FREE PALESTINE
12 mars 2016

Délégation belge en Cisjordanie

Délégation belge en Cisjordanie: «Oui, les Palestiniens sont amers»

MIS EN LIGNE LE 8/03/2016 À 18:00

http://plus.lesoir.be/29625/article/2016-03-08/delegation-belge-en-cisjordanie-oui-les-palestiniens-sont-amers

 

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Camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem. Fresque sur le « mur de séparation » construit par Israël à la lisère même du camp. © B.L.

 

Comme une impression de déprime. Pas vraiment du découragement, mais sûrement de l’amertume, une grosse amertume. Les Palestiniens rencontrés durant une semaine en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est cachent mal leurs sentiments. Six députés et sénateurs belges (1) qui ont séjourné sur place la semaine dernière à l’invitation du Conseil législatif palestinien ont pu mesurer le pessimisme ambiant, de Jérusalem-Est à Hébron, en passant par Bethléem, Ramallah ou Jéricho.

Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, aura été l’interlocuteur le plus positif, se bornant à demander « une plus grande implication de l’Union européenne  », dont la reconnaissance officielle de la Palestine « qui nous donne de l’espoir ». Et de se féliciter de la décision européenne – qui enrage le gouvernement israélien – de labelliser les produits importés des colonies juives situées dans les territoires palestiniens occupés.

Le « raïs », 80 ans, que l’on dit las, est apparu en bonne forme à Ramallah, abordant ses interlocuteurs en anglais sans éluder les questions. Ainsi, il a regretté la« malheureuse » campagne de violence au couteau contre des Israéliens, « des actions individuelles de la jeune génération, des choses que nous n’aimons pas ». Et d’évoquer les provocations israéliennes, « sur les lieux saints à Jérusalem ou contre les civils de la part des colons ».

S’agissant de la coopération en matière de sécurité entre les services palestiniens et israéliens, « Abou Mazen » l’assume pleinement, même s’il sait qu’elle compte pour beaucoup dans le taux de popularité très négatif que les sondages lui infligent. « Nous tentons d’empêcher les agressions contre les Israéliens, les responsables israéliens de la sécurité l’admettent, d’ailleurs, et disent que nous faisons 100 % d’efforts pour 100 % de succès. »

L’apartheid et Daesh

La rhétorique de Saëb Erakat, dans son fief de Jéricho, se voulait beaucoup plus offensive. « Il y a trois options, explique celui qui a mené des décennies de négociations avec Israël. La solution des deux États, c’est notre choix. La solution d’un État unique, qui serait acceptable si tous les citoyens, juifs comme arabes, jouissaient des mêmes droits, mais cela n’arrivera jamais. Et enfin, la solution actuelle : un seul État et deux systèmes de droits inégaux, cela s’appelle l’apartheid. Si Israël continue à refuser notre choix, nous aurons Daesh ici. Et croyez-moi, le premier qu’ils tueront, c’est moi ! »

L’apartheid. En Palestine, les hommes politiques comme la société civile qualifient ainsi les discriminations et humiliations imposées par l’occupant. Pour le médecin Mustafa Barghouti, qui s’est lancé en politique il y a une vingtaine d’années, l’extension de la colonisation juive en territoires palestiniens est « sans précédent ». « L’ambassadeur américain Daniel Shapiro l’a lui-même constaté en janvier, déclarant qu’il y avait deux sortes de lois en Cisjordanie, l’une pour les Juifs, l’autre pour les Palestiniens. Cela s’appelle de l’apartheid. » Et de dénoncer le triplement du nombre de colons juifs – qui atteignent désormais le chiffre de 570.000 – depuis le début du processus de paix en 1991.

