FREE PALESTINE
6 août 2018

"Détruire enfin l'Etat d'Israël"

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Les convictions pro-palestiniennes de Jean-Luc Godard n’ont cessé d’accompagner son travail cinématographique, ce qui a valu au réalisateur d’être souvent malmené par la réaction. Dans ce texte de 1970, à l’époque la plus militante de l’oeuvre godardienne, il est question de la production d’un film sur les combattants palestiniens dans un camp d’Amman en Jordanie, initialement intitulé Jusqu’à la victoire.

Si le 'groupe Dziga Vertov' n’a pas exploité ses images, Godard et Anne-Marie Miéville en ont proposé un montage dans le puissant Ici et ailleurs. Ce dernier film a ceci de singulier qu’il interroge la possibilité même de montrer la révolution palestinienne; il pose le problème du montage, des effets idéologiques des appareils de prise de vue; il questionne ce qu’est 'faire un film politique', ce qu’est un rapport d’images politiques.

Le texte republié ici a ceci de fascinant qu’il pose une grande partie de ces enjeux, tout en proposant une lecture anti-impérialiste du cinéma et des circuits de diffusion. « Il faut étudier et enquêter, enregistrer cette enquête et cette étude, ensuite montrer le résultat (le montage) à d’autre combattants. Montrer le combat des fedayin à leurs frères arabes exploités par les patrons dans les usines en France. Montrer les miliciennes du Fatah à leurs sœurs des Black Panthers pourchassées par le FBI. Tourner politiquement un film. Le montrer politiquement. Le diffuser politiquement. C’est long et difficile. C’est résoudre chaque jour un problème concret. »

On a pensé qu’il était plus juste, politiquement, de venir en Palestine plutôt que d’aller ailleurs, Mozambique, Colombie, Bengale(1). Le Moyen-Orient a été directement colonisé par les impérialismes français et anglais (accords Sykes-Picot). Nous sommes des militants français. Plus juste de venir en Palestine parce que la situation est complexe et originale. Il y a beaucoup de contradictions, la situation est moins claire que dans le Sud-Est asiatique, en théorie du moins. Pour nous, militant actuellement dans le cinéma, nos tâches sont encore théoriques. Penser autrement pour faire la révolution…, nous en sommes encore là. Nous avons plusieurs dizaines d’années de retard sur les premières balles d’Al Assifa(2).

Mao Tsé-Toung a dit qu’un bon camarade va là où sont les difficultés, là où les contradictions sont le plus aigües. Faire de la propagande pour la cause palestinienne, oui. Avec des images et des sons. Cinéma et télévision. Faire de la propagande c’est poser les problèmes sur le tapis. Un film, c’est un tapis volant qui peut aller partout. Il n’y a aucune magie. C’est du travail politique. Trouver un fedaï, un cadre, une milicienne, voir ensemble comment fabriquer des images et des sons de sa lutte. Lui dire: « Je vais filmer une image de toi tirant la première balle d’Al Assifa. »

Savoir quelle image il faut mettre avant, et quelle image après, pour que l’ensemble prenne un sens. Un sens politique, révolutionnaire, c’est-à-dire qui aide la révolution palestinienne, qui aide la révolution mondiale. Tout ça, c’est long et difficile. Il faut savoir, qu’est-ce que c’est que le cinéma…, et le Fatah, et l’information du Fatah, et les contradictions avec les autres organisations.

Le Fatah p. ex., lutte contre l’impérialisme américain. Mais l’impérialisme américain, c’est aussi le New York Times et la CBS. Nous, nous luttons contre la CBS. Il y a beaucoup de journalistes qui se croient sincèrement de gauche, et qui ne luttent pas contre la CBS et le New York Times. Ils croient aider le Fatah en publiant un article dans la presse bourgeoise. Mais eux ne luttent pas. C’est le Fatah qui lutte et qui travaille. Ce sont les combattants du Fatah qui meurent. Il faut bien voir ça. En littérature et en art lutter sur deux fronts. Le front politique et le front artistique, c’est l’étape actuelle, et il faut apprendre à résoudre les contradictions entre ces deux fronts.

