Interview d’Ahmad Sa’adat
Pour célébrer la Journée des prisonniers palestiniens, alors que plus de 1 500 prisonniers politiques palestiniens entament une grève de la faim pour toute une série de revendications, HadfNews a publié une interview du dirigeant palestinien emprisonné, Ahmad Sa’adat, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ses réponses nous sont parvenues de la prison de Ramon où l’ont incarcéré les forces d’occupation sionistes.
Sa’adat est emprisonné depuis 2006 dans les prisons sionistes après l’avoir été depuis 2002 dans les prisons de l’Autorité palestinienne (AP), sous surveillance américaine et britannique. En mars 2006, un commando sioniste l’a enlevé de la prison de l’AP de Jéricho, en compagnie de plusieurs de ses camarades.
Voici la traduction (de l’anglais, après avoir été traduite de l’arabe en anglais) de cette interview.
En cette Journée des prisonniers palestiniens, nous espérons capter l’image et la réalité du mouvement des prisonniers et de l’horizon de lutte à l’intérieur des prisons sionistes. Quelle est également la possibilité pour l’unité du mouvement de faire face aux pratiques répressives de l’administration carcérale ?
La question des prisonniers est l’une des dimensions les plus importantes du projet national palestinien, comme la défense de la terre, la résistance aux colonies, l’identité arabe de Jérusalem et le retour des réfugiés.
Par conséquent, le mouvement des prisonniers est l’un des piliers du mouvement national palestinien en général. Il occupe une position avancée aux toutes premières lignes du conflit contre l’occupation et affecte la progression de la lutte nationale dans le conflit avec l’ennemi, et ce, à tous les niveaux. Derrière les murs des prisons, une situation permanente de conflit contre les forces d’occupation a surgi, suite à la grève de la faim ouverte menée par le Front populaire contre l’enfermement en isolement, en septembre 2011, ce qui a ouvert la porte à de nombreuses initiatives individuelles de lutte contre la détention administrative et, plus tard, à la vaste grève générale menée par le mouvement des prisonniers, en avril-mai 2012. Celle-ci s’est soldée par une victoire, puisque les prisonniers ont été sortis de l’enfermement en isolement, que les prisonniers de la bande de Gaza ont obtenu le droit à des visites de leur famille et qu’il y a eu bien d’autres réalisations sur le plan de conditions de détention.
Cette victoire a créé les conditions favorables pour réaliser l’unité du mouvement des prisonniers et de ses mécanismes de lutte, mais les choix organisationnels des frères du mouvement Fatah n’ont certes pas contribué à y arriver. Le mouvement des prisonniers a subi l’impact des répercussions de la division, et l’administration carcérale à joué une rôle divisif parmi les prisonniers des diverses factions.
Nous espérons que la grève que le mouvement des prisonniers prévoit de mener en avril réunira toutes les factions du mouvement national et aboutira à unifier les structures du mouvement du Fatah et à opérer une transition vers une nouvelle phase en faveur de l’unité de l’ensemble du mouvement des prisonniers aux niveaux du programme et de l’action.
Comment percevez-vous le rôle du mouvement des prisonniers ? En même temps que la détermination et la lutte à l’intérieur des prisons sionistes, peut-il jouer un rôle de pivot dans la réalité nationale palestinienne en général ? Quel est le résultat de la crise et quelles sont les façons de sortir de cette réalité ?
Le mouvement des prisonniers palestiniens joue un rôle central varié et historique quand il entretient et fait avancer la lutte palestinienne de libération nationale, et ce, depuis le commencement. Ces six dernières années, il a provoqué une focalisation sur la lutte de notre peuple au travers de ses activités en vue d’élaborer la cause nationale, ainsi qu’aux niveaux régional et international. Le mouvement des prisonniers a également pris l’initiative de créer le document de réconciliation nationale, qui a été accepté à l’unanimité par toutes les factions nationales et islamiques dans l’intention de mettre un terme à la division. Mais le processus de progression nationale et de réconciliation ne peut reposer sur les seuls épaules du mouvement des prisonniers. Son rôle est intégré aux luttes de notre peuple, dans chaque affrontement avec l’ennemi et aux toutes premières lignes, dans la rupture avec le cercle d’illusions entourant les absurdes négociations, dans la négation complète de l’approche d’Oslo et dans la reconstruction d’un programme national palestinien de lutte. Ce programme doit être élaboré dans la voie de la résistance et autour de la reconstruction de la maison interne palestinienne, avec des mécanismes démocratiques pour en désigner la direction nationale. Ensuite, nous pourrions quitter l’état de crise nationale tout en faisant progresser la lutte.
