FREE PALESTINE
10 juillet 2013

Les Anne Franck de Palestine

Les Anne Franck de Palestine

mercredi 10 juillet 2013 - 07h:44

Vacy Vlazna
The Palestine Chronicle


« Grâce à son journal, Anne Franck est devenue un symbole mondial représentant toutes les victimes du racisme, de l’antisémitisme et du fascisme. Le premier message contenu dans son journal a pour but de combattre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme.  »

JPEG - 40.8 ko
L’image d’Anne Frank portant un keffieh, l’insigne de la résistance palestinienne.
(Photo fournie)


La représentation d’Anne Frank portant un keffieh par un artiste néerlandais, désigné par la lettre « T », a longtemps suscité l’indignation et la controverse bien que l’intention à l’origine avait rapport avec la mode du port du keffieh. Depuis peu de temps, l’utilisation de l’image par BDS Amasterdam ravive la controverse. Bradley Bursten, de Ha’aretz, s’est plaint : « Non, ceux qui sont touchés le plus directement par l’image d’Anne Frank – et le plus profondément heurtés – sont les survivants de l’Holocauste et leurs descendants. »

Personnellement, je pense que ce sont les mêmes personnes qui, à travers l’empathie de la souffrance, devraient comprendre la symbiose morale de l’image et sa signification tragique actuelle.

Anne Franck, adolescente juive, qui a passé deux années avec sa famille cachée dans un immeuble à Amsterdam et qui a été trahie, déportée et qui est morte à Auschwitz, le si tragiquement célèbre camp de concentration nazi, est devenue une icône bien-aimée dans les rêves des enfants anéantis par la violence, passée et présente.

La Fondation Anne Frank déclare que « Grâce à son journal, Anne Franck est devenue un symbole mondial représentant toutes les victimes du racisme, de l’antisémitisme et du fascisme. Le premier message contenu dans son journal a pour but de combattre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme.  »

Un racisme et un antisémitisme virulents persécutent un autre peuple sémite, les Palestiniens.

Anne, craintivement, écrit : « Tous les juifs doivent sortir des territoires occupés par l’Allemagne avant le 1er juillet. La province de l’Utrecht sera nettoyée des juifs (pareils à des cafards) entre le 1er avril et le 1er mai  ».

Les Palestiniens sont eux aussi diffamés par la calomnie raciale de « cafards ». L’Israélien Rafael Eitan, ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, et plus tard membre de la Knesset et du gouvernement a annoncé, « Quand nous aurons colonisé le pays, tout ce que les Arabes pourront faire sera de tournoyer comme des cafards drogués dans une bouteille. » Et la militante pour la paix, la professeure Nurid Peled-Elhanan, a fait une analyse minutieuse des ressources éducatives sionistes : «  Quand les Arabes sont représentés en image, souvent ils sont montrés comme des inférieurs aux hommes, des sous-hommes, serviles, déviants, criminels et diaboliques… (les Palestiniens) sont considérés comme des cafards, des vermines, des créatures qui doivent être éradiquées… »

Dans le contexte ici de la souffrance de la jeunesse, envisageons les similitudes entre la façon dont les nazis ont persécuté, traumatisé et assassiné Anne Frank et la façon dont sont persécutés, traumatisés, mutilés et assassinés les adolescents et les enfants de Gaza pris au piège, ou comme Anne peut l’avoir été, « enchaînés dans un lieu, sans aucuns droits », pendant 7 ans, dans le plus vaste camp de concentration du monde.

La bande de Gaza avec sa population de 1 763 387 habitants, dont 43 % ont moins de 14 ans, et avec un âge moyen de 18,1 ans, se trouve dans un état de crise humanitaire depuis que le blocus israélien illégale contrôle toutes les frontières de Gaza en collaboration avec l’Égypte.

