FREE PALESTINE
21 septembre 2009

ENTRETIEN AVEC ELIA SULEIMAN

Sélection Officielle Cannes 2009

THE TIME THAT REMAINS

(LE TEMPS QU’IL RESTE)

un film de Elia SULEIMAN 

France / Palestine – 2009

35mm - couleur - 1.85 - Dolby SRD / DTS - 1h45

www.thetimethatremains-lefilm.com

DISTRIBUTION

Cinéart • Chaussée de Haecht 270 • 1030 Bruxelles • tel. 02 245 87 00

info @cineart.be • www.cineart.be

SYNOPSIS

THE TIME THAT REMAINS  est un film en partie autobiographique, construit en quatre épisodes marquants de la vie d’une famille, ma famille, de 1948 au temps récent.

Ce film est inspiré des carnets personnels de mon père, et commence lorsque celui-ci était un combattant résistant en 1948, et aussi des lettres de ma mère aux membres de sa famille qui furent forcés de quitter le pays.

Mêlant mes souvenirs intimes d’eux et avec eux, le film dresse le portrait de la vie quotidienne de ces palestiniens qui sont restés sur leurs terres natales et ont été étiquetés « Arabes-Israéliens », vivant comme une minorité dans leur propre pays.

ENTRETIEN AVEC  ELIA SULEIMAN 

Depuis INTERVENTION DIVINE, qu’avez-vous fait de votre temps?

Comment avez-vous travaillé ?

Tout d’abord, il m’a fallu au moins deux ans pour me remettre de la promotion  d’INTERVENTION DIVINE, qui a bénéficié à travers le monde d’une sortie grand public alors que, par nature, il s’agissait d’un film d’art et essai. Il fallait donc aller à la rencontre du public pour l’aider à trouver son chemin dans ce film et j’ai pris la décision d’accompagner son lancement dans de nombreux pays, ce qui a beaucoup rallongé la phase promotionnelle.

Puis j’ai traversé une inévitable période d’euphorie. Lorsque l’on s’y trouve, on la souhaite éternelle et lorsque l’on en sort, on remercie Dieu ! L’expérience de mes deux premiers films m’a fait prendre conscience qu’il me fallait tout d’abord vivre afin de pouvoir écrire. Cela tient à la dimension semi-autobiographique de mes films qui trouvent leur inspiration dans l’observation directe du réel. Je porte

toujours sur moi un carnet que je remplis d’une multitude de notes sur les choses simples de la vie quotidienne comme le souffle du vent sur un arbre. Cette accumulation de notes crée un terreau d’images et de sons où mon film pourra prendre racine. Et si je veux être sincère envers moi-même et les spectateurs, je ne peux pas réaliser plus de films que je ne le fais.

Par ailleurs, chacun de mes films rassemble plusieurs thématiques, qui pourraient donner chacune naissance à un film. Cela, parce que je me refuse à réaliser des films répétitifs, qui ne seraient que des variations autour d’un même thème. Il ne s’agit pas là seulement d’un désir de cinéaste, mais plutôt d’un engagement moral à offrir au spectateur la possibilité de partager un moment de vérité, sans le confort du « déjà vu », du prévisible.

Par ailleurs, il se trouve qu’une fois que j’avais écrit le scénario, il m’a fallu trois ans pour trouver quelqu’un qui prenne le risque de le financer. Les producteurs adorent mes films, mais seulement lorsqu’ils sont terminés. Le financement de mon film a été une aventure assez rocambolesque.

Ce film est-il plus politique que les précédents ?

