Proinsias De Rossa :
"l'UE adoptera une ligne plus ferme à l'égard d'Israel à l'avenir"
Député européen depuis 1999, Proinsias
De Rossa est Président de la
Délégation pour les relations avec le Conseil législatif palestinien.
Ancien ministre irlandais, il est membre du Groupe de l'Alliance
Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen.
Quelques jours avant la visite du Haut Représentant Catherine Ashton au Moyen-Orient et alors que le Vice président américain Joe Biden se trouvait en Israel, le Premier ministre israelien, Benjamin Nétanyahou, annonçait le projet de construction de nouvelles colonies à Jérusalem-Est. Touteleurope.fr a recueilli les analyses de Proinsias de Rossa, député européen et Président de la délégation pour les relations avec le Conseil léglislatif palestinien sur les dernières évolutions du conflit israélo-palestinien.
Pourquoi les colonies récemment annoncées
posent-elles problème ?
Tout d'abord, parce que ces
colonies dépossèdent les Palestiniens de leur territoire. Ensuite, parce
qu'elles fragmentent le territoire de l'État de Palestine prévu par
l'accord d'Oslo et par l'initiative de paix arabe.
Pourquoi la
colonisation a-t-elle repris aujourd’hui ?
Le processus de
colonisation est en œuvre depuis quarante ans, depuis l'occupation en
1967. Les terres palestiniennes ont été spoliées pour y installer des
colons. Malgré le gel temporaire de l’expansion des colonies annoncé par
le Premier Ministre Benyamin Nétanyahou, de nouvelles colonies
s'implantent toujours. Il est probable que celui-ci cherche à
déterminer jusqu'à quel point il peut mettre à l'épreuve les États-Unis
ainsi que les Palestiniens avant que ceux-ci ne réagissent.
Que peut faire l'Union européenne à cet
égard ? Des sanctions seraient-elles appropriées dans cette situation ?
Le
terme "sanction" est très large : il peut simplement désigner un refus
d’entretenir des relations avec Israël au niveau européen ou la
suspension des relations commerciales, ou encore des actes "moins
graves" dirons-nous comme la remise en cause de l'accord commercial qui
donne à Israël un accès aux marchés européens en franchise de droits. Ce
coup dur n’empêcherait toutefois pas les Israéliens d'exporter vers le
marché européen. Mais ils ne bénéficieraient plus des avantages
financiers de la vente de leurs marchandises sur le marché de l'UE hors
taxe.
Jusqu'à présent, l'UE n’a même pas voulu évoquer une telle
hypothèse. Je pense que, compte tenu de la situation actuelle, il est
nécessaire que l'Union européenne aille au-delà des déclarations sur le
caractère inacceptable du siège de Gaza et sur l’illégalité des
colonies. L’UE doit clairement indiquer à Israël qu’au-delà d'une
certaine limite, elle devra prendre des mesures pour marquer sa
désapprobation. Cela pourrait naturellement être rangé dans la rubrique
"sanctions".
Pensez-vous
que ce type d'action bénéficierait d’un soutien au sein de l'UE ?
Il
y a certainement une volonté d’utiliser un langage plus péremptoire. Je
suis frappé par la fermeté du Haut représentant Catherine Ashton dans
son discours devant la ligue arabe le 15 Mars.
Les conclusions du
8 décembre votées à l'unanimité par le Conseil énoncent clairement la
position de l'UE. Pour Mme Ashton, ce document est le point de départ
des négociations. Elle indique clairement que Jérusalem-Est a été
illégalement annexée et que Jérusalem doit être la capitale des deux
États, palestinien et israélien.
Les Israéliens ont, délibérément
ou maladroitement, créé une situation qui obligera les États-Unis et
l'Union européenne à adopter une ligne plus ferme à leur égard dans un
avenir proche.
Quel sera le
résultat de la visite de la Haute Représentante Catherine Ashton cette
semaine ?
