FREE PALESTINE
24 décembre 2009

La croix gammée et le turban: la tentation sioniste d'Arte?

La croix gammée et le turban: la tentation sioniste d'Arte?

[ 18/12/2009 - 18:11 ]

Source: Michel Collon


Gregoire Lalieu

Vendredi 18 Décembre 2009


Ce neuf décembre, Arte diffusait le film d’Heinrich Billstein, La croix gammée et le turban, la tentation nazie du Grand mufti. Le documentaire revient sur les liens qu’entretenait Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, avec l’Allemagne d’Hitler. Il s'agit d'un thème souvent instrumentalisé par la propagande pro-israélienne. L'émission d'Arte était-elle objective?

Avant que l’émission commence, la voix suave de la speakerine d’Arte nous annonce « une page méconnue de l’Histoire ». La sympathie d’Amin al-Husseini pour le régime nazi n’est pourtant pas un secret. C’est d’ailleurs un thème fréquent de la propagande pro-israélienne visant à légitimer l’occupation des territoires Palestiniens. On pourrait en effet se demander pourquoi l’Etat d’Israël, soi-disant offert au peuple juif pour panser les blessures du génocide, a été créé en Palestine. Les Palestiniens n’avaient pourtant rien à voir avec tout ça. « Erreur ! » prétendent certains historiens. Le Grand mufti de Jérusalem collabora activement à l’entreprise nazie. La responsabilité du leader palestinien dans le génocide juif étant ainsi démontrée, la création de l’Etat d’Israël en Palestine trouve plus de légitimité.

C'est un fait: Amin al-Husseini, personnage sordide, apporta son soutien avec enthousiasme au troisième Reich. Le mufti a longtemps exhorté Arabes et musulmans à se battre aux côtés des Allemands, mêlant dans ses prêches ses convictions religieuses à l’idéologie nazie. Le film de Billstein retrace très bien cet épisode. Par contre, pour l’implication du mufti dans le génocide, c’est une autre histoire. L’émission d’Arte était-elle objective ?

Travail de mémoire sélective

« Dès le début, l’émission annonce la couleur en expliquant que les immigrants juifs se rendaient en Palestine dans leur patrie d’origine » remarque l’historien Gilbert Achcar (1). Alors que Shlomo Sand a démontré que le retour du peuple en juif en « terre promise » tenait largement du mythe (2), l’emploi de cette rhétorique propre à la propagande israélienne nous éclaire sur la sensibilité du réalisateur.
« Pas un mot non plus sur la personne qui a nommé al-Husseini au poste de Grand mufti, poursuit Achcar. Et pour cause, c’était Herbert Samuel, le très sioniste Haut Commissaire britannique, un artisan de la déclaration Balfour de 1917 qui donna le feu vert à la colonisation sioniste. » Pourquoi un défenseur de l’immigration juive tel que Samuel a-t-il nommé al-Husseini qui était connu pour son opposition farouche à la colonisation sioniste ? Le film ne nous le dit pas. « Il passe sous silence le rôle réel de l’impérialisme britannique, qui a tablé sur les divisions Arabes-juifs autant qu’en Inde sur les divisions entre Hindous et Musulmans » nous a confirmé l’historienne Annie Lacroix-Riz.
Diviser pour régner. Telle était la stratégie habituelle que les Britanniques appliquèrent en Palestine en conférant à al-Husseini tout son pouvoir politique. Et l’idée s’avéra payante. Dans son ouvrage Les Arabes et la Shoah (3), Gilbert Achcar explique comment le parcours du mufti fut entaché de décisions désastreuses menant le mouvement national palestinien de défaite en défaite.

Aussi, au fil des années, l’autorité d’al-Husseini trouvera de moins en moins d’échos en Palestine d’une part, et dans le monde arabe de l’autre. « C’est l’une des grandes erreurs de l’émission d’Arte : on évoque le mufti comme représentant du mouvement national palestinien et arabe, alors qu’il n’en figure qu’une faction » remarque Dominique Vidal du Monde Diplomatique. Gilbert Achcar explique ainsi dans son ouvrage comment l’appel au Jihad d’al-Husseini, alors grand collaborateur de l’Allemagne et de l’Italie, ne sera pas suivi dans les mondes arabe et musulman : « En mai 1942, à un moment où le Reich pouvait encore apparaître comme vainqueur probable de la guerre, l’unité arabe de la Wehrmacht ne comptait que 130 hommes ». Achcar évoque également le cas de ces 250 prisonniers palestiniens servant dans les troupes britanniques et envoyés à Rome pour combattre auprès de Mussolini : dix-huit seulement acceptèrent de servir dans la Légion. Il s’agissait pourtant de combattre la Grande-Bretagne, oppresseur colonial de la Palestine. Mais l’aversion des soldats palestiniens pour l’Italie fasciste était encore plus grande.

