Ceux qui ne dorment jamais
On parle beaucoup des manifestations de Bil"in, village palestinien empiété par la construction du Mur et harcelé par l´armée israelienne. Mais qu´en est-il de la vie quotidienne de ses habitants ? Voici le témoignage de Francais qui y sont restés une journée et une nuit.
Bil'in est un peu le village symbole de la resistance contre le Mur, meme si ce qu'il vit est commun a beaucoup de villages palestiniens. Comme dans plusieurs autres villages, des manifs y ont lieu tous les vendredis pour s'opposer a l'avancee du Mur sous toutes ses formes. En partant pour la manifestation de Bil'in, nous ne pensions pas que le plus fort de la journee ne serait pas cette manifestation. Pourtant, les temps sont chauds a Bi'lin, la mort en avril d'un resistant du village abattu dans une des manifs pacifiques, et les arrestations nocturnes recentes dans le village, ont fait progressivement monter la pression. Les internationaux sont appeles a la rescousse.
C'est un petit garcon, Mohammed, qui vient nous chercher a la descente du bus (nous, les membres de la mission civile 154), s'adressant a nous dans un anglais que beaucoup d'entre nous ont a lui envier. Il nous mene chez son pere, Iyad, qui est notre hote.
Il y a particulierement beaucoup de monde dans la manif d'aujourd'hui, peut-etre 400 ou 500 personnes, beaucoup d'internationaux. Des Francais notamment, puisque nous y retrouvons un groupe de Generation Palestine, tres actifs. Nous rencontrons egalement Michel Warschawsky, eminent israelien anticolonialiste ne en France, qui nous parle de la perte de vitesse des mouvements anti-colonialistes en Israel et, de facon generale, de la decadence politique dans le pays aujourd'hui sous gouvernement d'extreme-droite.
Nous sommes pares pour la manif : lingettes d'alcool et lunettes de piscine contre les gaz lacrymo (mais le ridicule n'est pas toujours du cote ou l'on croit), pancartes "French people against the Wall"... Cela commence par un cortege anime assez proche de nos manifs parisiennes, avec des slogans dans toutes les langues. Puis nous arrivons pres du Mur, materialise ici par des rouleurs de fils barbeles. Les soldats sont aux aguets a quelques metres, en haut de la colline. Prises de parole au porte-voix de Palestiniens et Israeliens anti-colonialistes, puis nous passons a la phase active : les Palestiniens coupent les fils barbeles pour ouvrir un passage. Evidemment, c'est l'acte attendu par les soldats pour commencer a repliquer vraiment. Les grenades lacrymogenes fusent, surtout sur les cotes de la manifs d'ou de jeunes garcons lancent des pierres a la fronde, mais aussi par dizaines d'un coup sur nous. Mouvement de panique, mais cela ne dure pas trop longtemps. Un autre enorme tank s'approche de nous, c'est un lanceur d'eau puante, une nouvelle arme qui consiste a souiller les manifestants d'une eau fetide dont l'odeur persiste plusieurs jours parait-il. Les medias sont aux premieres loges, blindes de gilet rembourres et de masques a gaz. Finalement cela dure a peine plus d'une heure et nous sommes relativement épargnés, parce que beaucoup d'étrangers.
En revenant au centre du village, nous croisons le petit Mohammed inquiet qui cherche son pere. Quand il le voit arriver il nous dit avec un grand sourire en le pointant du doigt "C'est mon pere, c'est mon pere !". Iyad lui caresse la tete et prend tendrement sa petite fille dans ses bras (5 ans environ, habillee comme une poupee). Tous savent que la vie de chacun, et particulierement d'Iyad, est en danger a tout moment. L'epee de Damocles qui les menace est terrible, et ca se sent dans le lien fort que les gens ont entre eux.
Le repas qui nous est fait a la maison est delicieux, nous remercierons nos hotes en achetant de ces productions artisanales que la femme vend, seul revenu de la maison dans ce contexte de guerre.
Avant la tombee de la nuit, deux enfants nous emmenent nous promener dans le village. Une petite balade a la fraiche qui demarre tres agreablement. Mais rien n'est jamais normal ici. Les enfants jouent a la guerre avec des armes en plastique, meme cette petite fille habillee en robe de princesse rose. Nous passons devant le cimetiere et la tombe de leur martyr Bassem, dont nous voyons des images partout dans le village (les Palestiniens publient des affiches pour faire honneur a leurs resistants). En sortant du village, nous entendons dans les maisons la musique d'une fete de mariage, en cueillant des fleurs et nous amusant avec les enfants. Tout cela est bien champetre, mais dans le crepuscule sur la colline d'en face se dessinent les silhouettes des soldats, de leurs tentes, chars, et tours.