Quels sont les principaux points stratégiques nationaux en relation avec la question des prisonniers aux niveaux palestinien, régional et international ?
Au niveau national palestinien, le mouvement des prisonniers palestiniens représente un témoin vivant de la poursuite de la résistance de notre peuple au projet colonial d’implantation sioniste. Ce qui est nécessaire de la part du mouvement palestinien de libération nationale, c’est de traiter de cette question avant tout comme un engagement sérieux, de la traiter en même temps que d’autres questions nationales de lutte et de la considérer comme partie absolument intégrante d’un programme palestinien de résistance qui reflète l’identité et l’importance de la lutte des prisonniers. Il est important d’éviter l’instrumentalisation sectaire, l’individualisme ou la redistribution des cartes (pour éviter la distraction), afin de poursuivre un arrangement politique. Il est très important d’échapper au chantage politique des partis de la division, mais de progresser sur la route de l’unité nationale dans la lutte et de mobiliser la résistance du peuple. Ceci requiert un dur labeur que de placer la tâche de la libération des prisonniers et du soutien à leur lutte parmi les tout premiers points du programme de lutte nationale. Au sein du mouvement des prisonniers, cela signifie qu’il faut travailler au niveau quotidien pour s’investir dans la confrontation et la reconstruction d’un mouvement des prisonniers avec un corps et un programme unifiés.
Aux niveaux régional et international, la régionalisation et l’internationalisation de la cause et du statut des prisonniers en tant que combattants pour la liberté sont des points importants, puisqu’ils fournissent une protection légale et politique à leur lutte et qu’ils étoffent la pression au niveau international pour forcer l’occupation à respecter les lois humanitaires internationales, particulièrement les Conventions de Genève, et à appliquer les résolutions internationales en faveur du droit au retour du peuple palestinien, de son autodétermination et de son indépendance nationale.
À la lumière du rôle de l’Autorité palestinienne et du fait qu’elle s’appuie sur la vision américano-sioniste à de multiples niveaux, y compris la situation politique interne et son appui permanent sur les arrangements, les négociations, la coordination sécuritaire et l’arrestation et les poursuites à l’égard des combattants de la résistance tout en opprimant le peuple et en violant les droits sociaux – quelle est votre vision de la façon de traiter avec cette même AP ?
La dépendance incessante de l’Autorité vis-à-vis du programme américano-sioniste et sa poursuite d’« opportunités » inutiles de négociations futiles, tout en poursuivant la coordination sécuritaire et les poursuites à l’encontre des combattants de la résistance, est un coup de couteau empoisonné dans le dos de la résistance et cela transfère la contradiction avec l’occupation sur la scène palestinienne interne tout en approfondissant la division.
Il est impossible – il n’est en effet ni réaliste ni possible – de combiner le caractère « sacro-saint » de la coordination sécuritaire et l’adhérence à une voie de résistance. La continuation de cette politique n’est pas seulement un cadre politique mais un choix pour une classe, un choix reflétant les intérêts des secteurs et de la classe des bénéficiaires au sommet de la hiérarchie de l’Autorité et de l’OLP. La lutte contre cette approche requiert :
Tout d’abord, imprimer une escalade à la résistance de notre peuple à tous les niveaux et en usant toutes les méthodes pour faire de cette résistance une réalité quotidienne qui gouverne nos relations avec l’occupation. Par ailleurs, imprimer une escalade à la lutte nationale contre les pratiques de l’Autorité, y compris la coordination sécuritaire et la violation des droits politiques, sociaux et démocratiques des Palestiniens et, avant tout, le droit de résister à l’occupation.
Dans ce contexte, le développement d’un pôle démocratique national peut être élaboré sur base d’un programme de gauche, et une vision démocratique nationale afin de faire face au projet de l’Autorité constitue une démarche nécessaire – et de toute urgence – qui ne peut donc être reportée.
Le projet sioniste maintient ses objectifs. Pendant ce temps, l’Irak et la Syrie sont soumis à la guerre et à la destruction alors que bien des dirigeants arabes font la course vers une alliance avec « Israël », sous le prétexte de la confrontation nucléaire avec l’Iran. L’entité sioniste fonctionne-t-elle encore comme une entité d’occupation associée au colonialisme et à l’impérialisme ou s’est-elle muée en quelque chose d’autre ? Qu’est-ce qui est nécessaire en termes de réponse ?
