FREE PALESTINE
23 juillet 2009

Bilan sur Rafah

Bilan progressif (écrit au cours de la semaine qui a suivi mon retour)

DYNAMIQUE :

Après avoir passé deux semaines en Egypte, nous sommes rentrés en France, Jack et moi. Notre billet n'était pas modifiable. Nous avions prévu de le perdre en cas de situation extraordinaire, ou s'il nous avait semblé devoir absolument rester en Egypte pour le succès de l'action.

Le succès de l'action (ou victoire totale) étant l'ouverture définitive du siège, celle-ci ne peut qu'être le résultat de la somme de nombreuses victoires, petites et minuscules, partielles en tous les cas.

La première de ces victoires a été pour ce groupe de citoyens du monde de réussir à se rassembler et à se retrouver à Al Arish puis à Rafah. Je ne précise pas ici les « ruses de guerre » qu’il a fallu employer, mais il faut savoir que ce n’est pas simple. En Egypte, le gouvernement surveille étroitement la population et les étrangers.

La seconde victoire, après trois jours de tentatives infructueuses, a été d’établir le camp, monter les tentes et tenir bon, malgré une pression croissante pour nous faire partir, exercée par l’armée et la police, mais aussi « l’intelligence » et jusqu’à de simples citoyens (auxiliaires travaillant plus ou moins ouvertement avec la police). Ceci n’a été possible que grâce à l’aide inestimable des journalistes égyptiennes, qui ont déployé des trésors d’imagination et de diplomatie dans leur travail d’interprètes entre les autorités et le groupe international.

Une troisième victoire a été obtenue le 14 juin vers 2h du matin, par une négociation de haut vol, en arabe et en anglais, avec le colonel M.A. Nous avons alors obtenu (je devrais dire arraché, mais très courtoisement) l’autorisation de rester toute la nuit. Et plus si détermination.

Mal renseignés, nous avions prévu que les militants arabes nous rejoindraient. Des Egyptiens et des Palestiniens, mais aussi des Jordaniens et d’autres nationalités encore, nous avaient plus ou moins promis un « soutien massif » sitôt que l’action serait commencée. On n’arrêtait pas de nous dire, « nous ne pouvons rien commencer nous-mêmes, la répression serait trop forte. Mais si vous démarrez quelque chose, nous suivrons, nous vous rejoindrons sur le camp. »

La quatrième victoire n’est donc pas venue. Nous pouvons même considérer comme une défaite (partielle, là encore) le fait de rester si peu nombreux, de ne pas voir arriver du renfort, que ce soit des Egyptiens ou des internationaux.

La suite a été un enchaînement de hauts et de bas, victoires et défaites, avancées et reculs :
_ L’un de nous partait (reprenait l’avion pour son pays).
_ Fatigue et déception ont permis aux autorités d’avancer leur pion. Ils nous ont demandé de démonter les tentes et le groupe a lamentablement accepté.
_ Ne pouvant entrer à Gaza, une Allemande et ses 6 enfants palestiniens nous rejoignent.
_ Le général Harb ordonne la fermeture de la buvette, la mosquée et les toilettes.
_ Nous creusons un trou et tendons la banderole autour pour faire des « toilettes sauvages ».
_ Les officiers supérieurs nous menacent.
_ Les camarades d’Al Arish nous apportent des couvertures et des cigarettes.
_ Mohamed, un Palestinien vivant en Belgique, empêché d’entrer à Gaza alors qu’il apporte de l’insuline à sa fille diabétique, nous rejoint et nous enseigne beaucoup sur « l’industrie du siège ».
_ Vers minuit, il est chassé par les soldats, et nous nous sentons impuissants à le protéger.
Totale incompréhension.. même Iman la journaliste, même Mohamed, acceptent la décision des soldats (qui lui murmurent leurs arguments à l’oreille, une trique à la main).
_ Les américains commencent une grève de la faim, spontanément, dans le désordre.. Don nous dit simplement qu’il ne mange plus, inspiré par le récit de Mohamed au sujet d’une telle grève dans les prisons israéliennes. Le lendemain, Paki et Hellen font de même.

Les détails sont innombrables, mais l’important est de voir combien l’énergie nous manque pour maintenir une discipline et un niveau correct d’organisation. Pour transformer chaque action ou réaction en victoire et pour que celle-ci serve à préparer les suivantes.

