interview d' Avraham B. Yehoshua Ecrivain israélien
La relation est étroite entre ceux qui s’autoproclament "camp de la paix" en Israël et leurs homologues de la gauche européenne.
Dans «le Nouveau Philosémitisme européen et le «camp de la paix» en Israël» (La Fabrique), Yitzhak Laor, poète, éditorialiste au quotidien «Haaretz» et figure de l'extrême-gauche, s'attaque violemment, à travers eux, à ce «camp de la paix» - d'après lui massivement ashkénaze, laïque et travailliste - et aux intellectuels européens qui le soutiennent. Selon Laor, si ces trois écrivains (David Grossman, Amos Oz et A. B. Yehoshua.)sont perçus si favorablement par ces Européens, c'est que tous communieraient dans la même peur et la même haine de l'Orient.
Avraham B. Yehoshua Ecrivain israélien
propos recueillis par JEAN-CLAUDE VANTROYEN
jeudi 24 septembre 2009, 09:43
L’écrivain Avraham B. Yehoshua, né à Jérusalem en 1936, a été récompensé par une dizaine de prix internationaux et surtout par le prestigieux grand prix de Littérature d’Israël pour l’ensemble de son œuvre. Il a touché le public français avec des ouvrages comme L’Année des cinq saisons (1990) ou Le Responsable des ressources humaines (2005), publiés chez Calmann-Lévy.
Nous l’avons rencontré à Tel-Aviv et interrogé sur le conflit israélo-palestinien.
Quelle attitude avez-vous aujourd’hui devant le blocage du processus de paix ?
Depuis 42-43 ans, je défends une solution, la coexistence d’un Etat israélien et d’un Etat palestinien, qui, finalement, a été acceptée par la majorité israélienne, y compris l’actuel Premier ministre Netanyahou. Il y a un accord général en Israël et même parmi les Palestiniens que c’est le chemin de la paix. Mais en même temps, les dernières phases sont très difficiles. Et c’est pour cela que, depuis plusieurs années, je dis : sans l’aide massive de l’Europe, sans les pressions agressives de l’Europe et de l’Amérique, ça ne va pas bouger. Car si on connaît la solution, elle devient de plus en plus difficile à mettre en place.
Pourquoi ?
Pour deux raisons. D’abord, certains Palestiniens se disent aujourd’hui qu’on pourrait aller vers un Etat binational. Pourquoi, pensent-ils, avoir un petit Etat palestinien en morceaux et sans tout Jérusalem, avec des problèmes énormes. Nous allons au contraire attendre et finalement, il y aura un Etat pour les deux peuples. Comme en Belgique, mais là, ce sont deux peuples chrétiens, qui ont fait la guerre ensemble sous l’occupation et s’il y a une différence de langue, ce n’est rien du tout quand on parle des Palestiniens et des Juifs, des religions, des histoires, des économies totalement différentes, des connexions avec l’extérieur, les Juifs avec le monde juif, les Palestiniens avec le monde arabe. Un seul Etat pour deux peuples, ce serait l’enfer total. Mais les Palestiniens disent : nous sommes des Arabes, nous avons une vision différente de l’histoire, nous sommes patients. Et dans cent ans, l’Etat binational sera palestinien.
Et la deuxième raison ?
Ce sont les colons. On ne peut pas retirer les 300 ou 400.000 Juifs des territoires palestiniens, après ce trauma national qu’a été le retrait des 8 à 9.000 colons de Gaza.
Alors ?
Il faut trouver d’autres programmes, de nouvelles suggestions. Comme la question d’une minorité juive dans l’Etat palestinien. C’est tout à fait possible. Une fois la frontière établie, les colons juifs qui veulent revenir en Israël reviennent, ceux qui veulent rester restent comme citoyens palestiniens. Ce n’est pas grave pour l’Etat Palestinien, les colonies ne forment que 2 à 3 % de son territoire, et ça fera une minorité juive de 3 à 4 % dans l’Etat palestinien comme il y a une minorité de 20 % d’Arabes en Israël.
Les colons le voudront-ils ?
Pourquoi pas ? Ce sera très bien là-bas, c’est mieux que dans les cités serrées d’Israël. Et ils ne payeront que 7 % d’impôts plutôt que les 30 % d’ici. On doit les convaincre : il n’y a pas un gouvernement qui peut arracher les colons de là-bas. Les Américains ne font rien, ils sont coupables dans toute cette affaire : ils pouvaient arrêter ça il y a 30-40 ans, en une seule phrase. C’est un cas à étudier en sciences po : comment un Etat de 5 millions d’habitants peut faire jouer son jeu par un pays de 200 millions d’habitants comme les Etats-Unis. Vous pensez que Netanyahou a peur d’Obama ? On a discuté avec huit présidents américains, alors… Nous avons une grande expérience. Quand Obama était élu, j’étais content, j’ai pleuré. Maintenant Obama est comme les autres, qu’est-ce qu’il peut faire ? Il a ses problèmes, l’Irak, l’Afghanistan, est-ce qu’il va se casser la tête pour la question des colons ? Pourtant, c’est la seule solution.
Et Jérusalem ?
Séparer les Palestiniens et les Israéliens, c’est comme séparer des frères siamois : il faut une salle d’opération et 17 médecins. Ce qu’on pourrait faire, c’est donner le statut du Vatican à la vieille ville. Et je pense que les chrétiens doivent intervenir à ce sujet. C’est 1 km2. Une ville sainte dominée par les trois religions avec ce statut particulier de Vatican. C’est difficile, mais on doit essayer. On ne peut pas dire qu’à cause de Jérusalem on ne va rien faire. Et on ne peut le faire sans pression et sans aide de l’Europe.
Pression sur qui ?
Sur Israël et sur les Palestiniens. Pour l’avenir d’Israël, son identité et sa sécurité, il faut faire cette pression. L’Europe doit dire : nous avons créé cet Etat avec l’ONU, nous avons une responsabilité, il faut intervenir de façon active. Dire : si vous acceptez la solution, vous serez admis dans la zone euro, par exemple.
C’est une bonne carotte ?
C’est une grande tentation, pour les Israéliens et pour les Palestiniens aussi. Ces derniers ne sont pas autosuffisants, ils sont inquiets. Alors si on dit aux deux : on va faire une exception, vous serez membre de la Communauté européenne si vous arrivez à la paix. La tentation économique est forte. Pourquoi pas ?
Et le bâton ?
Arrêter les constructions dans les colonies doit être une exigence très claire et très ferme.
On le dit depuis 16 ans.
Le problème est de le dire d’une façon franche.
Vous êtes optimiste ?
Nous avons passé tant de choses ici que je ne peux pas continuer à être pessimiste. Nous avons eu une guerre totale, l’Egypte ne voulait pas serrer nos mains, maintenant l’Egypte est en paix avec Israël et nous discutons avec les Palestiniens. Si on voit d’où on vient, on ne peut pas être pessimiste. Mais le problème est l’intervention de l’Europe parce que l’Amérique est incapable de le faire. Il faut que l’Europe prenne l’attitude d’un père envers son fils : on est contre l’installation des colonies, pas pour vous ennuyer mais pour l’avenir d’Israël.