Dans le quotidien publié par le Fatah, on voit encore trop de photos de dirigeants et pas assez de combattants. Il faut voir où se situe cette contradiction, et comment la résoudre. Ce n’est pas un problème artistique de mise en page. C’est un problème politique dans le domaine idéologique (presse). Il faut apprendre à combattre l’ennemi avec des idées, pas seulement avec un fusil. C’est le Parti qui commande au fusil, pas l’inverse(3). Et la complexité de la lutte palestinienne est liée à la difficulté de la construction du Parti, ici (comme en France).

L’originalité du Fatah, avant même la prise du Canal de Suez, c’est justement d’avoir refusé de s’appeler Parti ou Front. C’est de dire à un musulman: « N’abandonne pas tes idées, quitte seulement ton organisation, et rejoins nos rangs. » Le Fatah n’a pas besoin d’être marxiste en parole, car il est révolutionnaire dans les faits. Il sait que les idées changent en marchant. Que plus la marche sur Tel-Aviv sera longue, plus les idées changeront, qui permettront de détruire enfin l’État d’Israël.

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Front politique et front artistique

On est venu ici pour étudier ça: apprendre, tirer les leçons, si possible enregistrer ces leçons, pour les diffuser ensuite ici même, ou ailleurs dans le monde. Il y a presque un an, deux d’entre nous sont venus enquêter au Front démocratique. Puis un autre est allé au Fatah. Nous avons lu les textes et les programmes. En tant que maoïstes français, nous avons décidé de faire le film avec le Fatah dont le titre est Jusqu’à la victoire.

Nous laissons les palestiniens, au cours du film, dire eux-mêmes le mot « révolution ». Mais le vrai titre du film c’est Méthodes de pensée et de travail du mouvement de libération palestinien. Avec les camarades du Front démocratique, on a les mêmes discussions qu’entre militants à Paris. On n’apprend rien. Ni eux, ni nous. Avec le Fatah c’est différent. Il est plus difficile de parler avec un dirigeant de l’image qu’il faut construire de la révolution palestinienne, et du son qui doit accompagner cette image (ou la contredire). Mais c’est justement cette difficulté qui est positive. Elle pose concrètement la contradiction entre théorie et pratique: entre front politique et front artistique.

On est arrivé à Amman et on nous a dit: « Vous voulez voir quoi?… », on a dit: « Tout! ».

On a vu les Ashbals(4), l’entraînement de la milice, les bases du Sud, les bases du Nord et du Centre. On a vu l’école des martyrs. On a vu l’école des cadres, les cliniques.

Alors on nous a dit: « Vous voulez filmer quoi maintenant? » On a dit: « On ne sait pas! - Comment? Vous ne savez pas?… - Non, on voudrait parler, étudier un peu avec vous. Vous n’avez pas beaucoup de munitions pour les Kalachnikovs et les R.B.G. Nous, on a besoin d’images et de sons. Les impérialistes (Hollywood) les ont abîmés ou détruits. Alors on ne peut pas les gaspiller. Ce sont des munitions idéologiques. Il faut apprendre à bien s’en servir pour tuer les idées ennemies. Voilà pourquoi on a besoin de parler avec vous. ­­- Bon, avec qui voulez-vous parler  » On a dit: « Abû Hassan(5). »

On ne savait pas qui c’était, mais on avait lu un article de lui dans le premier numéro de Fedayin(6). Il nous a parlé. Politiquement. Par exemple, il disait: « L’armée du peuple, ce ne sont pas des radars perfectionnés. Ce sont 10.000 enfants avec des jumelles et des talkies-walkies. » Voilà une image révolutionnaire. On voit tout de suite que l’armée égyptienne n’est pas une armée du peuple. Au lieu de 10.000 enfants, il y a 10.000 instructeurs soviétiques.

La balle près de l’oreille

Abû Hassan disait aussi: "La première balle d’Al Assifa, il faut la tirer près des oreilles des paysans pour qu’ils entendent le bruit de la libération de la terre."

Voilà un son révolutionnaire. Voilà une discussion qui permet d’établir des rapports politiques entre une image et un son, au lieu de faire simplement des images soi-disant 'réelles' mais qui ne veulent rien dire, qui ne disent rien parce qu’elles n’ont rien à dire, rien à dire qu’on ne sache déjà. Et à quoi cela sert-il de dire ce qu’on sait déjà ?