Mes films s’inspirent de ma vie quotidienne. Lorsque l’on vit dans une zone aussi sensible que mon pays, la politique en fait partie. Il se trouve que la Palestine fait l’objet d’une surexposition médiatique qui l’a livrée en pâture aux idéologies tant de droite que de gauche. J’ai donc été mis au défi de m’écarter autant que possible de cette approche médiatique en faisant un film qui ne donne pas de leçon d’histoire. Ce que je veux montrer, ce sont des instants d’intimité à l’intérieur d’une famille, dans l’unique espoir de provoquer le plaisir du spectateur et d’atteindre une certaine vérité cinématographique. Si j’atteins ce but, le film prend une dimension universelle et, dès lors, le monde lui-même devient la Palestine. Si, d’aventure, cela suscite chez certains spectateurs un intérêt pour la dimension politique du film, ils peuvent se rendre dans une bibliothèque ou une librairie - plutôt que de rester devant leur  télévision - pour en apprendre un peu plus sur la vie de ces personnages qui les ont touchés. Je suis totalement convaincu de l’universalité de la poésie. Mais de nos jours, un autre phénomène vient induire un sentiment de familiarité avec le monde, mais de façon perverse et illusoire : la mondialisation. Pourtant, c’est peut-être ce qui incitera certains à cesser de porter un regard « fétichiste » sur la Palestine et à m’aider à me défaire de l’étiquette de réalisateur palestinien.

A l’origine, l’histoire du film devait se dérouler dans deux autres parties du monde. Mais une fois la phase d’écriture passée, il m’a semblé évident que mon approche devait évoluer : la progression de mon film ne devait pas être horizontale mais verticale, non en surface mais en profondeur. J’ai choisi de me concentrer sur un lieu unique et de me consacrer à une véritable recherche intérieure sur des moments infimes de l’histoire afin de les doter d’une épaisseur et d’une profondeur aptes à les rendre universels. Pendant la phase d’écriture, on a tendance à se laisser envahir par un sentiment d’insécurité que l’on cherche à surmonter par la mise en exergue de thèses fortes et la création de points de repères auxquels se raccrocher. Or, lorsque la phase de réalisation démarre, on prend conscience que la prise de risque fait partie intégrante du processus créatif. La poésie, c’est un moment de frémissement. On l’atteint ou on ne l’atteint pas mais on ne peut ni le préparer, ni le provoquer. Cela m’est apparu clairement lorsque j’ai tourné le premier volet du film qui se passe à Nazareth, en 1948.

Etes-vous devenu plus mûr politiquement ?

En tout cas, un changement a eu lieu. Je prends une distance vis-à-vis de moi-même, à présent. J’ai remarqué que le temps passant, l’expérience venant, votre pensée devient plus profonde et vous dépasse vous-même, devenu plus mûr. Il arrive parfois que l’on ait recours à des facilités conceptuelles par pur intérêt intellectuel. Mais lorsque l’on partage véritablement une expérience de vie, lorsque que l’on pénètre le territoire moral et le ressenti profond de l’autre dans sa souffrance, indépendamment de son sexe ou de sa nationalité, on prend conscience du plaisir de n’être plus seulement soi mais d’être aussi tous les autres, de toutes les couleurs et toutes les nationalités. Vivre cette altérité procure un immense bonheur. C’est là que l’on comprend que pour être libre, il faut être un étranger. Où que vous soyez, c’est le statut d’étranger qui vous rend libre de comprendre et ressentir les autres. Et c’est ainsi que votre poésie devient vraie et sincère.

Quand je regarde mes autres films, il m’arrive d’y remarquer des veines que je n’ai pas exploitées, des marques de distanciation, que j’attribue non pas à un manque de sincérité mais simplement au refus de m’aventurer dans des territoires émotionnels qui ne seraient pas viables pour moi … Mais dans THE TIME THAT REMAINS, au contraire, je me suis véritablement mis à nu ! Je suis allé au plus profond de mon moi intime  et de ma vie privée, avec tout ce que cela comporte comme joies et peines. Je crois que vous n’avez pas besoin de comprendre ce film mais de le ressentir, de vous y impliquer émotionnellement. En le voyant, j’ai été moi-même très touché par la scène où toute la famille est réunie dans la cuisine. Il y a là une réminiscence de ce qui est à jamais perdu, quelque chose de proustien, en somme. La cuisine me rappelle quelque chose, qui me rappelle à son tour autre chose. Il ne s’agit pas d’une tentative de séduire le spectateur mais de l’inviter, à travers d’infimes détails d’ordre intime, à se plonger dans sa propre enfance, certes dans un décor tout autre, mais enveloppé de cette même chaleur, cette même tendresse protectrice que celles que je ressentais enfant, assis avec mon père et ma mère,  même au pire de la guerre. Cela, je l’ai ressenti en voyant le film, non en le réalisant.