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© Le Soir

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Les Palestiniens, unanimes, accusent le gouvernement de droite et d’extrême droite en Israël d’annihiler tout espoir de paix. Ainsi s’exprime par exemple Mohamed Stayyeh, économiste, plusieurs fois ministre et dirigeant du Fatah. « On ne peut croire que [le Premier ministre israélien] Netanyahou souhaite un État palestinien, il sabote au contraire cette perspective par des faits accomplis sur le terrain. Pensez que nous n’avons aucun contrôle sur notre eau que nous devons acheter aux Israéliens. Idem pour l’électricité, le ciment, etc. Et nos déplacements sont restreints. Qui viendrait investir chez nous dans ces conditions ? »

« La solution des deux États devient illusoire »

Les diplomates occidentaux à Jérusalem-Est partagent souvent ce pessimisme. « J’ai peine à voir comment survivrait un État palestinien vu la mainmise israélienne sur les ressources et la terre, confie l’un d’eux. La solution des deux États devient illusoire mais nous continuons à y travailler comme si de rien n’était. S’agissant de l’absence actuelle de négociations, les torts sont partagés, mais la puissance occupante détient néanmoins les clés : si elle voulait, on avancerait. »

D’où un malaise palpable et une situation explosive. « La rue palestinienne est mécontente, continue notre source. La nouvelle génération post-Oslo n’a jamais travaillé en Israël, elle ne connaît de ce pays que ses soldats et ses colons, soit une image extrêmement négative. La radicalisation croît. Si les gens pouvaient, ils se débarrasseraient de leurs dirigeants qui ont échoué. Ceux-ci le savent et se contentent d’un statu quo intenable mais qui, au moins, préserve leurs privilèges. »

Parmi la vieille génération, certains admettent les erreurs. Comme Adnan Husseini, « gouverneur » de Jérusalem, où il n’exerce aucune autorité. « Je compte pour zéro à Jérusalem, explique-t-il. Les discriminations sont légion, les colons s’emparent de nos maisons. Israël fait tout pour qu’on s’en aille ; il y a un plan qui tend à réduire la population arabe de la ville sainte de 38 % à 12 %. »

L’homme est comme cassé. « Nous avons opté pour la diplomatie, mais l’accord d’Oslo de 1993 s’est révélé un mauvais compromis et s’est transformé en échec. Nous sommes obligés de coopérer avec Israël sur la sécurité sinon ils désarmeront nos 36.000 policiers et ce sera encore pire. Israël est le plus fort et veut nous étouffer. Oui, les gens sont amers. Et vous, la communauté internationale, vous nous laissez seuls. »

La députée fédérale Gwenaëlle Grovonius (PS) présidait le voyage parlementaire belge en Terre sainte (1). Elle nous a confié ses impressions à l’issue de celui-ci.

Quelle était la raison de ce déplacement ?

Je préside l’Union interparlementaire section Belgique-Palestine depuis juin 2014 et j’essaie de la faire vivre par diverses activités. Nous avions reçu une invitation de nos collègues palestiniens. Sur les six membres de l’union choisis, il y a autant de couleurs politiques, dont quatre de la majorité. Il s’agissait d’aller sur le terrain pour se rendre mieux compte d’une situation très difficile, celle de la réalité de l’occupation. Nous avons préparé avec nos collègues palestiniens un programme varié nous permettant d’aller à la rencontre d’acteurs politiques de bords divers et de la société civile ; nous avons aussi inclus une journée de rencontre avec des personnalités israéliennes.

Israël vous a empêchés d’aller à Gaza, vous poussant à vous demander s’il avait « quelque chose à cacher »…

Ce refus constitue une grosse déception. L’excuse officielle de la sécurité non assurée ne tient pas puisque l’autorité qui refuse le passage dit ne pas contrôler le territoire dont question. Pourquoi, alors, cette interdiction ?

Vous avez rencontré des députés du Hamas, une organisation classée comme terroriste par l’UE…

Beaucoup reconnaissent maintenant que l’UE a commis une erreur en 2006 en ne reconnaissant pas la victoire de ce mouvement aux dernières élections palestiniennes. Une solution politique, à laquelle nous tenons, de la question palestinienne passe d’abord par la réussite du dialogue interpalestinien entre les grandes factions, Fatah et Hamas. Nous n’avons pas rencontré ces députés parce qu’ils étaient du Hamas mais parce qu’ils font partie des représentants élus du peuple palestinien. Leur avis nous importait au moment où la réconciliation nationale est d’une actualité brûlante parmi les Palestiniens.

