Al-Aqsa : ce que veut Israël, c’est déclencher une guerre de religion
mardi 25 juillet 2017 / 4h:21
L’escalade des tentatives israéliennes de reprendre la mosquée Aqsa et le reste du Noble Sanctuaire (al-Haram al-Sharif) dans Jérusalem est un signe de l’audace israélienne quand il s’agit de compléter l’occupation de toute la Palestine. C’est aussi un signe de la prise de conscience israélienne selon laquelle ni les Palestiniens ni les Arabes ne sont déterminés à défendre les droits palestiniens, arabes et musulmans.
C’est l’époque de l’extrémisme fanatique israélien à son apogée et la défense arabe à son plus bas niveau.
À l’origine, le sionisme était un pur projet colonial pour servir les intérêts des Juifs européens riches qui avaient financé le colonialisme européen au 19ème siècle. C’était un mouvement séculier qui a utilisé la religion dans des étapes ultérieures pour recruter des adeptes moins intelligents.
Dans son unique visite à Jérusalem en 1898, [Theodor] Herzl a trouvé à Jérusalem une communauté juive misérable, pleine de superstition et de fanatisme, et a préféré imaginer construire une capitale en Galilée.
Les premiers dirigeants sionistes exposaient clairement la priorité de leurs objectifs : acquérir des terres et amener les juifs à les coloniser. Le programme sioniste était une prise de contrôle progressive de la Palestine.
Rien n’a changé aujourd’hui. Mais l’histoire et le droit international vont à l’encontre des projets sionistes.
En juillet 1924, le Mandat britannique sur la Palestine, malgré son parti pris en faveur du sionisme, promulguait un décret qui garantissait le statu quo pour les sites et pratiques des religions, respectés depuis plusieurs siècles.
Lorsque les fanatiques juifs ont enfreint la loi et attaqué le Mur Buraq (Mur de l’Ouest) en 1929, un comité international a été convoqué pour enquêter sur la situation. Il a déterminé que le mur de Buraq est une propriété musulmane absolue et que les juifs n’étaient autorisés à y prier que « selon les besoins », pourvu qu’ils n’installent aucune structure permanente.
La célèbre résolution 194 des Nations Unies de décembre 1948, appelant au retour des réfugiés, stipule que « les lieux saints, les bâtiments religieux et les sites en Palestine devraient être protégés et leur accès conservés libres, conformément aux droits existants et à la pratique historique ».
La Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé stipule que « les hautes parties contractantes s’engagent à interdire, prévenir et, si nécessaire, mettre fin à toute forme de vol, de pillage ou de détournement, et au actes de vandalisme dirigés contre les biens culturels. Ils doivent s’abstenir de réquisitionner des biens culturels mobiliers situés sur le territoire d’une autre partie contractante et s’abstenir de tout acte de représailles dirigé contre des biens culturels ».
Mais Israël viole toutes ces lois.
Après la destruction israélienne en juin 1967 du quartier marocain vieux de 800 ans, les Juifs voulurent s’emparer du Noble Sanctuaire. L’incendie criminel du Minaret de Saladin en août 1969, le meurtre de fidèles à maintes reprises, et maintenant, les tentatives impitoyables d’attaquer la mosquée d’Al-Aqsa, mettent en évidence le comportement incontrôlé d’Israël.
Ces actes d’Israël révèlent son véritable visage de fanatisme, de racisme et d’occupation permanente. Il est inutile d’appeler cette droite du gouvernement israélien. Sa structure de base est, comme toujours, un régime de colons qui veut maintenant assurer son contrôle total de ce qui reste de la Palestine et faire de Jérusalem la capitale politique et religieuse incontestée du Grand Israël.
Ce développement est le résultat direct de l’absence d’une direction politique palestinienne digne de confiance, de sa capitulation dans les Accords d’Oslo pour servir l’occupation israélienne, de l’échec des gouvernements arabes à défendre les droits arabes – certains d’entre eux s’alignant réellement sur Israël – et de l’incapacité des 1,5 milliard de musulmans à défendre la première Qibla et la troisième mosquée sacrée après la Mecque.
Mais la résistance augmentera sans aucun doute, peut-être à partir de lieux inattendus.
La résistance peut prendre plusieurs formes : juridiques, publiques, de boycott et de sanctions internationales, pour n’en nommer que quelques-unes. La liste est longue. La charge en incombera aux peuples, pas aux gouvernements. Il existe là un immense réservoir de force.
Les affrontements actuels à propos d’Al-Aqsa sont la conséquence de l’exploitation israélienne du dogme religieux comme couverture pour sa politique colonialiste et violente : la colonisation et le nettoyage ethnique à Jérusalem et dans le reste de la Cisjordanie occupée depuis 1967.
