Ultimatum, Un rideaux de fumée
mardi 29 septembre 2009, par Mehdi Benallal
http://blog.mondediplo.net/2009-09-29-L-Affaire-Farewell-Ultimatum-The-Informant
une coproduction franco-israélienne dont l’action se déroule en Israël au moment de la « guerre du Golfe », fin 1990-début 1991, quand des représailles irakiennes sur Israël étaient abondamment pronostiquées ;
Ultimatum, ou la glu naturaliste
Quand les Etats-Unis et leurs alliés lancèrent, fin 1990, leur ultimatum à Saddam Hussein pour que ses troupes évacuent le Koweït, celui-ci jura qu’en cas d’attaque, il riposterait en direction d’Israël, pays qui ne participait pas à la coalition mais n’en était pas moins un ennemi de longue date du régime baasiste. Les Israéliens, convaincus semble-t-il par les discours apocalyptiques des gouvernements irakien et israélien, se crurent menacés d’une attaque chimique et s’attendirent au pire. Le film Ultimatum raconte la vie de quelques personnes, toutes juives et pour la plupart vivant en Israël, pendant les quelques jours séparant cet ultimatum de l’attaque contre l’Irak, suivie des premiers missiles SCUD tirés par l’armée irakienne sur le territoire israélien.Ultimatum vise le naturalisme plutôt que la critique. La caméra d’Alain Tasma y suit à la trace dans leur course effrénée des personnages à fleur de peau, rendus nerveux autant par l’agression militaire annoncée que par les événements plus prosaïques qui surviennent dans leur vie : un couple en crise se sépare, une jeune femme accouche, un commerçant se rabiboche avec son amant, etc. Or, Alain Tasma a beau vouloir les maintenir dans les limites strictes de conversations anodines, la question de la propagande d’Etat faisant d’Israël un pays en danger permanent de mort, donc nécessairement ultra-militarisé, et l’autre grande question, celle des territoires occupés, viennent perturber sa volonté affichée de les tenir à l’écart, sous le prétexte implicite que les personnages eux-mêmes n’ont pas le temps de s’en préoccuper.
Il est d’abord difficile de comprendre pourquoi ces gens qui ont cru dur comme fer que l’Irak risquait de les empoisonner tous ne réagissent pas plus vivement quand il devient évident que ce pays n’avait pas du tout les moyens de ses menaces, ou, du moins, pourquoi aucun d’entre eux ne s’interroge une seconde sur la psychose collective que les médias israéliens semblent avoir entretenue à ce sujet. (Seule réaction-éclair : un sarcasme de l’artiste-peintre Nathanaël quand il apprend par la radio que 80% des capacités militaires de l’Irak – la septième armée du monde, disait-on alors – ont été détruites en vingt-quatre heures…)
Alors que les Israéliens sont appelés à porter des masques à gaz et à rester cloîtrés dans leur salle de bain, l’héroïne Luisa sort et prend un taxi. Le temps du trajet, son chauffeur tient le seul discours politique argumenté du film : il dit trouver ridicule qu’on empêche les hommes israéliens de mener cette guerre et affirme que, de son temps, tous seraient allés de battre ; c’est pourquoi il roule au lieu de rester terré chez lui (sous-entendu : comme une bonne femme)… Luisa, à l’arrière de la voiture, garde le silence. Quand il la dépose, elle le quitte avec un beau sourire. Quel rapport entretient le film avec ce que dit cet homme ? Son monologue, le film ne semble vouloir ni le contredire ni l’applaudir. Il le laisse simplement avoir lieu, sur l’air de : cela, on peut l’entendre « dans la vraie vie » pour peu qu’on prenne un taxi israélien une nuit comme celle-là. Le problème est qu’un tel discours ne tombe pas dans le vide, mais au beau milieu de petites histoires sentimentales, et qu’il fait l’effet d’une bombe. Or, qui pour la désamorcer ?
Nathanaël, le héros malheureux d’Ultimatum, fait le vigile dans un quartier arabe pour gagner sa vie. Chaque jour, il prend son café dans un restaurant palestinien. C’est l’occasion pour le film d’évoquer une fois, une seule, la question palestinienne. Le patron faisant grise mine dans son restaurant désert, Nathanaël lui demande ce qui se passe. Dans les territoires, répond le vieil homme, l’armée distribue des masques à gaz aux colons israéliens et pas aux Arabes, comme si leur vie à eux ne valait rien. A cette déclaration, Nathanaël, et le film avec lui, opposent une fin de non-recevoir : le jeune homme garde un air si sombre et détaché que le Palestinien, changeant soudain d’humeur, lui demande à son tour ce qui lui arrive. Ça va mal avec sa copine… Fin de la conversation sur les Palestiniens, on n’y reviendra pas.
Le discours viriliste du chauffeur de taxi et la révolte du Palestinien sont, comme on le voit, traités avec la même indifférence, et ainsi mis sur le même plan, tenus dans le même espace périphérique à l’action, comme s’ils se valaient, comme s’ils représentaient un peu la même chose, que pourrait résumer le mot fourre-tout et consensuel de « contexte ».
Alain Tasma s’est ainsi arrangé pour qu’aucune question sérieuse ne vienne entamer ses petites histoires d’individus englués dans leurs problèmes personnels. Or, en choisissant comme lieu de son récit ce pays-là, Israël, à ce moment précis de son histoire, il se trouve bien obligé de laisser errer au milieu de ses scènes de ménage les spectres de tragédies qui les dépassent et les rendent bien secondaires. Tragédies qu’il refoule tant bien que mal à la marge de sa fiction pour éviter d’avoir à exprimer un point de vue, à prendre parti.
Avec Ultimatum, on se retrouve en deçà même de la « fiction de gauche » bien-pensante, on patauge dans le « moment vrai » qui n’a évidemment rien de vrai, puisqu’un film naturaliste se construit tout autant qu’un film franchement mis en scène. Il n’y a donc ici ni « vérité » ni point de vue, rien que mille manières trop connues de fuir les questions qui fâchent.
Notes
Ultimatum, un film d’Alain Tasma, avec Gaspard Ulliel, Jasmine Trinca, Sarah Adler. Sortie en salles le 30 septembre.