Au palmarès des victoires nous pouvons ajouter le fait d’avoir reçu des messages de soutien du monde entier, y compris de Palestine. Et aussi d’avoir pu, continuellement, donner des nouvelles, soit par téléphone soit par internet. Même si cela n’a pas toujours été fait dans les meilleures conditions, avec relecture préalable par au moins un ou deux autres membres du groupe. C’est qu’il y avait tant à faire :

_ Maintenir la cohésion du groupe, communiquer, traduire entre nous (français, anglais, italien, arabe), etc.
_ Gérer les relations avec l’extérieur favorable (interviews, reports, tel, la buvette, le Croissant Rouge, les gens qui veulent aller à Gaza et sont bloqués à la frontière, etc.)
_ Gérer les s relations avec l’extérieur hostile (police, armée, grands officiers, « intelligence », indics, etc)
_ Assurer l’intendance, acheter et préparer les repas, l’eau, les cartes, recharger les téléphones et ordinateurs, etc.
_ Prendre soin de la famille, les petits courent partout et le général nous a dit, mi-paternel mi-menaçant, de « faire attention ». La nuit, les fillettes pleurent, dévorées par les moustiques, on s’en occupe, il nous reste peu de temps de sommeil...

La prochaine victoire, si elle a lieu, sera l’arrivée de renforts. Que ce soit les Français ou les Australiens qui sont à Al Arish, des militants égyptiens ou des familles palestiniennes. Tout est possible. Et si aujourd’hui mercredi 24 juin, après douze jours, le camp est encore debout pour exiger la fin du siège, avec seulement 5 personnes, imaginons son potentiel si ses effectifs augmentent.

Seul l'épuisement pourra mettre fin à cette expérience. C’est pourquoi chacun est appelé à rejoindre le campement devant la Porte de Rafah pour exiger la levée immédiate du siège illégal et meurtrier.

D’autre part, tout être humain voulant dénoncer le crime que constitue le siège israélien et soutenir l’action à Rafah, peut utiliser courrier, courriel, fax, téléphone, twitter, sms, tous les moyens de communication pour faire entendre sa voix à ceux qui nous gouvernent.

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PERSPECTIVES :

Notre ami italien est parti le 14, après avoir déjà reporté son voyage (et donc payé un autre billet retour, heureusement pris en charge par ses camarades en Italie), Trois français (dont moi) sont repartis le 17, une autre française le 20. Quand à nos amis étazuniens, ils ont aussi leurs dates de retour, plus ou moins modulables, mais pas éternelles. Il faut admettre que nous ne pouvons pas rester indéfiniment. Même ceux qui pourraient rester plus longtemps en cas d’absolue nécessité, seront obligés, tôt ou tard, de rentrer chez eux, ou du moins faire un break pour récupérer, car épuisés nous sommes inutiles. Dans ce genre de situation très intense, je réalise à quel point mon Pépé Charles avait raison, lui qui disait toujours, « quand on est pas utile, on est nuisible. »

Les chances de survie du camp avec un effectif aussi minime, 4 ou 5 personnes semblaient nulles à priori, mais l’expérience a prouvé le contraire. Nous discuterons une autre fois des causes possibles de cet état de fait. Pour l’instant, l’important est de comprendre que le camp peut être maintenu, même symboliquement.

En revanche, s’il n’est pas alimenté en énergies nouvelles, il court un danger perpétuel, qui menace non seulement son existence, mais aussi la qualité de son action, la pertinence de ses décisions, son efficacité et son rayonnement.

En effet, l’existence même de ce camp, la présence à la frontière de citoyens du monde exigeant  la fin du siège israélien, illégal et inhumain, est déjà une réussite sans précédent. Il ne faut pas oublier cependant, l’objectif final de la campagne, qui n’est pas de pouvoir rester là et d’exiger, mais bien d’obtenir la levée totale et sans condition du blocus meurtrier. Comme nous l’a dit le Général Harb, cette décision politique doit être prise par la « communauté internationale », celle-ci devant également se donner les moyens de la faire appliquer.

Cet objectif est vital pour les Palestiniens de Gaza, qui attendent les convois d’aide humanitaire pourrissant en Egypte. De même pour ceux qui veulent rentrer chez eux et retrouver leur famille après avoir été soignés à l’étranger. Il est également essentiel pour les Egyptiens, en particulier pour les habitants du Sinaï et à fortiori de Rafah. Au-delà, cette victoire est aussi extrêmement importante pour toute la population du monde qui, dans sa grande majorité, défend les droits humains et soutient la résistance palestinienne.

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LES METASTASES DE L’OCCUPATION :

Déjà lors de notre journée d’action au Caire le 4 juin, en réponse à la venue d’Obama (pour faire un speech sur la paix au Proche Orient), nous avons constaté que l’occupation s’est étendue. Même les citoyens étazuniens ne pouvaient approcher de leur ambassade, et à part une poignée de fous invisibles, personne ne pouvait approcher de l’université où le président allait parler. 30 000 hommes étaient mobilisés pour « assurer la sécurité » !