Après l’atroce guerre israélienne de 2009/2010 contre la population sans défense de Gaza, Iman Aoun, directeur du Théâtre Astar de Ramallah a produit Les Monologues de Gaza qui se fondent sur des récits bouleversants de 31 adolescents enfermés dans le ghetto de Gaza. Telle Fateema, 14 ans, qui observe laconiquement, « Le poisson de Gaza s’enfuyait. Mais les gens ne le pouvaient pas  ».

Tout comme le monde s’est tu sur l’holocauste et le désarroi d’Anne,

« Qui nous a infligé ça ? Qui a fait de nous, les juifs, des êtres différents de tous les autres peuples ? Qui a permis que nous souffrions si terriblement jusqu’à aujourd’hui ?  ».

Qui a permis aussi les bombardements massifs sur les familles de Gaza sans défense (parce que, ironie du sort, elles ne sont pas juives), de l’arsenal israélien d’uranium appauvri, des Dense Inert Metal Explosifs (DIME), de phosphore blanc, d’obus de chars anti-personnel/anti-matériel, d’explosifs gazeux, d’armes anti-porte et anti-blindage à courte portée, de missiles Spike anti-blindage multi-usages, de bombes bunker buster GBU-28, de munitions à guidage GPS GBU-39, d’explosifs à haute sensibilité M433 de 40 mm, de cartouches HEDP à double emploi et de cartouches hautement explosives M889A1 de 81 mm, d’obus d’artillerie hautement explosifs M107 de 155 mm, de munitions bunker defeat M141 de 83 mm, et des cartouches éclairantes M930 de 120 mm, tirés par des F16, des hélicoptères, des UAV ou des drones, des blindés, des bulldozers blindés D9 de chez Caterpillar, des navires de la marine de guerre, et les forces d’occupation israéliennes, notamment ces orgueilleuses brigades Golani et Givati de Max Brenner, ainsi que l’invasion des cartouches de résine M889A1, et des chars M107 spécialement conçus pour projeter quelque 2000 éclats d’obus et défoncer les murs…

Le silence du monde a permis le massacre de 1400 Gazouis, dont 320 enfants, et de leurs rêves…

Sujoud, 15 ans, déclare, « Ils ont pris notre pays et nous ont jetés hors de nos maisons. Et parce que nous nous défendons, tout cela nous arrive. Il n’y a pas d’eau… pas d’électricité… pas de téléphone… pas d’essence… Que sommes-nous pour le monde, ne sommes-nous pas des humains ? »

Un silence s’est levé à nouveau lors de l’opération israélienne Pilier de défense en novembre de l’année dernière où 105 Gazaouis ont été assassinés, avec les rêves de 30 enfants.

Piégée dans l’annexe secrète, les bruits de la guerre terrorisaient Anne,

« Je n’arrivais toujours pas à surmonter ma peur des avions et des tirs, et je me glissais dans le lit de mon père tous les soirs pour être consolée. Je sais que ça paraît enfantin, mais attendez donc que ça vous arrive à vous ! Les armes ack-ack (anti-aériennes) faisaient tant de bruit que vous ne pouviez même entendre votre propre voix ».

Reem, 14 ans, a partagé cette terreur, « Hier, j’étais assis dans ma classe et j’ai entendu des bruits d’avions. J’ai eu vraiment peur ; j’ai voulu fuir de l’école. Je sentais que j’allais mourir car ça me rappelait la guerre. Les scènes de guerre ne me sont pas sorties de l’esprit ».

Déraisonnablement, cette angoisse des enfants de Gaza est intentionnellement accrue par Israël qui matraque régulièrement et impitoyablement les Gazouis avec ses raids de bombes soniques, principalement la nuit, qui font le bruit d’explosions massives qui peuvent provoquer des fausses couches, des attaques cardiaques, et aussi des traumatismes, des pertes de l’audition, des difficultés respiratoires, et de l’énurésie chez les enfants.