L’autre grande erreur du film de Billstein porte sur l’implication directe du mufti dans le génocide juif. Le documentaire nous dit : « Début 1942, la solution de la question juive en Europe adoptée par les nazis est révélée au mufti par Adolf Eichmann en personne ». Le film raconte également qu'al-Husseini, impressionné, décida d’envoyer une délégation au camp de Sachsenhausen. Enfin, l’émission conclut sa démonstration de l’implication du mufti en citant un passage d’une de ses lettres. La missive recommandait de ne pas déporter les Juifs, y compris les enfants, vers la Palestine mais de les envoyer dans des régions comme la Pologne « où ils pourraient être mieux surveillés ». Billstein laisse ainsi sous-entendre que le mufti préconisait l’extermination en Pologne, plutôt que la déportation en Palestine. La démonstration est cependant erronée.
Tout d’abord, l’unique preuve de la rencontre entre le mufti et Heichman « est la déclaration d'un SS au procès de Nuremberg, jamais corroborée et d'ailleurs réfutée par les deux principaux intéressés » précise Gilbert Achcar. « De plus, poursuit Dominique Vidal, on ne précise pas que le camp de Sachsenhausen, dans lequel le Mufti envoya une délégation, était un camp de détention et non un camp d’extermination. Ce camp était situé près de Berlin et il n’y avait pas de camp d’extermination en Allemagne. » Quant à la fameuse missive, Gilbert Achcar explique dans son livre qu’elle date de juin 1943 ; c’est pourtant en juillet 1943 qu’al-Husseini rencontra Himmler et fût tenu au courant de la solution nazie. « Les précisions apportées ici, écrit l’auteur, ne visent cependant pas à disculper Amin al-Husseini de sa complicité criminelle avec les nazis. Recommander l’envoi des Juifs des pays concernés dans les camps de concentration en Pologne – même en supposant qu’il ne s’agissait que de camps d’internement- allait très au-delà de la requête qu’ils ne soient envoyés en Palestine. (…) Il est probable en outre, que le mufti aurait fait la même recommandation s’il avait déjà su que les nazis mettaient en œuvre ‘la solution finale’. »

Pourquoi dès lors chercher, au prix d'une mauvaise foi évidente, à prouver l’implication du mufti dans le génocide ? Pourquoi magnifier son autorité politique et religieuse, alors que ses appels trouvaient peu d’échos ? L’émission diffusée sur Arte s’inscrit bien dans le registre de la propagande pro-israélienne visant à imputer aux Palestiniens et au monde arabe une part de responsabilité dans le génocide juif. « La manipulation de l’Histoire devient aussi systématique qu’effrayante, conclut Annie Lacroix-Riz. On imagine quels effets elle risque d’entraîner si l’enseignement de l’histoire disparaît, projet annoncé en France par sa suppression de fait pour tous les bacheliers scientifiques. »

(1) : Les propos de Gilbert Achcar, hormis ceux se référant au livre, ont été recueillis par Jean-Marie Chauvier
(2) : Voir sur notre site : Tom Segev, Le « peuple juif » : une invention
(3) : Gilbert Achcar, Les arabes et la Shoah, Ed. Actes Sud, Arles, 2009

Source: Michel Collon

Toujours à propos des mensonges et omissions d’Arte

[ 20/12/2009 - 17:51 ]

G. Achcar, A. Lacroix-Riz & D. Vidal


A propos de l’émission passée sur ARTE le mercredi 9 Décembre 2009 relatant l’Histoire du Grand Mufti de Jérusalem, collaborateur de l’Allemagne nazie.
Pour rappel : sans préjuger de la qualité du documentaire, notre crainte était qu’il soit exploité aux fins de « nazifier » les Palestiniens. A lire les réactions ci-dessous, il y avait de quoi. « L’Histoire » contée sur ARTE était politiquement très orientée....et peu respectueuse de l’Hstoire.

