'En Israël on ne loue pas aux arabes'

Les familles Zakai et Tarabin pourraient être l’image même de la
coexistence pacifique entre les peuples, un modèle à imiter en Israël.
Mais Natalie et Weisman Zakai racontent que ces trois dernières
années - depuis que le couple juif proposa de louer sa maison à des amis
bédouins, Ahmed et Khalas Tarabin - ont été un véritable enfer.
«J'ai
toujours aimé Israël", déclare Mme Zakai, 43 ans. "Mais la découverte
de l’intensité du racisme de nos voisins (juifs) m’a fait m’interroger
sur la raison de notre présence dans ce pays».
Trois des
six chiens du couple ont été mystérieusement empoisonnés, la voiture de
Mme Zakai a été taguée avec les mots "amoureux des arabes" [arab lover]
et ses fenêtres brisées; ses trois enfants à l'école sont régulièrement
insultés et victimes d'intimidation par d'autres élèves, et une
collection de voitures anciennes dans la cour de la maison a été
détruite dans ce que la police à désigné comme un incendie volontaire.
En plus de ce harcèlement, les Zakaï ont dépensé des milliers de
dollars dans un combat judiciaire de trois ans contre les élus de leur
commune de Nevatim, dans le sud du Negev, qui ont juré d’empêcher les
Tarabin d’emménager dans la maison.
La semaine dernière, la
procédure judiciaire intentée par les Zakaï paraissait sans espoir. La
Cour suprême a dit aux deux familles que les Tarabins devraient
soumettre leur demande à l’approbation d’un comité de responsables
locaux pour évaluer leur aptitude à vivre dans cette commune (une
exigence unique dans l’histoire pour la location d’une maison).
"La
décision de la commission est connue d'avance", a déclaré M.Tarabin.
Les chances pour que des Juifs et des Arabes vivent ensemble - en
dehors d'une poignée de villes - sont à peu près nulles parce que la
ségrégation est stricte dans les communes rurales, a déclaré Alaa
Mahajneh, un avocat représentant la famille Zakai.
Israël a
nationalisé 93% du territoire du pays, en confinant la plupart de ses
1,3 millions de citoyens arabes, un cinquième de la population, dans
environ 120 communes qui existaient déjà au moment de la création de
l'Etat en 1948.
Dans le même temps, plus de 700 communes
rurales, y compris Nevatim, sont restées exclusivement réservées aux
juifs, en exigeant que toute personne qui veut y acheter une maison se
soumette aux procédures de filtrage des comités locaux, qui sont
utilisées pour éliminer les candidats arabes.
Mais M.
Mahajneh, du centre juridique Adalah pour la minorité arabe, a noté que
la justification légale pour une telle ségrégation était censée avoir
pris fin il y a une décennie, lorsque la Cour suprême a soutenu la cause
d’un ménage arabe, les Kaadan, qui s’était vu interdire de résidence
par un comité local de Katzir, dans le nord d'Israël.
Bien
que les Kaadans aient finalement été autorisés à déménager à Katzir,
l'affaire n’a eu que peu d’effet positif pour les autres familles
arabes.
En fait, dit M. Mahajneh, la décision concernant les Zakaï
démontre que nous avons régressé.
Les Kaadans ont gagné le droit
d'acheter une maison dans une communauté juive, tandis que la famille
Tarabin ne cherche qu’une location à court terme de la maison des Zakaï.
Les Zakaï ont déclaré avoir été informé par les
fonctionnaires de Nevatim, une communauté de 650 Juifs à quelques
kilomètres de la ville de Beersheva, que cela ne serait pas un problème
de louer leur maison.
Mme Zakai a présenté les cartes
d'identité de Tarabin aux bureaux de la collectivité pour les formalités
administratives de routine. "Lorsque je lui ai remis les cartes,
l’employé a examiné la carte et dit: « Mais ils sont musulmans ».
Plus
tard, selon Mme Zakai, le chef du conseil, Avraham Orr, a téléphoné
pour leur signifier que pour venir s’installer, les arabes « devraient
passer sur son cadavre ».
Mme Zakaï raconte que plusieurs
semaines plus tard, deux hommes menaçants sont venus à leur porte pour
les avertir de ne pas louer à des arabes. Peu après, 36 voitures
appartenant à la société de location de véhicules de Mr Zakaï ont été
incendiées.