Anne décrit indirectement les ravages des bombardements sur sa ville et de façon intime, sur elle-même,

« Amsterdam Nord a été énormément bombardé dimanche. Il y a eu apparemment beaucoup de destructions. Des rues entières sont en ruines, et il faudra un certain temps pour dégager les corps. Jusqu’ici, on compte deux cents morts et d’innombrables blessés ; les hôpitaux sont pleins à craquer. On nous a dit que des enfants cherchaient d’un air triste dans les ruines fumantes leurs parents morts. Cela me donne encore des frissons de penser à ces vrombissements, sourds et lointains, qui signifiaient la destruction prochaine.  »

Ahmad, 14 ans, a vécu en direct son expérience traumatique, « A l’hôpital Shifa, j’ai vu une chose que je n’oublierai jamais. Des centaines de corps, les uns sur les autres. Leur chair, leur sang, et leurs os, tout cela se fondant sur les uns et les autres. Vous ne distinguiez pas la femme de l’homme ou même de l’enfant. Des tas de chairs sur les lits, et beaucoup de gens criaient et pleuraient, ne sachant pas où se trouver leurs gamins, leurs époux ou leurs épouses.

« Ce soir-là, je suis sorti de l’hôpital et je suis resté éveillé jusqu’au matin, par la peur. J’ai pensé que ce ne serait pas seulement ce seul soir que je ne pourrai dormir, et encore aujourd’hui, je les vois, devant moi, et je ne peux pas dormir. »

Anne redoutait la rafle des civils par la Gestapo,

« Mr Dussel nous a dit beaucoup de choses sur le monde extérieur, qui nous manque depuis si longtemps. Il avait de tristes nouvelles. D’innombrables amis et connaissances avaient été conduits vers un destin terrible. Nuit après nuit, les véhicules verts et gris sillonnaient les rues.  »

En Cisjordanie, Israël fait monter systématiquement un état d’anxiété et de peur avec ses raids nocturnes et ses invasions violentes dans les domiciles. Des arrestations d’enfants et d’adultes se produisent la nuit, quand toute la famille est brusquement tirée du sommeil, la maison envahie par des soldats armés criant et saccageant les biens de la famille puis kidnappant leur cible apeurée, laissant la famille bouleversée et sa vie dévastée.

Reuters a rapporté que selon l’UNICEF, « environ 700 enfants palestiniens, entre 12 et 17 ans, sont enlevés, détenus et interrogés par l’armée, la police et les agents de sécurité israéliens en Cisjordanie, chaque année, et subissent des traitements cruels, inhumains et dégradants en violation flagrante de la Convention des droits de l’enfant, et de la Convention contre la torture. »

Un journaliste de Gaza respecté, Mohammed Omer, souligne dans Pour les enfants de Gaza, le traumatisme est continuel  :

« La persécution nazie et la Deuxième Guerre mondiale en Europe, qui ont duré de 1933 à 1945, ont touché toute une génération d’enfants. En revanche, la dépossession et l’occupation israéliennes de la Palestine durent depuis quelques six décennies. Des générations d’enfants palestiniens ont été touchées physiquement, psychologiquement et matériellement.  »

Pour Anne, la guerre a fait apparaître une part de surréalisme dans sa vie,

« Quand je repense à ma vie en 1942, tout me semble si irréel. La Anne Frank qui a joui de cette existence céleste était complètement différente de celle qui a grandi, sage, entre ces murs ».

Pour Khalil, 13 ans, pour qui la violence israélienne continue, « Excusez-moi, mais la guerre a mis un blanc sur tous mes beaux souvenirs », dit-il quelque peu sarcastique. « La moitié de devant de ma maison a été endommagée, de sorte que je suis transféré dans une situation de vie à laquelle je n’aurais jamais imaginé être confronté un jour ». (Imemc 23 janvier 2011)

Anne a perçu qu’après mai 1940, c’en était fini des bons moments : d’abord il y a eu la guerre, puis la capitulation et l’entrée des Allemands, c’est alors que les misères ont commencé pour nous, les juifs. Notre liberté a été strictement limitée par une série de décrets anti-juifs : Anne alors liste les humiliations que les juifs ont subies sous le régime d’apartheid nazi.

