Est-il antisémite d'amalgamer les Juifs?
Cette "poignée d’auteurs antisionistes militants" n’inclut pas moins que le Bureau des Etudiants Administrateurs (BEA) et les principaux Cercles politiques de l’ULB, Amnesty International-ULB ainsi que des scientifiques de diverses universités. Et elle ne dénonce pas tant la censure à l'ULB que "la virulente campagne de diffamation orchestrée [à mon encontre] par le président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), également professeur à l’ULB, Maurice Sosnowski, et une parlementaire bruxelloise, Viviane Teitelbaum".
Christophe Goossens lui n'est autre que l'avocat de Viviane Teitelbaum dans une affaire également relative en partie à la critique d'Israël. Sans dévoiler sa cliente, l'élégance eût voulu que Maître Goossens annonça un plaidoyer pro domo. Sous le couvert d'une réaction à la dénonciation du BEA et de ses cosignataires, l'avocat de Mme Teitelbaum s'inscrit, sans surprise, dans la campagne de calomnie initiée par sa cliente et M. Sosnowski au lendemain de la dernière conférence de rentrée académique du Librex (Cercle du Libre Examen de l'ULB).
Dans sa lettre ouverte au Conseil d'administration de l'ULB, publiée dans Le Soir sous le titre "On a laissé la haine du Juif se développer au sein de l’ULB", M. Sosnowski fait part de sa "honte" que je sois "autorisé à gaver [mes] étudiants de propos haineux" et exige une condamnation des "propos vomitifs sur la Shoa et les Juifs" que j’aurais tenus lors de la conférence du Librex. Il accuse également le Vice-Recteur de l’ULB, M. Van Damme modérateur de ladite conférence, "au mieux d’incompétence" (sic) pour avoir laissé "la haine du juif se développer dans l’enceinte de l’ULB". Le président du CCOJB conclut son réquisitoire par un aveu éloquent: la conférence du Librex, "cette soirée nauséabonde n'est au fond que la conséquence de l’importation du conflit du Moyen Orient. Elle nous aura appris une fois de plus que certains par haine d’Israël, remettent en cause, sans complexe, la Shoah et menacent la dignité des Juifs ". Au delà de la désinformation criante et patente sur un débat pourtant disponible sur la toile, c'est donc bel et bien la critique de la politique israélienne qui est fondamentalement au cœur de la polémique. C’est ainsi au moment précis où j'évoque Israël dans ce bien nommé "débat sur la liberté d'expression dans notre société" que M. Sosnowski provoque une première interruption des débats.
En sa séance du 14 mars 11, le Conseil d'Administration de l’ULB a classé sans suite la plainte de M. Sosnowski sur la proposition du Recteur, M. Didier Viviers, qui après information et audition de l'enregistrement de la conférence controversée en conclut que je n’y ai tenu aucun propos antisémite ou négationniste. Dans un courrier envoyé le 5 avril 11 à M. Sosnowski et à l'auteur, le Recteur confirme: "j'estime que [Souhail Chichah] n'est ni négationniste, ni antisémite".
Goossens me reproche aussi de vouloir "assimiler les Juifs d’hier aux immigrés d’aujourd’hui". L'ignominie! J'établis un parallèle entre l’immigration des années ’30 et celle d'aujourd'hui. Comme Badiou et Hazan: "l’antisémitisme d’opinion des années trente était une composante du sentiment antipopulaire qui stigmatise toujours les derniers arrivants : (…); après la guerre de 14-18, les Polonais, les Juifs de l’Est, les Espagnols ; après la seconde Guerre mondiale, les Portugais et, avec une forte composante raciste supplémentaire, exacerbée par les guerres coloniales, les Algériens et les Marocains. Si l’on ne saisit pas cette continuité, on ne peut comprendre ni l’antisémitisme d’avant-guerre, ni la situation actuelle". En Belgique, la grande majorité des Juifs d’avant-guerre est bel et bien d’immigration récente et de condition modeste, ce qui n’a rien de déshonorant dans la bouche d’un fils d’ouvrier marocain. N'en déplaise à mes infatigables détracteurs peu férus d’histoire. Et si comme le prétend Goossens, l’évocation des stéréotypes de l’époque sur les Juifs offense la mémoire des parents de M. Sosnowski et de Mme Teitelbaum, que ces derniers ne se méprennent, j’aime autant qu’eux mes parents qui souffrent toujours aujourd’hui de ce même capital symbolique négatif, à l'instar de tant d'immigrés.
