célibataire et donc toutes leurs intimidations n’avaient d’impact que sur ma personne et ma famille restée en France. Ma situation change en 2008, dès lors que je me marie puis deviens maman de deux garçons.
Dans tout pays régi par des lois, le regroupement familial prend des formes diverses, mais il est tout de même rare de constater ce que l’on peut voir et vivre de la part d’Israël, un pays pour qui tout semble permis, qui transgresse toutes les lois sans en subir les conséquences.
En effet, lorsque l’on se marie à un Palestinien ou une Palestinienne, le bon sens voudrait que le regroupement familial soit accordé (ou non) par le pays de l’époux/se, dans mon cas, l’État de Palestine. C’est exactement là que le mot d’occupation dévoile l’un de ses visages, non pas le plus noir, mais certainement celui qui peut devenir le cauchemar de toute une vie, la mienne et pas seulement.
Mon regroupement familial est en effet régi par l’administration d’occupation. Ce n’est donc pas le ministère palestinien des Affaires sociales situé à Ramallah qui gère mon dossier car ce dernier n’est qu’un intermédiaire, en d’autres termes un simple levier administratif qui transmet mon dossier à l’occupant.
Je suis donc soumise au bon vouloir des autorités israéliennes, dont les décisions fluctuent au gré de la politique intérieure du pays et d’une feuille de route internationale qui tend à démontrer tant bien que mal « la menace » sous laquelle se trouverait Israël et qui viendrait justifier et normaliser tous ses crimes, entre les emprisonnements d’enfants et d’adolescents, les destructions de maison, l’accaparement de plus en plus de terres palestiniennes, le refus du droit international, etc.
Je suis Française et je m’en remets donc à l’époque aux autorités françaises locales: le consulat de Jérusalem. Mon cas a été connu très tôt. Je donnais, à l’époque, des cours de français à l’Institut français de Jérusalem ainsi qu’au centre culturel français de Ramallah. J’ai pu m’entretenir de mon cas auprès des différents consuls ou ministres venus en visite officielle.
Chacune de ces rencontres m’emplissait d’un espoir fou, j’oubliais presque toutes ces années à vivre enfermée dans une ville que j’ai choisie, Ramallah, mais qui, dans le même temps, me privait de tout mouvement car au premier checkpoint israélien, un retour en France manu militari pouvait être ma destinée… Or je voulais choisir moi-même ce moment, le moment de partir.
Plusieurs officiels m’ont promis de transmettre mon dossier aux autorités israéliennes en charge. Je me souviendrai toujours de cette phrase d’une ancienne ministre: « Je vois le Premier ministre israélien Netanyahu cet après-midi et je ne manquerai pas d’appuyer votre dossier », ou encore de cette parole presque assassine tellement rien n’a jamais abouti: « Une missive a été envoyée du quai d’Orsay aux Israéliens »… et rien!
Cette danse diplomatico-pathétique m’a très vite fait comprendre que je ne pourrais jamais compter sur la capacité de nos autorités à résoudre mon cas. Non pas qu’elles ne le veuillent pas, mais simplement que face à Israël, rares sont ceux qui peuvent/veulent agir.
Dans mon cas, les répercussions sont douloureuses. Je suis maman de deux garçons nés d’un père palestinien. En janvier 2016, après un séjour sans visa de plus de dix ans, je suis obligée de quitter la Palestine avec mes enfants. Israël m’empêche tout simplement de vivre là où je le souhaiterais, là où mes enfants sont nés, là où mon mari veut vivre.
Cette politique d’accorder des visas ou pas, de régulariser ou non les époux/ses, rend votre vie tout simplement impossible. Chaque soir, vous vous couchez en vous demandant si vous ne serez pas réveillée dans la nuit par des soldats venus pour vous chercher et vous mettre dans un avion car, pour Israël, vous êtes « illégale ». Alors que quoi? Je ne veux pas vivre en Israël, mais bel et bien en Palestine!
Comment imposer à vos enfants cet environnement géré par la psychose qui s’installe en vous un peu plus chaque jour et, à l’inverse, comment imposer à vos enfants de quitter leurs pays? D’abandonner leur environnement familial, leur école, leurs premiers copains?
Cet aspect de la politique d’Israël n’a pour but que de vous forcer à quitter le territoire et, ainsi, asseoir un peu plus chaque jour son expansion.
