FREE PALESTINE
27 janvier 2009

Si Abou al-Aish n’existait pas, il faudrait l’inventer

"Est-ce que tu as le numéro de téléphone

de Shlomi Eldar ?"

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1056387.html

Si Abou al-Aish n’existait pas, il faudrait l’inventer

Hagai Matar

Haokets, 21 janvier 2009

www.haokets.org

C’est terrible à dire mais la mort télévisuelle (1) semée dans la famille du Dr Az a-Din Abou al-Aish était précisément ce qui manquait aux médias israéliens tout au long de l’offensive contre Gaza. Cette histoire comporte toutes les éléments nécessaires pour convaincre des Israéliens qu’il s’agit d’une victime, d’un homme sincère dont nos soldats ont détruit la vie, en poussant sur un bouton. Le docteur al-Aish connaît l’hébreu, travaille en Israël, a mené une recherche sur l’impact de la guerre sur les enfants de Sderot, est opposé au Hamas, et a beaucoup d’amis juifs qui pourraient en témoigner. « Je dirais presque un Palestinien sioniste », a dit [le journaliste israélien] Gabi Gazit. Si l’on ajoute dans le chaudron l’émission en direct, bouleversante, sur [la chaîne de télévision israélienne] Canal 10 et la ténacité avec laquelle Shlomi Eldar est resté de longues minutes dans le studio, à faire entendre la communication téléphonique, on a la première image vraie de la souffrance palestinienne qui soit parvenue à secouer la population [juive] israélienne. D’un coup, une foule de gens se sont mis à s’envoyer les uns les autres le lien horrifiant et, pour la première fois dans les réactions aux articles en ligne, on a enregistré un écart significatif par rapport au typique « ils l’ont bien mérité, il faut leur rentrer dedans ».

La tragédie d’Abou al-Aish est énorme et ses amis ont raison de parler de lui comme d’un « Job moderne ». Mais il est difficile d’échapper à la question lancinante : pourquoi seulement lui ? Pourquoi 300 enfants morts parmi les 1300 tués n’ont pas ébranlé les [juifs] israéliens ? Pourquoi les nouvelles versions de Kfar Cana n’ont-elles embarrassé personne ?

« al-Aish », en arabe, c’est « le vivant ». « Abou al-Aish », c’est « le père du vivant ». Le père de tout vivant, c’est Adam, l’Homme. Et Abou al-Aish est bien tout Homme et plus précisément : tout homme palestinien dans le Gaza d’aujourd’hui. Des dizaines d’autres personnes ont été tuées hier à Gaza. Qui sont-ils ? Quels sont leurs noms ? Quelle est leur histoire ? Est-il moins important d’en entendre parler parce qu’ils ne s’expriment pas en hébreu ? Le sort de l’ouvrier agricole qui travaillait en Israël et dont le permis de travail a été supprimé quand on a commencé à faire venir des Thaïlandais meilleurs marché, ne nous intéresse pas ? Et qu’en est-il si un des jeunes gens qui ont été tués ne pensait guère aux enfants de Sderot mais avait organisé une équipe de football pour canaliser la frustration et le désespoir de ses copains ? Et les mères dont la Croix Rouge a trouvé les corps, dans une maison, à côté de leurs enfants en pleurs, leur mort était-elle justifiée parce que peut-être, juste peut-être, elles avaient voté en faveur du Hamas aux élections démocratiques qu’Israël a tant insisté à voir s’organiser ?

Nous n’avons rien entendu de tout cela, ni de centaines d’autres cas, au cours de l’opération. Ce n’était rien de plus que des chiffres fournis, en alternance, par le porte-parole de l’armée israélienne et l’UNRWA. C’est comme ça que nous n’avons pas eu de comptes-rendus de chaque explosion, chaque immeuble détruit, chaque heure sans électricité ou sans eau à Gaza. C’est comme ça aussi que nous avons pu rappeler huit années de roquettes Qassam mais, dans le même temps, parler de huit années de « retenue », et oublier que cinq de ces années étaient des années d’occupation directe – après plus de trente autres – et que trois de ces huit années ont été des années d’un blocus asphyxiant. Et de nouveau, nous oublions le nombre incalculable d’opérations militaires qui ont précédé celle-ci, comme « Pluies d’été » ou encore celle qui a obtenu le prix du meilleur nom pour une opération militaire : « Peut-être cette fois ».

Et c’est là, en fin de compte, la nature véritable du processus de séparation qu’Israël fait avancer, une séparation qui ne voit certains êtres humains et pas d’autres, et qui sait pardonner et oublier les tueries en gros de certains civils et ne pas comprendre la mort d’autres. C’est l’essence du racisme. Le Dr al-Aish espère que la mort de ses filles amènera la paix ? Entre-temps, un cessez-le-feu a été proclamé. Tout le monde estime qu’il n’est que temporaire, jusqu’au prochain round. Mais si toutes les gamines palestiniennes qui seront tuées à partir de maintenant pouvaient avoir un nom et une histoire dans les médias israéliens, on pourrait espérer pouvoir empêcher le round suivant et que la prière de ce père endeuillé se réalise.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

(1) http://www.youtube.com/watch?v=32BvKCmguXU

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