Réactions de

1. Gilbert Achcar
2. Annie Lacroix-Riz
3. Dominique Vidal

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Commentaire de Gilbert Achcar, historien, auteur de « Les Arabes et la Shoah », ed. Sinbad-Actes Sud

Dès le début, l’émission annonce la couleur en expliquant que les immigrants juifs en Palestine se rendaient "dans leur patrie d’origine"...

On ne dit rien de la personne qui a nommé Husseini au poste de Grand Mufti (en violant les règles), et pour cause : c’était Herbert Samuel, le très sioniste Haut Commissaire britannique, un artisan de la déclaration Balfour de 1917 qui donna le feu vert à la colonisation sioniste.

Je passe sur nombre de détails.

Il est affirmé, sans la moindre preuve (la seule "preuve" qui existe est la déclaration d’un SS aux procès de Nüremberg, jamais corroborée et d’ailleurs réfutée par les deux principaux intéressés), que le Mufti avait eu des rapports avec Eichmann qui l’aurait informé de la "solution finale" "fin 1941 ou début 1942" (si mon souvenir est bon : j’avais été choqué par l’affirmation qu’Eichmann aurait pu informer qui que ce soit "fin 1941" de ce qui ne sera décidé qu’au début de 1942).

                                 

Husseini, dont la nomination a été décidée par les sionistes et les anglais...


On affirme ensuite qu’une délégation envoyée par le Mufti visita le camp de Sachsenhausen, sans indiquer que ce camp situé non loin de Berlin était un camp de détention de "politiques" et non un camp d’extermination.

Le but de toute l’opération est d’expliquer que les lettres envoyées par le Mufti en 1943 à des gouvernements de l’Axe les incitant à ne plus envoyer de Juifs en Palestine, et leur suggérant de les envoyer en Pologne où "ils seront sous surveillance active", étaient des incitations à l’extermination. J’ai démontré dans mon ouvrage que le Mufti n’était pas au courant de l’extermination au moment où il écrivit ces lettres de 1943 (avant sa rencontre avec Himmler) : d’où l’idée que les camps de Pologne sont des lieux de "surveillance".

Ces lettres sont abominables, sans qu’il soit besoin d’en rajouter en essayant de faire du Mufti un co-responsable de l’extermination, comme le suggère l’émission, suivant en cela la tradition la plus éculée de la propagande pro-israélienne.

Par ailleurs, l’émission donne à croire que le Mufti était le responsable du rejet du plan de partition de l’ONU en 1947, alors que c’était la position de tous les Etats arabes qui, pourtant, n’ont pas hésité à désavouer le Mufti dans leurs contre-propositions au moment des débats de l’ONU.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la conception de l’émission, ses participants, sur ce qu’elle dit et, encore plus, sur ce qu’elle omet de dire, mais des questions historiques, j’ai déjà discuté en détails dans mon livre.

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Commentaire d’Annie Lacroix-Riz, historienne, pour « Investig’Action »

J’ai vu l’émission, un modèle de manipulation qui, à propos de cette incontestable canaille, tend à imputer « aux Arabes » une part notable de la destruction des juifs d’Europe, au prix au surplus de nombre d’omissions scandaleuses sur le terrain même qui a été traité (silence sur le rôle réel de l’impérialisme britannique, qui a tablé sur les divisions Arabes-juifs autant qu’en Inde sur les divisions entre Hindous et Musulmans, sur les rapports organisations sionistes-hitlériens, sur le rôle de l’Eglise romaine en Bosnie-Herzégovine (sans parler de la Croatie, citée une fois, et avec une discrétion de violette), sur la protection assurée par « l’Occident », de Gaulle compris, au Mufti, accueilli avec tous les égards à Paris en mai 1945 - je dispose d’une correspondance précise des RG , etc.).

Mon mari m’a fait remarquer que l’opération est à peu près aussi ignoble que l’« exposition » sur « le Juif et la France » organisée au Berlitz par l’occupant allemand au tournant de 1941 : je ne peux qu’approuver cette comparaison.

Jean-Marie Chauvier redoutait le pire (il a envoyé à ce sujet une documentation très intéressante ces jours-ci), il avait raison.