Comment analysez-vous la rencontre avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ?

J’ai été surprise par sa simplicité et l’ai senti sincère quand il exprimait le vœu de voir rapidement se tenir des élections. Je crois qu’il sent la pression du peuple palestinien et qu’il souhaite éviter le chaos lors de sa succession grâce à un processus organisé et démocratique. La situation est explosive, la jeunesse a besoin d’espoir et le statu quo devient intenable. C’est pourquoi notre délégation a exprimé le souhait de voir la Belgique s’associer activement à ce qu’on appelle «l’initiative française» qui consiste à relancer par étapes le processus de paix d’ici une grande conférence qui se tiendrait à Paris cet été. La France a aussi annoncé qu’elle reconnaîtrait la Palestine en cas d’échec, un cas de figure dans lequel nous nous inscrivons également.

Le principal négociateur palestinien, Saeb Erakat, a été très incisif dans ses propos…

Oui, il insiste pour que les pays européens reconnaissent l’État palestinien et, aussi, boycottent les produits des colonies. J’avais déposé l’an passé une proposition de résolution en commission pour une reconnaissance immédiate ; on a préféré un texte conditionnant cette avancée à un critère, celui du « moment opportun », sur lequel, depuis lors, j’interpelle régulièrement en vain le ministre des Affaires étrangères.

(1) La délégation comportait aussi les élus suivants : Brigitte Grauwels (CD&V), Jean-Marc Nollet (Ecolo), Vincent Van Quickenborne (VLD), Piet De Bruyn (N-VA) et David Clarinval (MR).

La délégation parlementaire belge avait espéré se rendre à Gaza pour évaluer avec l’Unrwa, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, la situation vingt mois après le conflit meurtrier et destructeur de l’été 2014. Toutefois, les autorités israéliennes ont interdit le projet de se concrétiser, pour des raisons de sécurité non précisées. Quant à l’envoyé spécial du Soir, il a été empêché d’entrer dans le petit territoire palestinien par... le Hamas, qui contrôle la place avec une main de fer, au motif que son arrivée n’avait pas été « coordonnée »plusieurs jours à l’avance avec les autorités islamistes.

Abbas et Obama

Au cours de l’entrevue entre la délégation belge et le président Mahmoud Abbas, Vincent Van Quickenborne lui a demandé ce qu’il pensait de l’action de Barack Obama dans le dossier israélo-palestinien depuis sept ans. « Abou Mazen », dans un large sourire, a répondu qu’il donnerait son avis quand l’actuel pensionnaire de la Maison-Blanche aura quitté ses fonctions officielles, ce que chacun a interprété comme une pirouette destinée à éviter d’émettre des critiques acerbes envers l’homme le plus puissant au monde, qui a certes tenté d’imprimer sa marque dans ce dossier, mais qui a largement échoué.

Des démolitions en forte hausse

Parmi les rendez-vous de la délégation belge figurait une rencontre avec des membres du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Ceux-ci ont notamment rendu compte de la forte augmentation des destructions par Israël de bâtiments palestiniens financés par l’aide internationale. En janvier et février de cette année, Israël a démoli dans les territoires palestiniens occupés 121 structures financées entièrement ou partiellement par des donateurs internationaux alors que ces destructions s’étaient chiffrées à 108 pour toute l’année 2015. Israël estime illégales ces structures érigées sans permis israéliens, des permis quasi impossibles à obtenir. Ce 4 mars, les ministres belges De Croo (Coopération) et Reynders (Affaires étrangères) se sont dit « préoccupés par l’augmentation inquiétante du nombre de démolitions et de confiscations de structures palestiniennes dans la Zone C de Cisjordanie observée depuis le début de cette année ».

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