En tout cas pas à la révolution qui cherche le nouveau derrière l’ancien. Ça prend du temps. C’est long et difficile. Mais il n’y a pas de raison pour qu’un film de la révolution palestinienne ne rencontre pas les difficultés de cette révolution.

Pourquoi ce film passerait-il à la télévision américaine? Le Fatah contrôle-t-il les circuits yankees de télévision? Non. Il ne contrôle même pas les salles de cinéma dans Amman. Il contrôle Amman. Mais, chaque soir, dans les salles obscures, la pourriture impérialiste vient aveugler les masses. Heureusement, grâce à la crise de juin, le Commandement Unifié peut maintenant leur rouvrir les yeux le lendemain matin en publiant désormais un quotidien.

Le problème de l’information révolutionnaire est important. Nous disons : cinéma, tâche secondaire de la révolution pour nous actuellement en France; mais nous faisons notre activité principale de cette tâche secondaire. Bien voir donc la contradiction entre cette tâche secondaire et la tâche principale de la révolution qui, ici, est la lutte armée contre Israël.

Voir aussi les autres contradictions entre le cinéma et les autres taches secondaires de la révolution palestinienne. Voir aussi qu’à un certain moment, dans un lieu donné, le secondaire se transforme en principal. Voilà ce que nous appelons poser politiquement le fait de faire un film politique. Pas seulement interviewer Habache ou Arafat ou Hawatmeh(7). Pas seulement des images spectaculaires de 'lionceaux' traversant des flammes, mais des rapports d’images, des rapports de sons et des rapports d’images et de sons qui indiqueront les rapports, dans la révolution palestinienne, entre la lutte armée et le travail politique.

Chaque image et chaque son, chaque combinaison d’images et de sons sont des moments, des rapports de forces, et notre tâche consiste à orienter ces forces contre celles de nos ennemis communs: l’impérialisme ­— c’est-à-dire Wall Street, le Pentagone, I.B.M, United Artist (Entertainement from Trans-America Corporation), etc.

Par exemple, nous pensons que le Fatah, lors de la crise de juin(8), a subi une défaite dans le domaine de l’information. En ce qui concerne les pays capitalistes européens, de qui a parlé le Times, Il Messagero, Le Monde et Le Figaro? De la réponse qu’ont donnée les masses aux provocations meurtrières de la réaction jordanienne ? Non. Du rôle joué par le Fatah dans la façon de mener cette réponse politiquement et militairement? Non. Tous ces journaux, ainsi que les télévisions et les radios ouest-européennes ont monté en épingle Georges Habache au détriment de Yasser Arafat.

Notre tâche de militants révolutionnaires de l’informations est aussi d’analyser le pourquoi et le comment de telles opérations. Pour l’impérialisme, il fallait non seulement tenter, une nouvelle fois, de briser l’unité en cours d’édification de la Résistance Palestinienne, mais il fallait aussi dévoyer le sens de son combat libérateur aux yeux des masses anglaises, italiennes, françaises, etc., et porter ainsi un coup de plus aux éléments révolutionnaires de ces masses pour qui la révolution palestinienne, comme la vietnamienne, est un ferment précieux.

Aujourd’hui encore, il est grave qu’un texte comme celui d’Abou Iyad(9) dans Dialogue with Fath ne soit pas traduit en français. Ce sont peut-être des défaites mineures, mais encore faut-il avoir l’honnêteté révolutionnaire de les analyser en tant que défaites: lutte, échec, nouvelle lutte, nouvel échec, nouvelle lutte jusqu’à la victoire, telle est la logique du peuple, disent les camarades chinois. Telle est la logique aussi du peuple palestinien dans son mouvement de libération nationale sous la direction du Fatah. C’est ce que nous essayons de montrer dans notre film, dans votre film.

Où sera montré le film? Cela dépendra de l’état actuel des luttes. Il peut être montré dans une rue d’un village du Liban-Sud. On tend un drap entre deux fenêtres, et on projette. Devant des étudiants à Berkeley. Au milieu d’ouvriers en grève à Cordoba ou à Lyon. Dans une école d’Amilcar Cabral(10). C’est-à-dire, en général, il sera projeté devant les éléments avancés des masses. Pourquoi? Parce qu’il représente des forces en lutte.

