La procureure de La Haye met à jour l’enquête sur les crimes de guerre en Palestine
Par Charlotte Kates
Le bureau de la procureure [Madame Fatou Bensouda, ndt] de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye vient de publier un rapport (1) sur les activités menées en 2016 en matière d’examen préliminaire sur d’éventuels crimes de guerre, dont des allégations contre Israël. La Palestine est l’une des 10 situations que la cour examine en ce moment. Un examen préliminaire est la première démarche dans le processus de la cour pour décider d’ouvrir ou non une enquête approfondie qui pourrait conduire à des inculpations et des poursuites.
Eté 2014, l’hôpital des Martyrs d’al-Aqsa, à Gaza, bombardé par l’armée israélienne
Toutes les parties – le gouvernement israélien et les groupes armés palestiniens – ont été accusées de crimes de guerre et tout acte commis après le 13 juin 2014 est sujet à examen. Cela inclut l’attaque de l’été 2014 d’Israël sur Gaza qui a fait plus de 2.200 morts palestiniens.
C’est le deuxième rapport de la procureure de la CPI depuis qu’elle a ouvert l’examen préliminaire sur la situation en Palestine, en janvier 2015.
Il tombe au moment où le tribunal est confronté à la plus grave crise de crédibilité et de confiance depuis qu’il a été fondé en 1998. Ces dernières semaines, l’Afrique du Sud, la Gambie et le Burundi ont annoncé leur intention de se retirer. Les Etats membres africains ont longtemps accusé le tribunal de partialité : la grande majorité de ses enquêtes et affaires concernent des pays africains.
Considérant que certains examens préliminaires peuvent durer jusqu’à 12 ans avant que la CPI décide d’ouvrir ou non une enquête, celui relatif à la Palestine est pourtant relativement nouveau.
Les rapports annuels sont les seules mises à jour officielles de la CPI sur ses affaires, et ils ne contiennent aucune suggestion qui indique vers quel côté pencherait le bureau de la procureure : ils établissent prudemment des faits et des allégations.
Toutefois, il est intéressant de noter des changements par rapport au rapport de l’an dernier - ils suggèrent que tout en rassemblant des faits, le bureau de la procureure établit une image plus complète des événements.
Cette année, elle signale qu’elle a reçu au total 86 communications, contre 66 l’année dernière, et elle dit qu’elle suit de près les développements actuels en Palestine. Le bureau a créé une base de données de 3.000 crimes et incidents allégués survenus pendant la guerre de 2014 à Gaza pour l’aider à analyser les modèles d’attaques.
L’Autorité palestinienne envoie au tribunal des rapports mensuels sur les crimes en cours.
Ci-dessous quelques-uns des changements notables dans le rapport 2016 de la procureure de la CPI, depuis l’an dernier :
- La procureure affirme maintenant qu’ « on peut arguer qu’Israël reste une puissance occupante » à Gaza. Elle n’a pas utilisé cette terminologie dans le rapport de l’année dernière, mais elle note qu’ « il s’agit d’un point de vue déjà adopté par le bureau dans le cadre de l’examen préliminaire de la situation déférée par le Gouvernement de l’Union des Comores » sur l’attaque de 2010 d’Israël contre la flottille de Gaza. Israël a insisté sur le fait qu’il a mis fin à l’occupation de la Bande de Gaza lorsqu’il a retiré ses colons et ses soldats du territoire en 2005.
- La procureure se réfère maintenant aux élections palestiniennes de janvier 2006, dans lesquelles le Hamas a battu le Fatah de l’Autorité palestinienne, comme le déclencheur d’ « hostilités périodiques » entre Israël et des groupes à Gaza, dont le Hamas. En 2015, la procureure suggérait qu’Israël a déclaré Gaza « territoire hostile » en « réponse à l’augmentation d’attaques de roquettes. » Le rapport 2016 ne fait aucune mention de Gaza comme d’un « territoire hostile », un terme inventé par Israël pour justifier ses attaques militaires sur Gaza et pour nier sa responsabilité vis-à-vis du territoire en tant que puissance occupante, en vertu du droit international.