Rappelons que les fondateurs clés du sionisme et de l’État israélien – Theodor Herzl et David Ben-Gurion, par exemple – n’étaient pas particulièrement religieux, voir même anti-religieux. Le dogme religieux n’était pas la caractéristique la plus marquée du sionisme dans sa première époque. Le sionisme tirait son inspiration d’autres mouvements nationalistes européens du XIXe siècle.
Après 1967, Israël a cherché des excuses pour sa colonisation de la Cisjordanie nouvellement conquise, poussant à la prépondérance de la tendance dite nationale-religieuse et à la formation de Gush Emunim, le groupe d’extrême-droite qui a pris les rênes du nouveau mouvement de colonisation en Cisjordanie.
Leur doctrine, autrefois assez marginale en Israël, est maintenant entièrement intégrée. Ce prétend que l’État israélien moderne est dans son droit en s’appropriant l’ensemble de la « Terre d’Israël » en raison de promesses supposées mentionnées dans les textes bibliques.
En ce sens, le colonialisme sioniste moderne n’est pas terriblement différent de ses cousins défunts en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, où les Afrikaners et les Unionistes se sont vus comme des peuples assaillis et réalisant une volonté divine en colonisant la terre.
L’extension logique de cette tendance post-1967 est le soi-disant « Mouvement du temple », qui trouve aujourd’hui son soutien au cœur du gouvernement et des cercles dirigeants israéliens.
Ces groupes du « Temple », financés par l’État et les autorités municipales d’occupation à Jérusalem, professent activement la construction d’un « Troisième Temple » juif en lieu et place de la Mosquée Al-Aqsa.
Ce sont ces groupes qui sont à l’origine des incursions de plus en plus agressives dans Al-Aqsa, sous le prétexte d’imposer un plus large accès aux juifs. Mais le résultat qu’ils recherchent est la destruction d’Al-Aqsa pour construire leur soit-disant temple, et certains de ces groupes ont déjà développé des plans détaillés pour arriver à leurs fins.
Beaucoup sont persuadés que leurs provocations violentes engendreront les conditions nécessaires à la réalisation de leur vision.
S’ils essaient vraiment de détruire Al-Aqsa – ce qui semble de plus en plus probable chaque jour – il ne faut pas en sous-estimer les conséquences géopolitiques catastrophiques.
Les réactions des Palestiniens et au-delà des musulmans à l’utilisation par Israël du dogme religieux pour justifier sa prise de contrôle violente de Jérusalem et du reste de la Cisjordanie, a parfois consisté à mettre en avant des contre-arguments religieux et le caractère sacré pour l’islam d’Al-Aqsa comme motivation principale pour prendre sa défense.
Mais reformuler le combat anti-colonial en Palestine en termes religieux serait une erreur, qui en fin de compte ferait le jeu d’Israël.
Les sionistes favorisent activement l’idée selon laquelle les juifs, représentés par Israël, et les chrétiens, représentés pas l’Occident, sont engagés dans un combat mondial qui les oppose à « l’islam radical ». Un combat religieux n’a pas d’issue. C’est une guerre sans fin. Cela convient parfaitement à Israël.
En revanche, il y a une solution à la lutte politique, territoriale et coloniale : la décolonisation et la restauration des droits du peuple colonisé. C’est, bien sûr, ce dont Israël ne veut pas, et c’est pourquoi il continuera d’attiser les querelles religieuses à Al-Aqsa.
Il y a longtemps que les dirigeants israéliens ont planifié la stratégie de ce conflit et prévu de le formuler en termes religieux. Tous leurs desseins concernant Jérusalem, depuis qu’ils l’ont occupée en 1967, ont consisté à accroître la population juive de la ville et à diminuer les populations palestiniennes musulmanes et chrétiennes.
Pour atteindre ce but, Israël a élaboré plusieurs lois qui favorisent un contrôle israélien progressif de la ville et l’expulsion systématique de ses résidents palestiniens.
Les plans israéliens pour Jérusalem prévoient de limiter la population arabe à 12 pour cent, tandis que les 88 pour cent restants seraient juifs, avec souveraineté israélienne pleine et entière sur l’ensemble de Jérusalem, à l’exception des villages de Beit Hanina et d’autres zones périphériques.
Le conflit à Jérusalem, qu’Israël formule en termes religieux est de nature démographique. En 1972, par exemple, la Première Ministre de l’époque Golda Meir voulait que les pourcentages de la population de la ville soient les suivants : 78 pour cent juifs et 22 pour cent arabes.