Goossens me porte également grief de "regretter à demi-mot qu’il y ait "une vérité officielle" sur le génocide juif". Bien plus, je regrette ouvertement la ratio legis mémorielle, qu'elle soit relative à l’un des génocides nazis ou qu’elle"exprime sa reconnaissance à l'œuvre accomplie par la France (…) dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française" (sic). Pour toutes les raisons développées par l’appel "Liberté pour l’Histoire" cosigné par des historiens aussi suspects de judéophobie que Badinter ou encore Barnavi. Comme l'explique par ailleurs l’historien Staszewski, les lois mémorielles sont évidemment contre-productives dans la lutte contre le négationnisme. Pour ma part, la question du négationnisme ne m’intéresse pas. Je ne vois en effet aucune raison de remettre en question la réalité génocidaire nazie. Encore moins de la minimiser au regard de l'inquiétante xénophobie ambiante. Mais ne faut-il pas laisser à chacun la liberté de questionner tout élément de connaissance ou de croyance?
Si l'argumentaire de Goossens repose sur un décadrage malicieux de mes propos, l'avocat n'honore pas plus sa déontologie lorsqu’il suggère - sans pouvoir me citer - que j’aurais "nazifié" Israël. De fait, film de la conférence à l'appui, je n’ai pas établi un parallèle entre les régimes israélien et nazi mais me suis en réalité prononcé sur la légalité d’une telle mise en perspective. La nuance échappe sans doute à notre brillant juriste. Ainsi, j’apportais un complément d'information à une question posée à l’un des orateurs de la soirée qui regrettait que l’on ne puisse critiquer Israël sans se faire traiter d’antisémite. Cette question posée précisément par Maître Goossens, décidément fort présent, demandait à ce conférencier, avocat également, s’il pouvait étayer sa dénonciation du chantage à l’antisémitisme d’un seul exemple de poursuite judiciaire dans le cadre d’une critique d’Israël. Le second homme de lois interpellé n’eut aucune peine à répondre en évoquant un procès qu’il venait de remporter. J’ai dans ce contexte rappelé un jugement interpellant eu égard à l'objet du débat de la soirée. Pour un montage vidéo qui comparait un ministre israélien à Hitler et Tsahal à l'armée nazie pour en conclure "même crime, même histoire", un premier juge avait retenu les infractions de négationnisme et d’incitation à la haine raciale. La Cour d’Appel de Bruxelles a cependant acquitté de ces deux préventions. La Cour d’Appel a ainsi rejeté la prévention de négationnisme au motif que les intéressés "n'avaient eu nullement pour intention de nier, de minimiser, de justifier ou d'approuver le génocide commis par le régime national-socialiste allemand mais bien, au contraire, d'en rappeler l'horreur et de souligner celle qu'ils reprochaient au gouvernement israélien".
La Cour d’Appel a également rejeté la prévention d’incitation à la haine raciale. En effet, elle a considéré que cette vidéo "apparaît plutôt comme la critique de la politique [israélienne], présentée comme intransigeante, raciste et violente - principalement à l'égard des populations civiles". La jurisprudence autorise donc le constat que Maître Goossens mobilise à contre-vérité : "Il est permis aujourd’hui dans notre pays de comparer les dirigeants d’Israël à des Nazis". Ce que notre rhéteur, encore plus distrait que malicieux, sait fort bien puisqu’il fut l’avocat de Vivianne Teitelbaum, partie civile déboutée au procès susmentionné.