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Les rapports d’images

Il faut donc qu’il puisse être utilisé, à court terme ou à long terme, par d’autres éléments de ces forces au moment de leur lutte. C’est-à-dire au moment où il sera utile à leur lutte. Prenons un exemple: on montre une image d’un fedaï qui traverse la rivière; ensuite une image de milicienne du Fatah qui apprend à lire à des réfugiées dans un camps; ensuite une image d’un 'lionceau' qui s’entraîne. Ces trois images, c’est quoi? C’est un ensemble. Aucune n’a de valeur en soi. Peut-être une valeur sentimentale, émotive, ou photographique. Mais pas une valeur politique.

Pour avoir une valeur politique, chacune de ces trois images doit être liée aux deux autres. À ce moment-là, ce qui devient important, c’est l’ordre dans lequel sont montrées ces trois images. Car ce sont des parties d’un tout politique; et l’ordre dans lequel on les range représente la ligne politique. Nous sommes sur la ligne du Fatah. Alors nous rangeons ces trois images dans l’ordre suivant: 1°/ Fedaï en opération; 2°/ Milicienne au travail dans une école; 3°/ Enfant s’entraînant.

Cela signifie: 1°/ Lutte armée; 2°/ Travail politique; 3°/ Guerre populaire prolongée. La troisième image est finalement le résultat des deux autres. C’est: la lutte armée + le travail politique = guerre populaire prolongée contre Israël.

C’est aussi: l’homme (qui déclenche le combat) + la femme (qui se transforme, qui fait sa révolution) qui donne naissance à l’enfant qui libérera la Palestine: la génération de la victoire. Il ne suffit pas de montrer un 'lionceau' ou une 'fleur' et de dire: c’est la génération de la victoire. Il faut montrer pourquoi et comment.

Un enfant israélien, on ne peut pas le montrer de la même façon. Les images qui produisent l’image d’un enfant sioniste(11) ne sont pas les mêmes que celles d’un enfant palestinien. On ne devrait d’ailleurs pas parler d’images; il faut parler de rapports d’images.

Les valets libanais de Hollywood

C’est l’impérialisme qui nous a appris à considérer les images en elles-mêmes; qui nous a fait croire qu’une image est réelle. Alors qu’une image, le simple bon sens montre qu’elle ne peut être qu’imaginaire, précisément parce que c’est une image. Un reflet. Comme ton reflet dans un miroir.

Ce qui est réel, c’est d’abord toi, et ensuite, c’est le rapport entre toi et ce reflet imaginaire. Ce qui est réel, ensuite, c’est le rapport que tu fais entre ces différents reflets de toi ou ces différentes photos de toi. Par exemple, tu te dis: « Je suis jolie », ou « J’ai l’air fatigué. » Mais en disant ça, qu’est-ce que tu fais? Tu ne fais rien d’autre que d’établir un rapport simple entre plusieurs reflets. L’un où tu avais l’air en forme, un autre où tu l’étais moins. Tu compares, c’est-à-dire tu fais un rapport, et alors tu peux conclure: « J’ai l’air fatigué ».

Faire un film, c’est établir ce genre de rapports politiquement, c’est-à-dire pour résoudre un problème politiquement. C’est-à-dire en termes de travail et de combat. Et justement, l’impérialisme, en cherchant à nous faire croire que les images du monde sont réelles (alors qu’elles sont imaginaires) cherche à nous empêcher de faire ce qu’il faut faire: établir des rapports réels (politiques) entre ces images; établir un rapport réel (politique) entre une image d’Ashbals qui s’entraînent et une image de Fedayin qui traversent la rivière.

La seule réalité révolutionnaire, c’est la réalité (politique) de ce rapport. Politique, car elle pose la question du pouvoir; et un enchaînement d’images tel qu’on vient de le décrire déclare que le pouvoir est au bout du fusil.

L’impérialisme voudrait bien que l’on se contente de montrer un fedaï qui traverse une rivière, ou une paysanne qui apprend à lire, ou des Ashbals qui s’entrainent. L’impérialisme n’a rien contre ça. Il fait tous les jours des images comme ça (ou ses esclaves le font pour lui). Il les diffuse tous les jours à la B.B.C, dans Life, Il Expresso, der Spiegel. D’un côté il y a l’UNRWA(12) (pour l’estomac), et de l’autre Hollywood et ses valets libanais et égyptiens du cinéma (pour les idées et les images qui provoquent des idées).

L’impérialisme nous a appris à ne pas faire de rapport entre les trois images dont on vient de parler, ou à le faire, à la rigueur, mais alors dans un certain ordre, pour ne pas déranger ses plans.

Les idées et les contradictions

Et notre tâche, à nous, militant actuellement dans le domaine de l’information anti-impérialiste, est de lutter avec acharnement dans ce domaine. De nous libérer des chaînes d’images imposées par l’idéologie impérialiste, à travers tous ses appareils: presse, radio, cinéma, disques, livres.

C’est une tâche secondaire, dont nous faisons notre activité principale en essayant de résoudre les contradictions que cela implique. En luttant sur ce front secondaire, on se heurte souvent à d’autres camarades. Ces camarades, ici, au Fatah, par exemple, ont des idées avancées et justes sur le front principal de la lutte armée, et des idées souvent moins justes sur le front secondaire de l’information.

Pour nous tous, il s’agit d’apprendre à résoudre cette contradiction comme faisant partie des contradictions au sein du peuple. Pas des contradictions entre l’ennemi et nous. Fabriquer des images contradictoires, c’est progresser sur le chemin de la résolution de ces contradictions. Et ici, après avoir posé ainsi le problème de la production de cette série de trois images (pour reprendre le même exemple), tu peux maintenant te poser de façon plus juste, plus politique, le problème de la diffusion de ces images. Et c’est parce que ces images (imaginaires) ont entre elles un rapport réel (contradictoire), c’est à cause de ce rapport réel que ceux qui regarderont et écouteront ces images auront également un rapport réel avec elles. La vision du film sera un moment de leur existence réelle, de leur réalité. Réalité politique cette fois. En tant que paysan opprimé, ouvrier en grève, étudiant en révolte, fedaï tenant la Kalachnikov… Voilà ce qu’on veut dire en disant: « À bas le spectacle, vive le rapport politique… »

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Les dents et les lèvres

C’est comme ça que la littérature et l’art peuvent devenir, comme le voulait Lénine, une petite vis vivante du mécanisme de la révolution. Donc, en résumé, ne pas montrer un fedaï blessé; mais montrer comment cette blessure va aider le paysan pauvre.

Et pour arriver à cette fin, c’est long et difficile parce que, depuis l’invention de la photographie, l’impérialisme a fait des films pour empêcher ceux qu’il opprimait d’en faire. Il a fait des images pour déguiser la réalité des masses qu’il opprimait. Notre tâche est de détruire ces images et d’apprendre à en construire d’autres, plus simples, pour servir le peuple, et pour que le peuple s’en serve à son tour.

Dire: c’est long et difficile, c’est dire que ce combat (idéologique) est ici une partie de la guerre prolongée contre Israël menée par le peuple palestinien. C’est dire qu’ailleurs ce combat est lié à toutes les guerres des peuples contre l’impérialisme et ses alliés. Lié comme les dents et les lèvres(13). Comme la mère et l’enfant. Comme la terre de Palestine et les fedayin…

Texte retranscrit par Romain Dautcourt.