- La procureure ne fait plus référence au kidnapping et au meurtre de trois adolescents israéliens en juin 2014 en Cisjordanie comme événement précurseur à l’offensive d’Israël contre Gaza le mois suivant.
- La procureure stipule maintenant que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies et la Cour pénale internationale considèrent que l’annexion par Israël de Jérusalem-Est est une violation du droit international. Le rapport de l’an dernier mentionnait l’annexion de la ville par Israël, mais sans noter qu’elle est considérée comme illégitime par les instances internationales.
- Le rapport de cette année comporte des allégations d’utilisation présumée de boucliers humains par les groupes palestiniens en lançant des attaques à proximité de zones civiles, dont des hôpitaux, des écoles, des hôtels et des édifices religieux. Le rapport déclare : « Ces groupes auraient ainsi agi dans le but de couvrir leurs opérations militaires et de préserver leurs ressources contre toute attaque. » En 2015, la procureure déclarait simplement que des groupes palestiniens auraient lancé des attaques depuis des bâtiments civils. Des critiques ont averti que la logique de « boucliers humains » peut dédommager les agresseurs faisant la guerre dans des centres urbains densément peuplés. Dans leur livre The Human Right to Dominate, les chercheurs Neve Gordon et Nicola Perugini établissent que le terme de « boucliers humains » est entré dans le langage israélien autour de 2006 et a depuis été utilisé comme une « justification légale et éthique de la nécessité militaire » au Liban et à Gaza.
- La procureure fournit davantage de détails sur les allégations contre l’armée israélienne à Gaza. Ceux-ci comprennent des attaques contre des civils en fuite, des immeubles résidentiels, des installations médicales, six écoles gérées par l’agence onusienne pour les réfugiés UNRWA, ainsi que sur des infrastructures civiles, y compris des installations d’eau et d’assainissement, des centrales électriques, des champs agricoles, des moquées et des établissements d’enseignement.
- Le rapport de cette année s’étend sur les activités de colonisation du gouvernement israélien en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est. Il indique qu’en plus de l’expansion d’infrastructures coloniales, le gouvernement israélien exerce une « discrimination dans le cadre de l’utilisation de l’infrastructure et des ressources de base comme l’eau, les terrains, les pâturages et le marché. »
- La procureure ajoute que selon les données israéliennes officielles, le gouvernement israélien a déclaré en 2015 plus de 15.000 acres (6100 ha) de terres de Cisjordanie « propriétés de l’Etat ». En outre, entre Janvier et Août 2016, les autorités israéliennes ont prévu 2.623 nouveaux logements coloniaux en Cisjordanie , y compris à Jérusalem-Est, dont 756 permis rétroactifs concernant des colonies non autorisées. Ceci en plus des 591 bâtiments commencés en 2015 et 760 projets réalisés ailleurs en Cisjordanie .
- Le rapport de cette année note l’escalade de violence entre Palestiniens et Israël depuis octobre 2015, dont des allégations d’attaques violentes par des Palestiniens et « des exécutions illégales et/ou l’usage excessif de la force par les forces israéliennes à l’encontre des Palestiniens. »
Des groupes de défense des droits de l’homme travaillant avec la procureure sur l’examen préliminaire, dont Al-Haq et le Centre Al-Mezan pour les droits de l’homme ont été visés par des menaces de mort et du harcèlement au cours de l’année dernière.
La procureure reconnaît ces faits dans le dernier rapport et réaffirme que la cour travaille avec les autorités néerlandaises pour faire face à la situation.
(1) Cour Pénale Internationale – Le Bureau du Procureur - Rapport sur les activités menées en 2016 en matière d’examen préliminaire , 14 novembre 2016, pp. 25-33.
Source : The Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM