FREE PALESTINE
2 février 2011

La révolution continue après la chute de Moubarak

La révolution continue après la chute de Moubarak

mardi 15 février 2011 - 16h:07

Ali Abunimah

Hier soir, après l’annonce que Hosni Moubarak avait répondu à la première exigence de la révolution et quitté son job, je suis parti vers l’ambassade égyptienne d’Amman. Dans les rues, la joie était une expérience comme je n’en avais jamais connue auparavant.

 

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La place Tahrir, le jour où Moubarak a annoncé sa démission - Photo : Matthew Cassel

De partout, les gens venaient, sortant des voitures bloquées dans le trafic figé sur Zahran Street et dans la rue latérale où se situe l’ambassade. C’était des jeunes et des vieux et des familles avec les enfants. Des travailleurs égyptiens — la colonne vertébrale non reconnue d’une grande partie de l’économie jordanienne — chantaient, se portaient l’un l’autre sur les épaules et tambourinaient. Les drapeaux égyptiens s’agitaient et les pancartes étaient tenues bien hautes.

Les slogans étaient aussi variés et vivants que la foule qui atteignait des milliers : « Longue vie à l’Égypte ! », « Le peuple à renversé le régime ! », « Qui va suivre ?, » « Demain Abbâs ! ». Certains jetaient à la foule des bonbons, tandis qu’éclataient des feux d’artifice. Tout le monde photographiait, enregistrait un moment de victoire qui pour eux était fait de notre part à tous par le peuple égyptien.

Après la Tunisie, un second pilier de l’oppression avait été abattu, au prix si élevé des centaines qui ont donné leur vie, et de tous les millions qui ont vu leur vie détruite pendant tant d’années. C’était une nuit de joie, et les célébrations continuent aujourd’hui.

Après la fin des festivités, la révolution doit continuer, parce qu’elle ne sera pas complète tant que le peuple égyptien n’aura pas reconstruit son pays comme il le souhaite.

Mais ici dans les rues d’Amman, il n’y avait pas erreur sur le fait que la révolution égyptienne aura un impact profond sur toute la région. Les Arabes s’imaginent maintenant partout comme des Tunisiens et des Égyptiens. Et chaque dirigeant arabe s’imagine comme un Ben Ali ou un Moubarak.

La révolution a réveillé le sens d’une destinée commune pour le monde arabe que beaucoup avaient cru perdue, qui semblait naïve quand nos mères et nos pères nous décrivaient leur jeunesse, et que certainement les leaders arabes avaient tenté de tuer. Les dictateurs arabes, qui sont aussi morts de l’intérieur que Moubarak tel qu’il s’est montré lors de ses horribles discours télévisés, ont cru que les esprits des peuples étaient aussi morts. Les révolutions ont restauré un sentiment de possibilités illimitées et le désir que le changement s’étende d’un pays à l’autre.

Quoi qu’il arrive, la révolution égyptienne aura aussi un effet profond sur l’équilibre régional des pouvoirs. Sans aucun doute, les États-Unis, Israël et leurs alliés sont déjà plus faibles. D’abord, ils ont perdu la Tunisie, puis ils ont souffert d’un recul sévère avec l’effondrement du gouvernement libanais de Rafic Hariri soutenu par les USA, et maintenant Moubarak et Omar Suleiman, les collaborateurs les plus proches et les plus enthousiastes d’Israël à l’exception possible de Mahmoud Abbas et ses copains à Ramallah.

Dans beaucoup d’esprits — particulièrement israéliens et américains — la question a été si le nouveau gouvernement égyptien démocratique déchirera le traité de paix de 1979 avec Israël. Ceci dépend bien sûr du peuple égyptien, même si le gouvernement militaire transitoire a confirmé dans son quatrième point l’adhésion de l’Égypte à « tous les traités internationaux et régionaux ».