Vous nous donnez une vision surprenante de vos rapports avec vos parents.

J’ai eu une relation assez particulière avec mes parents. Enfant, je traînais beaucoup dehors, puis je suis parti à l’étranger, et à mon retour, j’ai tissé avec eux un nouveau type de lien qui s’apparenterait davantage à une amitié. Avec mon père, on se promenait, on allait à la pêche, on faisait toutes sortes de choses. La musique que j’ai utilisée dans le film, c’est lui qui me l’a fait découvrir. Il adorait ces chansons alors que j’étais dans ma période Led Zeppelin, et de surcroît j’étais batteur dans un groupe de rock... Alors, au début, je n’aimais pas son style de musique. Mais petit à petit, il m’a initié, m’a appris à l’écouter d’une autre oreille, en me donnant ses cassettes, en m’achetant des livres sur la musique arabe. La même symbiose a eu lieu pour les vêtements. Si quelque chose que je portais lui plaisait, il me le prenait. Et à sa mort, j’ai ouvert son placard et j’ai vu qu’il était rempli de mes vêtements ! Et je dois dire que beaucoup des vêtements que je portais étaient les siens.

Il est difficile d’imaginer que le scénario s’inspire si directement de votre histoire familiale.

Quand l’histoire se passe à une période que j’ai connue, j’écris ce que je vis, ce que je sens, puis je l’adapte à mon univers esthétique. Pour 1948, je devais faire appel aux souvenirs de mon père. Il a été mon co-scénariste, en quelque sorte. Quand il est tombé malade, je lui ai demandé de tenir un journal, puis je l’ai adapté, comme je l’aurais fait d’un roman. Il était très important qu’il me donne une description précise. Il m’est arrivé de craindre de glisser dans une forme de récit classique sans le vouloir mais finalement, je suis parvenu à conserver intact mon processus créatif habituel tout en donnant vie aux souvenirs de mon père sur l’écran. Il s’agit certes de sa jeunesse, mais il s’agit aussi d’un point de départ pour le film, qui correspond à un big bang historique.

Quelle était la situation à Nazareth à l’époque ?

Nazareth a été plutôt épargnée à l’époque, et cela pour des raisons historiques précises. Dans sa conquête vers le Nord, la Haganah a contourné Nazareth, après y avoir déversé la masse des réfugiés expulsés des autres villages. Ben Gourion leur avait demandé d’éviter d’envahir Nazareth en raison de la présence des églises, dont il savait que les cloches allaient alors se faire entendre jusqu’au Vatican et les exposer aux regards du monde entier. A l’origine, la Haganah avait l’intention, en vue de la création de l’état d’Israël, de coloniser toute la Palestine, l’Israël d’aujourd’hui, la côte ouest, Gaza et le Golan en Syrie, jusqu’au fleuve Litani, au Liban. Ils sont arrivés à leur fin en 1967 et ont envahi la côte ouest, Gaza et le Golan. Ils ont pris le Litani en 1982 mais ont dû se retirer. Il y avait un plan précis, conçu à Tel Aviv par Ben Gourion et son entourage.

C’est ainsi qu’ils ont rasé 500 villages au bulldozer, pour en faire des kibboutz et des moshav. Chaque bâtiment, chaque village que l’on voit aujourd’hui a été construit sur les cendres d’un autre.

Comment représentez-vous la résistance palestinienne ?

En fait, un mouvement de résistance a vu le jour parmi des Palestiniens comme mon père mais ils n’avaient pas de moyens. Mon père avait dû transformer une arme anglaise pour la faire fonctionner avec des balles allemandes, parce que c’étaient les seules que l’on trouvait sur le marché noir ! Et la Haganah avait eu, auprès des Anglais, l’entraînement d’une armée organisée ! Oui, c’était une véritable armée ! Et que peut-on faire face à une armée organisée? Les compagnons de résistance, c’étaient les voisins, les gens du village. Leurs armes, les fusils de chasse. Alors que la Haganah avançait avec un plan de guerre très étudié. Des enquêtes d’espionnage avaient été menées dans chaque village en profitant de l’hospitalité et de la naïveté des habitants.

Quand ils arrivaient, ils avaient déjà les noms des anti-colons, des nationalistes, des activistes de gauche, de quiconque avait un engagement politique. Ils ont procédé à de nombreuses exécutions sommaires sur la foi exclusive de ces listes.

Comment avez-vous vécu l’expérience de la réalisation d’un film historique ?

J’avais l’intention de réaliser un film épique qui ne s’inscrive en rien dans les lois du genre. Je voulais fabriquer un film personnel et intime, qui relate des faits historiques mais qui suscite des émotions intenses, sans pour autant être manipulateur. Certains des faits décrits ont eu lieu en réalité dans un contexte de chaos et d’extrême violence. Je resterai à jamais marqué par certains souvenirs de cette époque. Mais je voulais que ce chaos apparaisse tel un ballet où la violence est suggérée par l’émotion et non exhibée. Tout le défi consistait à trouver une traduction cinématographique de cette violence qui soit dénuée de tout sensationnalisme. La cruauté de cette période était extrême. Il m’importait de l’évoquer, non de la dépeindre.

Une dimension importante a été celle des moyens financiers. Réaliser un film d’époque supposait le recours à des décors et des accessoires. Au départ, nos conditions de travail étaient telles que chaque jour, lorsque j’arrivais sur le tournage, mon cher ami et partenaire Avi Kleinberger venait me voir pour faire la liste des éléments manquants, pour que nous cherchions à nous adapter aux moyens du bord. Ma première réaction a été un sentiment de frustration. Je percevais ces contraintes comme des impossibilités, des empêchements dans mon processus de création. Mais, par la suite, j’ai dû apprendre la sobriété, à faire le plus avec le moins. Cette expérience dépasse le domaine du cinéma. Cette attitude monacale nous aide à devenir des êtres meilleurs, qui préfèrent donner que prendre. Ce fut pour moi une leçon de vie qui m’a enseigné une générosité spontanée.

Cela me rend confiant pour l’avenir. Je suis persuadé que dans mes prochains films, je serai plus exigeant, plus précis quant à ces détails infimes qui se révèlent toujours précisément être ceux qui touchent les spectateurs.

Le silence est un des signes distinctifs de votre style.

Je trouve le silence très cinégénique. Le silence est subversif par excellence. Tous les gouvernements le tiennent en horreur car c’est une arme de résistance. Dans la poésie, il a un rôle fondamental de respiration. Nombreux sont ceux que le silence intimide car ils se sentent déstabilisés, dépossédés de leur identité. Regardez les films grand public de l’industrie du cinéma où l’on rêve d’un seul instant de silence et dans lesquels, après le mot FIN, on se rend compte que rien n’a été dit, aucune matière à réflexion n’a été donnée au spectateur. Le silence permet de s’interroger, mais ne met pas à l’aise.

Le silence est-il la respiration du cinéma ?

C’est bien plus que cela. C’est un moment de partage, d’échange. C’est le privilège donné au spectateur de mettre ce silence en mots, de prendre part à la création de l’image.

C’est un instant d’obscurité simplement éclairé par la lueur d’une cigarette et la présence d’un être cher. C’est la vision d’un sourire qui vous fait prendre conscience d’avoir adoré la vie. C’est le retour naturel et intuitif au cinéma des origines. On pourrait tenter de définir le silence par une pléthore de mots, mais ce serait lui faire offense.

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