La déclaration d’Anne peut facilement être reformulée pour l’adapter à l’expérience palestinienne :

« Après mai 1940, c’en était fini des bons moments : d’abord il y a eu les arrivées incessantes des colons juifs, puis la capitulation des Britanniques et la guerre israélienne et la Nakba, c’est alors que les misères ont commencé pour les Palestiniens originaires du pays. La liberté a été strictement limitée par une série de décrets d’apartheid anti-palestiniens violant le droit international : les Palestiniens qui vivent sous la loi militaire pendant que les Israël vivent sous le droit civil, des cartes d’identité à part pour les Palestiniens, une ségrégation entre les communautés juives et palestiniennes, des routes et des transports réservés aux juifs, des restrictions aux déplacements, des accès inégaux à la terre et à la propriété, des expulsions forcées et des démolitions de maisons, des Palestiniens interdits du droit au retour pendant que les juifs de partout dans le monde ont le droit de venir vivre en Israël, des déportations de prisonniers, des Palestiniens interdits de vivre avec leurs épouses arabes israéliennes, des systèmes d’enseignements séparés et inégaux, une réinstallation forcé des Bédouins. Adalah rapporte que « Rien que dans les quatre mois suivant l’arrivée de l’actuelle Knesset au pouvoir, les députés ont proposé pas moins de 29 nouvelles propositions de loi discriminatoires qui attaquent les droits des Palestiniens en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ».

Même si pour Anne, « le danger approchant (était) de plus en plus menaçant », et si elle se sentait « comme un oiseau chanteur dont on avait arraché les ailes et qui se lance contre les barreaux de sa cage sombre  », nous partageons avec elle cette métamorphose universelle déconcertante de l’adolescente en une adulte jeune débordant de ses réflexions venant du coeur, confessions, luttes émotionnelles, lamentations, de ses amours, ses peurs, ses haines, ses espoirs.

Le caractère poignant, tragique, de son existence a été qu’un mal débridé, mondialement ignoré, a abrégé sa vie, ses aspirations et sa générosité spirituelle,

« Si Dieu me laisse vivre, j’irai plus loin que maman n’est jamais allée, je ferai entendre ma voix, j’irai dans le monde et travaillerai pour l’humanité ! Je sais maintenant que le courage et le bonheur sont nécessaires en premier ! Votre Anne M. Frank ».

Comme Anne, Reem, 14 ans, avait la générosité spirituelle et une énergie de responsable que la plupart des gens n’ont pas, « Ce qui me bouleverse et me fait pleurer, ce sont les larmes d’enfants – de tous les enfants du monde quelles que soient leur nationalité, religion ou couleur. Quand je serai grand, je veux être pédiatre, et c’est l’espoir qui me donne un bon coup de pouce dans la vie. »

L’audition des chagrins, des espoirs et aspirations des enfants de Gaza pris au piège dans les cages sombres de l’oppression sioniste, l’image d’Anne Frank portant un keffieh, insigne de la résistance palestinienne, a une atmosphère de grâce et prend un sens profond.



Le docteur Vacy Vlazna est coordinatrice de Justice pour les questions de la Palestine. Elle a été conseillère en droits de l’homme dans l’équipe du GAM dans la deuxième série des pourparlers de paix d’Acheh, Helsinki, en février 2005, puis s’en est retirée par principe. Vacy a été coordinatrice du lobby Justice du Timor oriental et y a servi avec UNAMET et UNTAET de 1999 à 2001. Elle a écrit cet article pour PalestineChronicle.com

8 juillet 2013 - The Palestine Chronicle - traduction : Info-Palestine/JPP

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Visiteurs
Depuis la création 865 225
Archives