Mais le traité n’est pas la vraie question. Même si l’Égypte démocratique maintient le traité, le traité n’a jamais exigé de l’Égypte qu’elle rejoigne les conspirations israéliennes et américaines contre d’autres Arabes. Il n’a jamais exigé de l’Égypte qu’elle devienne la clé de voûte d’une alliance sous-direction américaine avec Israël et l’Arabie Saoudite contre un Iran soi-disant expansionniste. Il n’a jamais exigé que l’Égypte adopte et dissémine la rhétorique vile et sectaire « Sunnites contre Shiites » qui a délibérément été utilisée pour étayer ce discours de confrontation. Il n’a jamais exigé que l’Égypte participe au siège cruel de Gaza par Israël ou qu’il collabore étroitement avec les services de renseignements contre les Palestiniens. Il n’a jamais exigé que l’Égypte devienne un centre mondial de la torture pour les États-Unis dans sa soi-disant « guerre contre le terrorisme ». Le traité n’a jamais exigé que l’Égypte abatte les immigrants traversant le Sinaï, venant d’autres parties d’Afrique, pour simplement empêcher les Israéliens de voir des Noirs à Tel-Aviv. Aucun traité n’a demandé à l’Égypte d’accomplir ses politiques et bien d’autres plus honteuses qui ont gagné à Hosni Moubarak et à son régime la haine de millions d’Arabes et d’autres, bien au delà des frontières égyptiennes.

Il ne fait pas de doute que les États-Unis n’abandonneront pas leur hégémonie en Égypte facilement, et feront tout leur possible pour contrecarrer tout mouvement égyptien vers une politique régionale indépendante, en utilisant comme levier ses liens profonds et l’aide énorme à l’armée égyptienne qui dirige maintenant le pays. Les ambitions régionales des États-Unis restent la menace extérieure principale au succès de la révolution égyptienne.

Quelle que soit la rupture ou la continuité avec la politique égyptienne passée, les calculs ont changé pour les membres restants de la soi-disant « alliance des modérés », particulièrement l’Arabie Saoudite — qui aurait offert de soutenir Moubarak financièrement si les USA retiraient leur aide —, la Jordanie et l’Autorité palestinienne.

Pendant de nombreuses années, ces régimes, comme l’Égypte, ont parié leur sécurité et leur survie sur une alliance virtuellement inconditionnelle avec les États-Unis : ils abandonnaient toute position digne, indépendante et de principe et adoptaient les aspirations hégémoniques de l’Amérique comme leurres, en échange d’une aide, et ce qu’ils espéraient était une garantie que les USA viendraient à leur secours s’ils avaient des ennuis.

Ce que les révolutions démontrent à tous les régimes arabes, c’est : les États-Unis ne peuvent pas vous sauver à la fin. Aucune quantité d’« assistance sécuritaire » (entraînement, gaz lacrymogènes, armes), aucune aide financière ou coopération des agences de renseignement des États-Unis ou de France ne peut résister à une population qui a décidé qu’elle en avait assez. La marge de manœuvre de ces régimes s’est rétrécie même si le type de soulèvement vu en Égypte et en Tunisie n’est pas éminent ailleurs.

Après les révolutions, les attentes des peuples se sont élevées et leur tolérance pour les vieilles façons de faire a diminué. Que les choses se poursuivent comme avant quelques semaines, quelques mois ou même quelques années dans ce pays où celui-là, les pressions et les exigences de changement seront irrésistibles. Les régimes arabes restants ne doivent plus maintenant se demander si mais quand le changement aura lieu.

Les régimes qui se sont fiés si longtemps sur la répression, la peur et la docilité de leurs peuples attendront-ils la révolution, ou bien laisseront-ils tomber leur pouvoir immérité et entreprendront t-ils une démocratisation réelle, volontairement, rapidement et honnêtement ? Ceci demanderait non seulement un changement dramatique de politique intérieure que les régimes seront capables ou non de faire volontairement, mais aussi un réexamen profond des alliances externes et des engagements qui ont servi en premier lieu à Israël, aux États-Unis et aux régimes aux dépens de leurs peuples.