L’empire est en train d’élargir au reste du monde la situation créée en Palestine. L’horreur déclenchée en Irak et en Afghanistan pouvait même laisser croire que le sort réservé à ces pays était encore pire. C’est ce qu’on pouvait penser, à la limite, jusqu’au dernier massacre de la population de Gaza. L’occupation, la misère, les bombardements, sont connus aussi depuis longtemps en Syrie et au Liban. La Jordanie, tranquillement aux ordres des sionistes, permet aux correspondants de guerre de faire leur travail au calme.

Quant à l’Egypte, elle touche presque autant de subventions qu’israel. Cette manne étazunienne est indispensable pour entretenir des forces de répression pharaoniques, sans lesquelles le régime de Mubarak aurait été renversé x fois.

Même les touristes peuvent se rendre compte à quel point ce pays est sous le contrôle strict de la police. Ce qui n’empêche pas l’expression de la légendaire hospitalité arabe. Les citoyens, qu’ils souffrent de l’oppression, qu’ils profitent du tourisme et/ou qu’ils renseignent la police, restent d’une amabilité surprenante pour tout occidental qui arrive là pour la première fois. J’en profite pour les remercier du fond du cœur, car c’est un vrai bonheur de défendre le droit dans un pays peuplé d’êtres véritablement humains.

Si on entre dans le Sinaï, on sent se resserrer la surveillance policière. Il devient carrément malsain de signaler qu’on est ici pour les droits humains, ne parlons pas de la Palestine ! Si on vient pour faire un séjour dans un camp de Bédouins ou se griller sur la plage d’Al Arish, on est encore bienvenu. On peut même, en cherchant bien, trouver une maison particulière à louer, sur la plage. A condition d’accepter le garde en tenue « grand blanc », qui surveille notre porte jour et nuit, écoute nos conversations, demande au chauffeur de taxi où il nous emmène, etc.

Mais si on veut aller à Rafah.. alors c’est une autre paire de manche ! Il arrive qu’on passe, mais en principe on est arrêté. Il y a au moins 5 check points sur les 40 km qui séparent les deux villes. Sans parler du Check Point One Alpha, des « forces internationales » 500 mètres avant la frontière, une zone de 300 m2 entourée d’un monceau de rouleaux de barbelés tranchants comme du rasoir. En ce moment ce sont des Fidjiens qui sont là-dedans, pour un an sans jamais mettre le nez dehors !

Après le traité de paix égypto-israéliens de 1979, le Sinaï, rendu à l’Egypte, fut divisé en trois zones A, B et C. La zone C, la plus orientale restait sous contrôle israélien et l’armée égyptienne n’avait pas le droit d’y pénétrer (sauf sporadiquement, après avoir demandé aux sionistes une autorisation spéciale).

Lors du retrait israélien de Gaza en 2005, Sharon a demandé aux Egyptiens de contrôler la frontière, d’empêcher les Palestiniens de sortir, mais l’Egypte a répondu qu’elle n’avait pas de force militaire dans cette zone. Les accords ont alors été revus et maintenant, c’est l’armée égyptienne qui fait la police dans tout le Sinaï. La zone C étant, selon nos sources, sous le contrôle exclusif de « l’intelligence »  (autrement dit les services secrets). 

En 1979, Rafah a été arbitrairement coupée en deux, séparant les voisins et même les familles. Dans cette ville, on a été obligé, du jour au lendemain, de « choisir son camp », être Palestinien ou Egyptien, alors qu’on étai,t depuis des millénaires, habitant de Rafah. A cause du siège de Gaza, la population limitrophe est soumise à un régime d’occupation militaire, peu différent de l’époque où l’armée sioniste occupaient le Sinaï. 

Rafah est assez étendue, il faut pas oublier que plus d’un millier de tunnels y débouchent. Cela génère toute une économie parallèle qui fait partie de ce que nous appelons « l’industrie du siège » et qui fera l’objet d’un autre rapport. Ce qui saute aux yeux, c’est un essaim de pick-ups, chargés de tout type de marchandises. Ces véhicules appartiennent aux propriétaires de tunnels, chacun ayant sa couleur (rouge, vert, bleu, jaune, etc). Ils tourbillonnent sur les routes et chemins entre Al Arish et Rafah, puis disparaissent dans cette agglomération, dont une bande centrale a été rasée pour créer un « no man’s land ».

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Tous à Rafah pour exiger la fin du siège sioniste meurtrier et illégal !

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