Les enfants nous previennent que nous ne pouvons pas descendre trop la route (cette route qui se dirige vers le Mur) sinon les soldats viendront les attraper. En effet, quelques metres plus loin, les enfants s'agitent soudain : une jeep descend vers nous (peut-etre alertee par les flashs de nos appareils photo). Nous commencons a faire demi-tour et entendons un tir vers nous. Non, nous ne revons pas, c'est bien une grenade lacrymogene qui vient d'etre tiree en notre direction, alors que nous sommes sur les terres du village a plusieurs centaines de metres du Mur ! Les enfants nous pressent "Ya Allah ! Vite, vite, ils vont nous attraper". L'un d'eux, 10 ans environ, nous dit qu'il a deja ete pris deux fois alors qu'il allait chercher je ne sais quelle plante dans ces champs, les soldats lui ont dit que la prochaine fois ils le mettront en prison. Les enfants finissent par fuire en voyant approcher dans les buissons deux soldats qui remontent la colline. Nous sommes eberlues par leur capacite de discernement dans l'obscurite. Mais nous sommes surtout profondement choques, ce harcelement, sur des enfants en plus, est inhumain. Ce sont leurs terres !
En repartant de jeunes gens nous interpellent d'un toit, nous montons les rejoindre et l'un d'eux nous montre la petite collection qu'il s'est faite a partir de ce qu'il recolte sur les terrains de la manifs : des balles en caoutchouc, d'autres reelles, collees sur des planches pour dessiner une colombe de la paix ou un coeur, une bombe a explosion qu'il a transformee en fleur, une planche qui garde la trace de son sang (il a ete touche plusieurs dizaines de fois). Avec gravite et gentillesse, il nous laisse un petit cadeau de la Palestine en partant.
Nous finissons la soiree par une rencontre avec le Comite populaire du village de Bil'in et celui de Nilin, village voisin qui vit les memes situations. Ces comites sont organises comme des associations accueillant toutes les bonnes volontes du village pour organiser la resistance. Ils nous redisent combien notre solidarite les rend plus determines encore, dans leur combat pacifiste. Ils nous racontent ce que nous avons deja entendus tant de fois : les demolitions, les expulsions, les morts (dont Ahmed Moussa, 10 ans, tue par balle dans une manif), les prisonniers (qui quand ils sont relaches pour manque d'accusation sont sommes de payer quand meme les frais de leur arrestations !)... A Nilin ce sont 80 pour cent de leurs etres qui ont ete confisquees, et autant de fermiers bafoues dans leur identite, dont certains sont devenus fous. Certains avaient prevu d'aller vivre en Jordanie pour y trouver du travail mais les autres les en ont empeche, car "c'est exactement ce que les Israeliens recherchent"
"Nous n'avons pas de reponse a donner a nos enfants quand ils nous demandent pourquoi nous ne pouvons pas aller chez nous".
Iyad nous accueille avec chaleur malgre une fatigue immense qui se lit sur son visage, comme sur celui de sa femme. Il nous explique que les hommes du village, et en particulier ceux qui sont recherches par l'armee israelienne comme lui, sont obliges de veiller toutes les nuits pour prevenir les incursions de soldats dans le village. La presence d'internationaux est capitale, pour les proteger. C'est la 2e action qu'ils nous confient. Marianne, activiste d'ISM presente au village depuis plusieurs semaines, nous explique en quoi cela consiste et quelle attitude nous devons adopter devant les soldats le cas echeant, ce qui arrive plusieurs fois par semaine.
Nous dormons un petit peu avant qu'Iyad nous reveille. Il nous repartit en 3 groupes, notre mission et d'autres militants internationaux. Nous marchons dans le village tous les 6 en silence. Seules quelques maisons sont eclairees. L'atmosphere est etrange, notre chef de patrouille est vigilant, rassurant et drole tout a la fois. Il nous amene d'abord au QG pour charger la video de la manif sur internet. Je fais ma petite contribution personnelle a la resistance en l'aidant a telecharger le bon logiciel. Sur le chemin du village, on regarde les alentours tout en cueillant des figues et du raisin. Bruit de coqs, un ane qui braie... Nous rentrons finalement a l'aube. Le village restera calme cette nuit-la.
2 heures plus tard, nous quittons la maison sur la pointe des pieds. La femme d'Iyad dort habillee sur le canape, Iyad, lui, doit dormir dans une autre maison. J'ai le coeur tres serre, j'aurais aime les embrasser et leur transmettre ma solidarite profonde. Que ces heures de sommeil leur permettent de s'echapper un peu de leur enfer quotidien
"Nous croyons que ce Mur tombera un jour mais cela se fera grace a notre combat non-violent. Il ne tombera pas si nous dormons"
http://rexistance.blogspot.com
avec autres articles sur la même mission et photos
Magali