Le portrait que je viens de dresser n’est qu’un seul cas parmi tant d’autres. Je ne suis malheureusement pas la seule. Nous sommes plusieurs femmes françaises contraintes à affronter cette politique administrative d’occupation. Selon que vous soyez marié/e à un Palestinien/ne de Cisjordanie, de Jérusalem ou encore de Gaza, votre traitement administratif, votre légalité et donc votre vie de famille est totalement sous l’emprise de cette grosse machine qu’est Israël et son occupation.
Pour mes compatriotes, les cas diffèrent mais tous mènent au même constat: l’impossibilité de mener une vie familiale « normale ».
Ainsi, deux d’entre nous ont donné naissance à leurs enfants à Jérusalem et se sont vu refuser un acte de naissance par les autorités israéliennes! Comment faire reconnaître son enfant sans cet acte indissociable de toute naissance? Comment comprendre, s’adapter et réagir à cet état de fait?
Restons à Jérusalem, l’une des épouses françaises en question est en situation irrégulière avec ses deux enfants depuis 2015, suite au rejet de sa demande de regroupement familial et au refus des autorités israéliennes d’enregistrer la naissance des enfants. Motif avancé: « Vous habitez du mauvais côté du mur », c’est-à-dire du côté palestinien du mur de séparation construit par Israël. Sans acte de naissance et donc de numéro d’identité local, ses enfants n’ont pas accès à la sécurité sociale ni à toute autre prestation/protection sociale.
Il y a un cas aussi intéressant, celui d’une femme, doctorante d’une université française financée par l’État français mais mariée à un Palestinien de Cisjordanie. Les autorités israéliennes lui ont refusé un visa de travail et ne lui ont accordé qu’un visa « Judée et Samarie », ce qui la prive de facto de toute possibilité de se rendre à Jérusalem et de quitter la Cisjordanie.
Comment assurer un travail doctoral à dimension internationale quand tous nos déplacements doivent se faire par un pays voisin, la Jordanie, triplant le coût et la durée de chaque trajet? Comment accepter d’être séparée de son enfant à chaque passage de frontière parce qu’il est palestinien?
Ou encore, ce cas d’une compatriote mariée à un franco-palestinien victime de l’acharnement d’Israël, qui après avoir passé sept ans en prison avec un dossier qualifié de « vide » par Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, est de nouveau en prison depuis près d’un an sans chef d’inculpation.
Sa femme travaillait alors au Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) du Consulat général de France à Jérusalem et elle s’est vu refuser l’entrée sur le territoire d’Israël alors qu’elle possédait un visa en règle. Elle était enceinte de six mois, ce qui n’a absolument pas empêché les agents de sécurité de l’aéroport de Tel-Aviv de la mettre en cellule pendant trois jours. Depuis 2016, elle ne peut plus rentrer chez elle avec son fils à Jérusalem.
Nous avons aussi le cas d’une Française vivant à Hébron et mère de deux enfants qui est dans l’attente d’un regroupement familial et qui doit quitter le territoire à chaque fin de visa, tous les trois mois, voire plus souvent encore.
Nous pourrions aussi parler de notre compatriote professeure de français dans une université palestinienne qui s’est vu interdire de séjour parce qu’elle travaillait. En effet, lors de son renouvellement de visa, on lui a demandé de démissionner de son emploi si elle voulait rester dans le pays auprès de son mari et de son enfant. Enceinte, elle a dû faire le choix: rester et accoucher en étant illégale dans les territoires palestiniens ou bien quitter le territoire avec l’incertitude de pouvoir revenir.
Comment accepter ces situations dans le silence, l’indifférence? Ou encore attendre que le rythme diplomatique, qui est bien plus lent que nos vies, nous apporte de vraies solutions durables. Nous voyons les équipes changer, nos dossiers passer de mains en mains, sans que nos cas soient totalement entendus et compris. Comment ne pas vouloir nous battre et revendiquer nos droits les plus fondamentaux?
Ces combats ont un coût également économique, car nous devons tous être représentés par des avocats afin de pouvoir peut-être un jour accéder à l’un de nos droits les plus basiques, celui de vivre avec nos époux et nos enfants dans le pays de notre choix. Nos enfants ont le droit fondamental de vivre avec leurs deux parents en Palestine.
Tel est le quotidien de sept femmes françaises mariées à des Palestiniens et leurs onze enfants. Ces exemples peuvent être copiés/collés à toutes les personnes étrangères mariées à des Palestiniens. Une goutte d’eau, certes, dans l’océan de souffrances des Palestiniens. Mais autant de vies abîmées, parfois totalement brisées, dépendantes des autorités d’occupation dans les moindres détails de leur quotidien.
Lucia Cristina Estrada Mota -
12.07.18
Source: MEE