La manipulation de l’histoire devient aussi systématique qu’effrayante : on imagine quels effets elle risque d’entraîner si l’enseignement de l’histoire disparaît, projet annoncé en France par sa suppression de fait pour tous les bacheliers scientifiques.

Texte de Dominique Vidal à propos du livre de Gilber Achcar

(Valise Diplomatique du « Monde diplomatique ») - mardi 8 décembre 2009

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Le Grand mufti, les Palestiniens et le nazisme

Quiconque a voyagé en Palestine connaît quasiment par cœur cette phrase cent fois entendue : « Mais pourquoi l’Occident, où s’est produit le génocide des juifs, nous a-t-il imposé de le réparer en cédant la majorité de notre terre, alors que nous n’en portons aucune responsabilité ? »

Confrontée à cette logique populaire, simple mais incontestable, la propagande israélienne exhibe, depuis des décennies, la période durant laquelle le Grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine Al-Husseini, collabora activement avec le IIIe Reich comme avec l’Italie fasciste.

Sous le titre La Croix gammée et le turban. La tentation nazie du Grand mufti, Arte consacre à ces événements une émission, mercredi 9 novembre à 20 h 45. Sans préjuger de son contenu, regrettons que les réalisateurs n’aient pas fait appel à notre collaborateur Gilbert Achcar, dont le nouveau livre, Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (1), constitue une somme sur l’ensemble de cette problématique.

On ne saurait évidemment résumer en quelques lignes plus de cinq cents pages consacrées aux rapports entre le mouvement national arabe, le nazisme et le génocide des années 1930 à nos jours. D’autant qu’elles sont à la fois savantes, riches en références et surtout caractérisées par un sens de la nuance absent de la plupart des ouvrages sur cette thématique.

Quelques idées-forces sur la question du Mufti, auquel Achcar consacre plus de soixante pages, contribueront à informer le téléspectateur et à l’inviter à lire le livre pour en savoir plus. L’auteur éclaire en effet le chemin qui conduisit l’ex-leader palestinien à s’allier à Mussolini et Hitler, au point de constituer en 1942 deux légions SS musulmanes. Composées pour l’essentiel de Bosniasques, celles-ci ne participèrent toutefois pas au « nettoyage ethnique » antijuif des Balkans : elles combattirent surtout les Serbes. A Berlin comme à Rome, les unités palestiniennes proprement dites ne dépassèrent jamais quelques dizaines d’hommes, pour la plupart prisonniers de guerre, contre neuf mille dans la seule armée britannique...

Le mufti a pris fait et cause pour le nazisme, au point d’approuver le judéocide. Ce faisant, il est allé bien plus loin que la logique, certes simpliste, selon laquelle « l’ennemi (allemand) de mon ennemi (britannique) est mon ami ». Et il a ainsi porté un tort considérable à la cause du peuple palestinien, comme en témoigne l’exploitation effrénée par la propagande pro-israélienne de cet épisode de sa vie. Mais il ne fut pas le seul à tisser des relations compromettantes.

Après tout, fin 1940, le Lehi d’Itzhak Shamir, issu d’une scission des Révisionnistes de Zeev Jabotinsky, n’avait-il pas proposé au Reich une alliance stratégique ? Sept ans plus tôt, l’Organisation sioniste mondiale conclut même avec les autorités nazies l’accord dit de la Haavara, grâce auquel plusieurs dizaines de milliers de juifs allemands gagnèrent la Palestine avec une partie de leur capital - mais nul, à l’époque, n’imaginait la Shoah...

Une chose est sûre : la démarche du Mufti et celle du Lehi n’étaient représentatives ni des mouvements nationaux palestinien et arabe dans leur ensemble, ni du mouvement sioniste. Si les juifs de Palestine se rangèrent massivement et naturellement dans le camp des Alliés au cours de la seconde guerre mondiale, le nombre des Arabes qui combattirent dans le même camp et y trouvèrent la mort a été incomparablement plus élevé que le nombre de ceux qui se joignirent aux troupes de l’Axe. Dominique Vidal

(1) Sindbad, Actes Sud, Arles, 2009.

A lire également :

Le mufti nazi ou ARTE au service de la propagande sioniste - 13 décembre 2009

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