La nature du projet colonial d’implantation raciste des sionistes en tant que mécanisme de l’impérialisme dans la région n’a pas changé. Le changement, c’est l’absence d’un gardien et incubateur national de résistance à ce projet et de son programme national, basé sur la confrontation avec sa nature et sa contradiction objective par rapport à toute résolution de lutter en Palestine. On ne peut se réconcilier avec ce type de projet impérialiste et on ne pourra vaincre son essence raciste sans le démanteler complètement. Les exemples de la chose sont nombreux, outre sa force croissante quand on le compare à la faiblesse de la résistance palestinienne et du projet arabe progressiste, qui n’a fait qu’ajouter à son rôle impérialiste en tant que partenaire du projet impérialiste dans la région et dans le monde, avec le droit de déterminer des programmes et priorités impérialistes dans la région et d’augmenter sa part des profits.
Ce qui est requis en vue de mobiliser la résistance et de conquérir la victoire, c’est de reconstruire un programme stratégique national sur base d’une compréhension claire et objective de ce projet et de la nature de l’impérialisme, et le rejet complet de toutes les illusions qui se sont manifestées sur base de l’approche Madrid-Oslo et des développements qui en ont découlé.
Le maximum qui puisse être accepté par l’entité sioniste, c’est de créer une « autonomie » administrative placée sous son contrôle afin de servir de tête de pont pour étendre le pouvoir de l’impérialisme sur le monde arabe. Une façade d’État. C’est pourquoi nous devons réunifier notre projet de libération nationale pour l’unité de notre peuple, de sa terre, de son identité et de sa destinée, restaurer la dimension arabe de la cause palestinienne et renforcer les relations avec les forces nationales arabes s’opposant à ce projet. Il est d’une importance cruciale de couper les relations avec l’ennemi et d’étendre la confrontation politique avec l’entité dans tous les espaces internationaux, en mettant sur pied le boycott et l’isolement de l’occupant et en dénonçant son illégitimité raciste.
En bref, et d’urgence, nous devons en revenir au programme de la libération nationale avec les leçons tirées d’Oslo et du vocabulaire de l’implantation, et lutter pour réaliser un État palestinien démocratique libéré sur le terre entière de la Palestine. Nous devons mettre un terme à la division et reconstruire l’OLP de façon démocratique en tant que référence universelle de la direction suprême de notre peuple, en impliquant toutes les couleurs sociales et politiques et en examinant toutes les options se présentant à notre peuple dans le cadre des institutions démocratiques.
La situation arabe aujourd’hui montre un vaste mélange de chaos, de conflit, de terrorisme et de guerre, et le spectre de la division sectaire et confessionnelle est devenu réalité. Comment voyez-vous la réalité future de la cause palestinienne, à la lumière d’une telle situation ? Qu’est-ce qui est nécessaire, au niveau arabe ?
En effet, la situation arabe actuelle est indescriptible, après l’invasion de l’Irak, la division du pays et de la population en Libye et les tentatives faites pour démanteler le pays et le peuple du Yémen et de la Syrie, et la réalisation du projet d’un « Grand Moyen-Orient ».
Il est naturel que cette situation soit étrangère au mouvement palestinien de libération nationale et au projet national palestinien en général, et il est également évident que l’absence de mouvements nationaux arabes avancés et de leurs extensions dans la région est la cause principale de cette situation pénible.
Au niveau palestinien, notre peuple peut disposer de bien des forces qui lui permettront de s’opposer à ces projets visant la liquidation de notre cause nationale. Il est urgent de construire et de promouvoir l’unité nationale et de mettre un terme à la division, unité nationale qui peut mobiliser notre lutte nationale afin d’interrompre les programmes impérialistes dans la région et de mettre la pression sur les régimes arabes réactionnaires officiels afin qu’ils arrêtent leurs projets destructeurs en Syrie, au Yémen et en Libye, et qu’ils puissent créer un climat qui pourra mettre un terme à cette situation de guerre, réaliser la démocratie et mener à des solutions politiques à ces crises, de façon à garantir l’unité de la terre et du peuple de ce pays.
La mobilisation du rôle palestinien est capable de fournir un réel climat de résistance à ces projets. La tâche centrale, la plus proéminente qui peut jouer un rôle décisif dans cette direction consiste à reconstruire le mouvement national-démocratique et ses extensions dans chaque pays afin de combler le vide qui a ouvert la porte à toutes formes d’intervention internationale dans les affaires internes du monde arabe. Le Front arabe progressiste, lancé l’an dernier, peut être un important pas dans cette direction.
