FREE PALESTINE
13 avril 2012

Günter Grass a raison de faire pression sur Israël

Günter Grass a raison de faire pression sur Israël

Le "poème-éditorial" que l'écrivain allemand a publié le 4 avril dans la presse vaut à son auteur d'être persona non grata en Israël. Jakob Augstein, chroniqueur du Spiegel online, défend Günter Grass. Il explique pourquoi il est grand temps de changer de politique vis-à-vis de l'Etat hébreu.

12.04.2012 | Jakob Augstein | Spiegel online

 
Günter Grass

Günter Grass

Ce n'est ni un grand poème ni une brillante analyse politique. Mais les quelques lignes que Günter Grass a publiées [le 4 avril, dans plusieurs titres de la presse européenne, dont la Süddeutsche Zeitung en Allemagne] sous le titre “Was gesagt werden muss”  ["Ce qui doit être dit"] compteront un jour parmi ses textes les plus forts. Ce "poème" constitue une césure. Il y aura un avant et un après cette phrase : "La puissance nucléaire d'Israël met en danger la paix dans le monde déjà fragile." Cette phrase a déclenché un tollé. Parce qu'elle est vraie. Et parce qu'un Allemand la prononce, un écrivain, un prix Nobel de littérature, parce que Günter Grass la prononce. C'est en cela que réside la rupture. Et il faut en être reconnaissant à Grass. Il a pris sur lui d'énoncer cette phrase en notre nom à tous. Il était plus que temps que le débat soit lancé.

Le débat porte sur Israël. Et sur le fait qu'Israël prépare une guerre contre l'Iran, une guerre qui peut plonger le monde dans l'abîme. Si un Allemand en parle, ce débat doit aussi concerner l'Allemagne et la responsabilité de l'Allemagne. Grass savait qu'on l'accuserait d'être antisémite. C'est le risque habituel qu'encourt un Allemand qui critique Israël. Considérant qu'il a la haute main sur le cours des relations germano-israéliennes, Mathias Döpfner, dirigeant du groupe Springer, lui a immédiatement reproché [dans les colonnes du tabloïd Bild] un "antisémitisme politiquement correct". Mais Grass n'est ni antisémite ni inconscient de l'Histoire. Grass est réaliste. Il s'en prend au potentiel nucléaire d'Israël qui "échappe à tout contrôle". Il déplore la politique d'armement de l'Allemagne qui livre à Israël un nouveau sous-marin susceptible d'être équipé d'ogives nucléaires. Et il se démarque sans détours de "l'hypocrisie de l'Occident" qui sous-tend depuis toujours - inutile pour Grass de développer ce point - notre politique au Moyen Orient, de l'Algérie jusqu'à l'Afghanistan.

Grass écrit aussi des bêtises. Il a gardé longtemps le silence, dit-il, et ne veut plus se taire - "dans son grand âge et avec ce qu'il lui reste d'encre" - et souhaite que beaucoup se libèrent avec lui de leur mutisme, tout cela n'est pas formidablement bien dit. Grass dérive aussi quand il évoque l'anéantissement du peuple iranien, danger contre lequel il met en garde alors qu'il n'est pas à l'agenda d'Israël. Ce texte aurait pu être mieux armé contre les attaques. Il n'en est pas moins le bienvenu.

Car il nous faut enfin sortir de l'ombre des déclarations d'Angela Merkel, affirmant en 2008 à Jérusalem, que la sécurité d'Israël faisait partie de la "Raison d'Etat" allemande. Depuis lors, les Israéliens tiennent l'Allemagne pour le seul pays, au côté des Etats-Unis, sur lequel ils peuvent compter.

Forts du soutien des Etats-Unis - où un président doit toujours, à la veille de nouvelles élections, s'assurer du soutien des groupes de pression juifs - et de l'Allemagne - où le dépassement de l'Histoire a désormais pris une composante militaire -, le gouvernement Netanyahou tient le monde entier en laisse et brandit la menace de guerre. "L'Israël de Netanyahou a déterminé l'agenda du monde entier comme aucun autre petit pays ne l'a jamais fait", écrit le quotidien israélien Haaretz. Du prix du pétrole au terrorisme - le monde a suffisamment de raisons de craindre une guerre israélo-iranienne. Personne ne prétend que l'Iran détient la bombe atomique. Personne ne sait si l'Iran s'active pour fabriquer à une telle bombe. Au contraire : les Américains partent de l'idée que Téhéran a arrêté son programme d'armes nucléaires en 2003. Mais cela n'intéresse pas les Israéliens. L'enjeu n'est plus pour eux d'empêcher qu'il y ait une bombe atomique iranienne. Ils ne veulent pas se confronter au type de problèmes qu'ont eus les Américains avec l'Irak : ces derniers croyaient encore qu'ils devaient prouver que leur adversaire possédait des armes de destruction massives. De telles preuves n'ont pu être apportées en Irak. Par conséquent, les Américains ont falsifié les preuves.

Israël a imposé une logique d'ultimatum au monde : il ne veut même pas du tout prouver que l'Iran possède une bombe. La doctrine israélienne est tout simplement que Téhéran ne doit pas atteindre la "zone d'immunité". C'est pourquoi Israël menace d'attaquer avant que les Iraniens puissent enterrer leurs installations nucléaires si profondément qu'elles deviennent inaccessibles, même aux bombes américaines.

Israël joue une partie de poker avec l'Iran, dont les deux pays tirent profit aussi longtemps que la guerre n'est pas déclarée. Les tabloïds qualifient le président Ahmadinedjad de "fou de Téhéran" - mais Ahmadinedjad n'est pas fou. Il veut garder ses fonctions et c'est pourquoi il réprime l'opposition : il a contré de manière sanglante la contestation de masse contre son régime il y a trois ans, et fait arrêter de nombreux leaders de l'opposition. Ahmadinedjad entretient sciemment le flou sur ses visées nucléaires. Il tire profit de cette ambiguïté sur sa stratégie tout comme les Israéliens tirent profit de leurs menaces de guerre. Les deux pays se rendent mutuellement service pour accroître leur influence au-delà de leur force réelle. Ils se trouvent dans une interdépendance perverse. Ce serait leur affaire, s'ils n'avaient pas pris le monde entier en otage. Il est temps, écrit Grass, d'exiger que "les deux pays acceptent un contrôle sans entrave et permanent du potentiel nucléaire israélien et des installations nucléaires iraniennes par une instance internationale".

L'Iran est déjà sous la pression d'une série de sanctions. Il est grand temps d'exercer désormais des pressions sur Israël. Et qu'on veuille bien noter une chose : à dire cela, on ne tente pas "relativiser la faute des Allemands en faisant des Juifs les bourreaux", comme le prétend Mathias Döpfner. Il ne s'agit pas ici de l'histoire de l'Allemagne. Il s'agit du présent du monde entier.

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