La Jordanie est maintenant un exemple frontal où un tel réexamen est demandé d’urgence. Que le nouveau cabinet soit capable ou non (et je pense, presque certainement, que non) de satisfaire les attentes publiques pour la démocratisation, la lutte contre la corruption et la fin des pires politiques néolibérales qui ont mis tant de ressources et de compagnies du pays dans des mains privées irresponsables, la politique étrangère du pays doit être complètement revue.

Ceci inclut la relation ouvertement dépendante des États-Unis, les relations avec Israël, la participation à la parodie du « processus de paix », l’entraînement des forces de sécurité utilisées par Mahmoud Abbâs contre d’autres Palestiniens en Cisjordanie, et l’implication profondément impopulaire dans la guerre de l’OTAN et l’occupation en Afghanistan. Jusqu’à présent, ces questions ont été décidées sans aucune considération de l’opinion publique.

Et en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbâs est dans une situation plus précaire que jamais. Sa perte de légitimité est si profonde — particulièrement après la révélation des mémos Palestine — qu’elle n’existe que grâce à la protection de l’occupation israélienne, à l’entraînement par les USA et l’EU de ses forces de sécurité répressives, et au financement massif de l’EU pour payer les salaires de son enflure bureaucratique.

Les leaders de l’AP sont aussi morts à la juste cause et aux aspirations à la libération du peuple palestinien pour lesquels tant a été sacrifié, que Moubarak l’a été aux droits et aux espoirs du peuple égyptien. Il n’est pas surprenant que l’AP fasse appel de plus en plus à des manières de voyous et aux tactiques de la police d’État si réminiscences de Moubarak et de Ben Ali.

Les révolutions dans le monde arabe ont dégagé nos horizons. De plus en plus de gens peuvent voir maintenant que la libération de la Palestine de la colonisation sioniste et de l’oppression financée par les USA et l’UE, pour en faire un lieu sur et humain pour tous ceux qui y vivent pour exister dans l’égalité, n’est pas seulement un slogan utopique mais est dans nos mains si nous nous battons pour elle et restons fermes sur nos principes. Comme le pouvoir du peuple, contre lequel les Etats policiers égyptiens et tunisiens ont été à la fin impuissants, les Palestiniens et leurs alliés (particulièrement ceux qui soutiennent le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions) ont le pouvoir de transformer la réalité dans les prochaines années.

Sous quelque forme que la révolution continue, les peuples disent à leurs dirigeants : nos pays, nos futurs, ne vous appartiennent plus. Ils nous appartiennent.

Ali Abunimah est rédacteur en chef de The Electronic Intifada et l’auteur de One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse.

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Du même auteur :

-  Le soulèvement en Egypte et ses implications pour la cause palestinienne - 31 janvier 2011 
-  Le massacre de Gaza et la lutte pour la justice - 30 décembre 2010 
-  Israël pense que nous sommes « très forts » ... Alors aidez-nous à le rester. - 17 décembre 2010 
-  La Banque mondiale occulte-t-elle les mauvais chiffres de la « croissance » économique en Cisjordanie ? - 5 septembre 2010 
-  Pourparlers directs : qui va tirer les marrons du feu ? - 2 septembre 2010 
-  Le Hamas, l’IRA et nous - 2 septembre 2010 
-  La droite israélienne embrasse-t-elle la solution à un État ? - 26 juillet 2010 
-  Un nouvel échec de la propagande israélienne : des photos montrent des passagers du Mavi Marmara venant en aide à des soldats israéliens - 7 juin 2010 
-  Le jour où le monde s’est identifié à Gaza - 5 juin 2010 
-  L’ hypocrite campagne de boycott de l’Autorité de Ramallah - 30 mai 2010

 

 

12 février 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : Jean-Pierre Bouché

http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=10166

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