La progression de l’extrémisme, du populisme et du racisme dans les pays européens et occidentaux s’est accélérée en général, y compris aux États-Unis, où le président Donald Trump est arrivé au pouvoir suite à une campagne de ce genre. Trump est arrivé en portant dans son carquois de nouvelles conditions et diktats pour les Palestiniens et les Arabes. Comment percevez-vous le rôle des États-Unis d’Amérique au niveau international ? Assisterons-nous à l’émergence d’un pôle opposé puissant pour affronter leur monopole dans les institutions internationales ? Quelles sont les implications pour la cause palestinienne ?
La progression rapide de l’extrémisme populiste dans le monde capitaliste est une conséquence logique de la crise de ce système qui s’est aggravée en 2008 et dont les répercussions sont toujours ressenties aujourd’hui. En même temps, cela exacerbe les contradictions entre les pays capitalistes, particulièrement avec les États-Unis.
Nous avons déjà vu que la crise financière de 1929 a mené au nazisme et au fascisme et que la crise économique des années 1970 a donné naissance à Reagan et Thatcher.
Ces contradictions sont susceptibles d’empirer et d’amener toute une ère à sa fin. Il est naturel d’assister à l’émergence de diverses alliances économiques et politiques et groupements nationaux, y compris l’émergence du rôle de l’Union européenne, des pays du BRICS. Aujourd’hui, le rôle de la Russie et de la Chine est ressenti fortement sur la scène mondiale et met en évidence un pôle important qui pourrait contribuer à établir un équilibre international au niveau mondial et affaiblir l’hégémonie des États-Unis au niveau des systèmes mondiaux.
La victoire de Trump est un indicateur important de l’avancement croissant au niveau international des tendances extrémistes et populistes, mais elle ouvre aussi un large climat favorable à la progression d’une gauche radicale, particulièrement à la lumière de l’incapacité de ces tendances prévalentes à résoudre les problèmes des gens qu’a créés le capitalisme.
Au niveau de la situation palestinienne après l’élection de Trump à la présidence des États-Unis, vu que Trump est connu pour son soutien à l’entité sioniste, la situation sera pire et se poursuivra sur la voie de toutes les précédentes administrations américaines qui ont toujours été partialement favorables aux positions de l’entité sioniste et n’ont jamais entrepris la moindre démarche sérieuse pour faire cesser les violations ou excès de l’État sioniste. La différence entre les positions des précédentes administrations et celles de l’administration Trump n’est pas qualitative mais quantitative. La situation politique prévalant aujourd’hui exerce un impact sur la direction du conflit entre sionistes, Palestiniens et Arabes. Ce qui est nécessaire, c’est de répondre avec fermeté à la politique de l’administration Trump et de ne pas adopter passivement ses diktats et exigences.
Le Front populaire de libération de la Palestine fait route vers le cinquantième anniversaire de sa création. Comment évaluez-vous la situation du Front un peu partout et comment percevez-vous son rôle et ses fonctions dans la prochaine phase ?
Le très récent Septième Congrès national du Front s’est traduit par des décisions qui servent de bond quantitatif pour le rôle du Front populaire et la ligne démocratique nationale dans tous les zones de travail et de lutte, y compris le renforcement et le développement de ses positions politiques et nationales. Cela signifie également le renforcement des organisations militantes, des mouvements de masse et de la lutte populaire afin d’aborder les questions nationales et sociales et d’affronter et résoudre les problèmes quotidiens qui affectent notre peuple. C’est spécialement vrai dans la bande de Gaza, qui est toujours sous le choc du désastre de la guerre. Toutefois, cette progression ne s’est pas encore hissée au niveau du rôle que devrait jouer le Front, ni à celui des tâches nationales que notre peuple et notre cause vont devoir affronter.
Il est nécessaire d’accroître et de hausser notre niveau de travail et d’effort dans tous les domaines d’activités, particulièrement par le biais des corps dirigeants et des cadres du Front en général, de même que dans ce qui est nécessaire pour faire progresser le rôle national du Front. Par conséquent, il nous faut entreprendre des démarches concrètes en vue d’unifier les forces démocratiques et de développer un pôle démocratique de gauche et renforcer son rôle au sein de la société palestinienne. En outre, construire le Front progressiste arabe et développer ses rangs pour activer son rôle au niveau général afin de faire naître une intégration entre les dimensions arabes et palestiniennes de la lutte et de mobiliser les masses arabes pour réagir contre la dissipation du mouvement national arabe et sortir enfin de l’actuelle impasse de la nation arabe. J’espère que le prochain Congrès national du Front continuera à suivre ces développements pour susciter un éveil et doubler ce rôle, proportionnellement à la dimension de la responsabilité qui lui incombe en tant qu’organisation et en tant que cadre démocratique national de gauche.
Publié le 19 avril 2017 sur Free Ahmad Saadat
Traduction : Jean-Marie Flémal