Le choix d’une visite au Moyen-Orient à ce stade
précoce est important. Rappelons que Mme Ashton n’occupe ce poste que
depuis quelques semaines. Sa visite à Gaza est essentielle car elle va
montrer à cette population que l’Europe ne les a pas oubliés. Le fait
que les Israéliens aient abandonné leurs objections à sa visite à Gaza
est révélateur. Par le passé, ils ont bloqué l'entrée à Gaza des
ministres français et irlandais des Affaires étrangère, de même pour la
délégation du Parlement européen, que j'ai moi-même dirigé en décembre
dernier. Il est clair qu’ils sentent que cette position n’est plus
tenable. À mon sens, l’autre élément intéressant du discours au Caire de
cette semaine est qu’il donne à penser que l'Union européenne pourrait,
dans certaines circonstances, faire affaire avec le Hamas.
Quel est le rôle de la délégation du
Parlement européen ?
Je pense que la délégation a pour
objectif premier de maintenir le contact avec les représentants du
peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza et d’informer les
Palestiniens et les autres pays de la région comme l'Égypte, la Syrie et
la Jordanie sur la position du Parlement européen car nous ne
représentons ni le Conseil, ni la Commission.
Nous sommes
favorables à deux États, solution préconisée par la feuille de route du
Quartet et par l'Initiative de paix arabe. Il est également essentiel
que nous soyons actifs au sein du Parlement européen pour sensibiliser
les membres qui ne peuvent pas être au fait de l’actualité en matière de
politique internationale. Notre rôle consiste à tenir le Parlement
parfaitement informé. Dans le récent débat sur le rapport Goldstone sur
la guerre de Gaza de l'hiver 2008, nous avons fait en sorte d’assurer
une majorité au Parlement.
Qu'avez-vous
fait pendant le voyage de votre délégation au Moyen-Orient en décembre
dernier ?
Nous avons eu un programme de quatre jours assez
intensif, qui comprenait notamment une visite à Hébron. Nous avons
rencontré le président du Conseil législatif palestinien, élu sur la
liste du Hamas aux dernières élections. Nous avons rencontré les membres
du CLP à Ramallah, puis les représentants de l'Union européenne à
Jérusalem-Est. Nous avons également étudié la vieille ville et la façon
dont les colons israéliens prennent possession des lieux. Nous avons
encore visité le quartier de Cheikh Jara d’où sont expulsés les
Palestiniens pour faire place à des colons israéliens.
Nous avons
ensuite rencontré le maire d'Hébron, le ministre palestinien des
Affaires des Prisonniers, puis le Premier ministre de l’Autorité
palestinienne, Salam Fayyad, qui a décrit le plan de développement des
institutions palestiniennes en deux ans et ses projets pour la création
d'un État palestinien. Nous avons reconnu l'importance de la déclaration
du 8 décembre qui appelle à la reprise urgente des négociations qui
mèneront à l'État d'Israël vivant dans la paix et la sécurité aux côtés
d’un État de Palestine indépendant, démocratique et viable.
La présidence espagnole a déclaré qu'elle
souhaitait voir la création d'un État palestinien d'ici 2010. Cet
objectif est-il réalisable cette année ?
Le Parlement
européen espère l’établissement d’un État palestinien dès que possible.
Mais je ne suis pas sûr que 2010 soit une date réaliste. Pour des
négociations fructueuses ou une déclaration unilatérale d'un État
palestinien, qui est aussi une possibilité, la fin de l'année 2011
serait un délai plus raisonnable. À cette date, la période de deux ans
dont a parlé Salam Fayyad pour la création d’institutions aura donné des
résultats. Les autorités israéliennes sont bien conscientes de la
possibilité d'une déclaration unilatérale à ce stade. Toutefois, une
solution négociée serait préférable, pas seulement entre Israéliens et
Palestiniens pour mettre fin au conflit, mais une solution qui inclut
les autres États de la région : Syrie, Jordanie, Égypte et Liban. Ce
qu’il nous faut, c’est un accord qui règle les conflits entre tous les
pays de la région.
En savoir plus :
Discours du HR Catherine Ashton, "A Commitment to Peace – the European Union and the Middle East", Caire, le 15 mars 2010
Communiqué de presse sur les Conclusions du Conseil des affaires étrangères sur le processus de paix au Moyen Orient du 8 décembre 2009
Dossier de Touteleurope.fr sur les relations extérieures de l'Union européenne