Puis, sans avertir les Zakaï, les autorités
locales de Nevatim sont allées voir un tribunal local pour obtenir une
ordonnance les empêchant de louer leur maison. Le couple se bat contre
cette décision depuis ce jour.
M. Mahajneh raconte que les
Tarabin ont dû accepter une série de clauses extraordinaires rajoutées
par la localité de Nevatim sur leur contrat de location, y compris des
certificats de bonne conduite de la police, l’engagement de partir au
bout d’un an, et un accès limité au vaste terrain de la maison.
Mais
cela ne suffisait à calmer le mécontentement des fonctionnaires de
Nevatim, qui ont insisté pour que les Tarabin se soumettent à un
interrogatoire mené par un comité d'examen des candidatures, pour en
évaluer la pertinence. Bien que 40 autres maisons de Nevatim soient
louées, raconte M. Mahajneh, les témoignages d'anciens membres du
comité de filtrage ont montré que c'était la première fois qu'une telle
demande était faite.
«Il est vrai que quiconque achète une
propriété dans Nevatim est censé être auditionné par le comité, mais il
n'y a aucune référence dans les statuts de la communauté pour que cette
condition s’applique aux locations», a déclaré M. Mahajneh.
En
2008, un juge du tribunal de district de Beersheva a annulé cette
nouvelle condition, arguant que qu’elle serait «déraisonnable et non
objective ».
Les juges de la Cour suprême ont cependant pris le
partie de Nevatim dans leurs conclusions finales le 10 mars.
Mme
Zakai explique qu'ils avaient proposé de louer leur maison aux Tarabin
après que la maison du couple fut brûlée dans leur village au début de
2007, tuant un de leurs 10 enfants. Les Tarabins ont vécu depuis chez
des parents, incapables de s'offrir une nouvelle maison et désireux de
s'éloigner du lieu du drame.
M. Tarabin, 54 ans, a déclaré:
«Je voulais que Khalas (sa femme) puisse se reposer et guérir et ce
lieu aurait été parfait pour elle. La maison a un grand terrain que nous
aurions pu garder pour nous. Personne à Nevatim n’aurait eu à nous
fréquenter s’ils ne le souhaitaient pas. »
Un résident de
Nevatim qui s’est exprimé anonymement au journal Haaretz la semaine
dernière, a suggéré des raisons à l'opposition de la communauté:
«
Si demain toute la tribu Tarabin veut vivre ici et que nous ne les
acceptons pas, que diront les gens? Le problème va commencer avec
l’arrivée du premier, car après des dizaines d'autres familles voudront
venir ici. »
Les liens étroits tissés entre les Zakaï et
les Tarabin sont une chose rare en Israël. Le statut des juifs leur
octroie des privilèges juridiques et économiques et la ségrégation dans
les communes et l'hostilité provoquée par un conflit national plus vaste
entre Israël et les Palestiniens font en sorte que les citoyens juifs
et arabes ne se mélangent pas.
Mais M. Zakai, 53 ans, dont
les parents ont émigré en provenance d'Irak et qui parle couramment
l'arabe, s’est lié d'amitié avec M. Tarabin à la fin des années 1960
quand ils étaient adolescents à Beer-Sheva. Plus tard ils ont servi
ensemble dans l'armée israélienne comme ingénieurs en mécanique.
Mme Zakai explique que «si les juifs se voyaient refuser le droit
de vivre quelque part, ce serait un scandale, mais parce que nos amis
sont des Arabes, personne ne s'en soucie.»
Avraham Orr, le
chef du conseil de Nevatim, a nié qu'il s’opposait à l'admission de
Tarabin parce qu'ils sont arabes. "Il ya des règles", dit-il. « Toute
famille qui veut acheter ou louer un bien immobilier doit d'abord passer
par le comité. »
Par crainte des conséquences de l'arrêt
Kaadan, les communautés juives de Galilée ont mis en place l’année
dernière de nouvelles mesures pour barrer l’accès aux candidats arabes.
Ils ont introduit dans les règlements l’obligation pour les candidats de
prêter un serment de fidélité en s’engageant à soutenir « le sionisme,
l'héritage juif et la colonisation des terres».
Jonathan Cook. Journaliste basé à Nazareth.
Traduction: Altynbek Bizhanov.