Mais maintenant, les stratégies ont changé. Les dirigeants israéliens parlent d’une « Jérusalem métropolitaine » qui comprendrait environ 10% de la superficie totale de la Cisjordanie. Elle engloberait toutes les colonies israéliennes qui se trouvent actuellement en dehors des limites municipales de la ville et exclurait les zones palestiniennes situées à l’extérieur du mur de séparation. C’est ce qu’on appelle le « Plan directeur » d’Israël, « Jérusalem 2020 ».
En conséquence, Israël prévoit de construire une synagogue dans l’enceinte d’Aqsa pour renforcer d’autant plus son récit religieux, attisant les passions religieuses des musulmans et consolidant sa version religieuse du conflit.
Israël veut entraîner les Palestiniens et les Arabes dans une guerre de religion entre musulmans et juifs, transformant ce conflit de conflit dû à l’occupation israélienne des territoires palestiniens en guerre de religion.
En qualifiant le conflit de religieux, Israël prétendrait sur la scène mondiale que les juifs sont menacés d’un nouvel holocauste, mais cette fois par les musulmans et au Moyen-Orient, plutôt qu’en Europe.
C’est un dessein odieux qui fait intervenir la politique, la géographie, le droit et d’habiles tactiques de relations publiques afin de convaincre le monde.
En même temps, c’est Israël qui a systématiquement miné la présence historique musulmane et chrétienne palestinienne dans la ville et qui a œuvré sans relâche pour oblitérer le caractère palestinien de la ville.
Ce qui se passe aujourd’hui à Al-Aqsa est une escalade très dangereuse, et nuit à la paix et à la stabilité de notre ville. Le gouvernement israélien devrait s’efforcer de maîtriser les extrémistes juifs avant qu’ils n’entraînent toute la région dans davantage de conflits et plus de violence.
Nous, en tant que chrétiens palestiniens avons toujours défendu notre ville et nos lieux sains aux côtés de nos frères et sœurs musulmans. Nous condamnons tout acte de vandalisme contre les lieux sains de toutes les religions abrahamiques.
Nous soulignons aussi l’importance du statu quo des lieux sains à Jérusalem, et nous prisons le rôle que joue le royaume hachémite de Jordanie comme gardien de ces lieux sains.
Les événements tragiques d’Al-Aqsa sont un sérieux rappel, à nous tous, de la nécessité de trouver une solution à ce conflit, et nous espérons que ce sera une solution pacifique. Nous prions toujours pour la paix de Jérusalem.
Le conflit israélo-palestinien –et notamment à Jérusalem – ne concerne pas la religion ; à savoir que ce n’est pas un problème entre musulmans et juifs ou entre chrétiens et juifs. Le problème est bien plus vaste que cela.
Du point de vue d’un chrétien palestinien, la question est pour nous la même que pour le reste des Palestiniens qui ne sont pas chrétiens. Les Palestiniens ont le droit d’avoir leur propre état sur leurs propres territoires selon les accords signés entre les dirigeants palestiniens et Israël.
Ce conflit ne peut être résolu selon des paramètres religieux ou formulé en tant que conflit religieux, tout simplement parce qu’il ne l’est pas. Une guerre de religion est quelque chose de très dangereux pour nous tous.
Les Palestiniens aspirent à vivre libres dans leur propre pays, quelle que soit l’appartenance religieuse de celles et ceux qui sont partie prenante de ce conflit.
* Salman Abu Sitta est le fondateur et président de la Palestine Land Society. Né en 1937 dans la Palestine historique dont il a été chassé avec toute sa famille en 1948 (la Nakba) il est aujourd’hui connu internationalement pour son travail de recherche sur la mémoire palestinienne. Il a écrit, entre autres ouvrages : Mapping My Return: A Palestinian Memoir
* Ali Abunimah est un journaliste palestino-américain, auteur de The Battle for Justice in Palestine. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka.
* Khalil Toufakji est responsable du Département de cartographie et de relevés topographiques de la Maison de l’Orient, à Jérusalem. Par conséquent, ce Département a fourni avec régularité aux services de l’Autorité palestinienne (AP) des informations et des relevés topographiques sur le vol et l’annexion des terres palestiniennes au profit de l’État colonialiste israélien. A ce titre, le Département et ses responsables ont été régulièrement la cible d’agressions de la part des forces d’occupation.
* Le Révérend Hosam Naom Le Hosam Elias Naoum a été nommé doyen de la cathédrale anglicane de Saint-Georges à Jérusalem. Il est le premier titulaire non anglais à occuper ce poste.
21 septembre 2015 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah et MJB