NOTES:
  1. Ce texte est initialement paru dans le journal El Fatah en juillet 1970, sous le titre de « Manifeste ». Toutes les notes sont de David Faroult, pour l’édition de ce texte in Jean-Luc Godard : Documents, Centre Pompidou, 2006.
  2. Branche armée de l’organisation de libération nationale palestinienne El Fatah.
  3. La formule de Mao Tsé-Toung, « Le parti doit commander aux fusils », reprise dans La Chinoise, veut souligner des questions militaires: elles doivent être commandées par des conceptions par la politique, et non l’inverse.
  4.  'Lionceaux ' : jeunes et adolescents combattants.
  5. Ali Hassan Salameh, dit 'Le Prince rouge', responsable du renseignement pour l’OLP dès 1969, est chargé des contacts avec la CIA, puis, plus tard, soupçonné d’avoir informé celle-ci sur des groupes minoritaires au sein de l’OLP. Il est tenu pour le chef de l’organisation Septembre noir, qui prendra en otage des sportifs israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1973.
  6. Mensuel français proche du Fatah, qui a commencé à paraître en janvier 1970, Fedayin publiait notamment des traductions d’articles choisis du journal El Fatah.
  7. Nayef Hawatmeh rejoint en Jordanie le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), organisation marxiste-léniniste pro-chinoise dirigée par le Dr Georges Habache. En 1969, il s’en sépare et fonde le FDPLP (Front démocratique et populaire pour la libération de la Palestine), aile gauche de l’OLP. Figure marquante du mouvement palestinien, Hawatmeh, fut l’un premiers à promouvoir et à établir, dès 1970, le dialogue avec l’extrême-gauche israélienne, qu’il concevait comme  "une menace à la fois pour le sionisme et la réaction arabe" , et, aussi à combattre farouchement l’antisémitisme dans les rangs palestiniens en rejetant, dès 1969, les formules de type  "Les Juifs à la mer!"
  8. Les 6 et 7 juin 1970, tandis que se terminait au Caire une importante réunion d’unification politique et militaire, le VIIè Conseil national palestinien, de petits groupes, qui se désignent tous comme des 'organisation de résistance palestinienne', multiplient les provocations en déclenchant des fusillades à Amman (Jordanie). Ils attaquent les militants des principaux groupes de la véritable résistance palestinienne, semant la confusion et favorisant une intervention de l’armée jordanienne contre les camps de réfugiés palestiniens (le 9 juin). La riposte militaire du Fatah accule le roi de Jordanie à la négociation et permet à la crise de trouver une issue dès le 10 juin. Mais la rapidité et la confusion de la chaîne des événements a pu laisser croire que l’origine de la Crise était une volonté du Conseil national palestinien d’écarter des organisations minoritaires à la réunion du Caire (L’épisode est longuement évoqué dans le mensuel Fedayin, n°6-7, juin-juillet 1970, p.1-8 et 22.
  9. Cofondateur du Fatah avec Yasser Arafat.
  10. Théoricien et leader politique et militaire de la guerre d’indépendance de Guinée-Bissau/Cap-Vert dirigé par le PAIGC (Parti africain de l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) assassiné par les colonialistes portugais le 20 janvier 1973. On trouve un témoignage frappant sur les écoles que la guérilla de Cabral parvenait à maintenir malgré le harcèlement militaire de l’armée portugaise dans le film que Tobias Engel a consacré à cette lutte, No Pincha (1969).
  11. Le passage de la phrase précédente à celle-ci impose cette note: impossible de publier sans réagir une phrase qui pourrait laisser croire qu’un enfant israélien pourrait naître sioniste. Le sionisme est un positionnement politique et ne saurait s’inscrire ni dans l’état civil ni dans les gènes. Naître en Israël, avoir la nationalité israélienne, ne décide nullement d’une position politique. Le Fatah, pour sa part, rejetait clairement toute confusion entre juif, Israélien et sioniste, notamment dans une série de trois articles parus en français dans les mêmes colonnes que l’article de Godard, en mars, avril et mai 1970 (l’article de Godard est sorti dans le numéro de juillet). (La série d’articles, rééditée par le mensuel Fedayin dans ses numéros 5 à 8 de mai, juin-juillet et septembre, a été ensuite réunie en volume portant le même titre: El Fath, La Révolution palestinienne et les Juifs, Éditions de Minuit, 1970. Consultable sur : http://etoilerouge.chez.tiscali.fr/palestine/revepalest2.html)
  12. United Nation Relief and Works Agency for Palestine Refugees. Créé en 1949 par l’ONU, prévu pour être un organisme temporaire, l’Unrwa, qui a commencé à fonctionner en 1950, existe toujours, puisqu’il est destiné aux réfugiés palestiniens. Conformément au mandat initial (venir en aide aux réfugiés palestiniens et, en collaboration avec les pouvoirs publics locaux, apporter des secours directs et réaliser les travaux nécessaires), l’éducation, la santé et les services sociaux sont ses principales missions. Avec la guerre de 1967 et les nouveaux transferts de population, son mandat s’est étendu aux personnes déplacées.
  13. Cette formule paraphrase Louis Althusser,  "La philosophie comme arme de la révolution. Réponse à huit questions" , La Pensée, n°138, avril 1968, repris in Louis Althusser, Positions, Éditions sociales, Paris, 1976, p.48: "Lutte des classes et philosophie marxiste-léniniste sont unies comme les dents et les lèvres".
Jean-Luc Godard -
01.07.18
Source: Bruxelles Panthères
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