L’OLP, victime de la guerre de Gaza
L’OLP, victime de la guerre de Gaza
Gilles Paris
Une victime n’a pas encore été dégagée des ruines fumantes de Gaza, livrée pendant trois semaines à une puissance de feu israélienne sans précédent dans l’histoire tourmentée de ce territoire. Le Fatah, colonne vertébrale de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), absent pour la première fois d’un affrontement armé avec Israël depuis sa création, en 1959, au Koweït.
Lors de la première Intifada, dépassés par un soulèvement qu’ils n’avaient pas initié, les dirigeants de l’OLP s’étaient efforcés a posteriori d’apparaître comme ses organisateurs. Israël avait participé à cette mystification en assassinant à Tunis, où le Fatah s’était replié après son éviction de Beyrouth, Khalil Al-Wazir, " Abou Jihad ", le numéro deux de l’OLP, pensant à tort casser le soulèvement de la Cisjordanie et de Gaza.
Treize ans plus tard, avec l’éclatement de la deuxième révolte palestinienne, Yasser Arafat, devenu entre-temps chef de l’Autorité palestinienne installée dans les territoires occupés après les accords d’Oslo, avait tenté de " chevaucher le tigre ", laissant une partie du Fatah s’engager dans l’action armée, y compris le terrorisme, pour rivaliser avec le Hamas. C’était l’époque où l’expression de tanzim (" organisation " en arabe, terme désignant ordinairement le Fatah) faisait florès dans la presse israélienne pour bâtir le mythe d’une quasi-armée secrète, preuve de la nécessaire duplicité arabe.
Avec l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas et la renonciation sans équivoque à la lutte armée, puis la reconstruction des services de sécurité palestiniens sous l’égide des donateurs internationaux, le Fatah a abandonné ce terrain au Hamas et aux autres milices de Gaza, réduisant son rôle, après son éviction par la force de Gaza, à la répression des islamistes de Cisjordanie ainsi qu’à la mise au pas des gangs qu’il avait laissé prospérer dans ses rangs, à Jénine, à Naplouse ou à Hébron.
M. Abbas a pris le risque de tout miser sur la négociation. L’année 2008 qui vit à la fois s’engager une discussion politique avec Israël, étayée par le soutien financier sans précédent apporté aux territoires palestiniens, a montré l’échec de cette stratégie. Parvenu au terme de son mandat de président, " Abou Mazen " ne peut en effet se prévaloir de la moindre avancée sur le chemin d’un éventuel Etat palestinien. Il se voit réduit au rôle d’" idiot utile ", emprisonné dans un dialogue inégal avec Israël, et dont le seul intérêt est d’entretenir l’illusion d’un processus de paix sans prise sur la réalité.
Ossifié par le long règne de Yasser Arafat, jusqu’à sa mort en 2004, le Fatah ne semble pas capable de se réinventer. Ses instances n’ont pas été renouvelées depuis 1989 et seule la mort de leurs membres modifie désormais la composition de son comité exécutif comme celle de son conseil révolutionnaire. Le Hamas, de son côté, est encore loin de représenter une alternative, même si son émergence constitue plus un retour aux sources qu’une rupture dans l’histoire du mouvement national palestinien. La matrice idéologique des Frères musulmans, à la fois islamiste, nationaliste et anticoloniale, avait en effet expliqué leur engagement dans la guerre de 1948 et 1949, à commencer par de nombreux futurs cadres du Fatah, avant la création de ce dernier.
Ses succès électoraux obtenus à la régulière - non seulement aux législatives de janvier 2006 mais lors des municipales qui avaient précédé - étaient plus le résultat d’une posture " tribunitienne ". Cette posture a été renforcée plus par la détestation suscitée par un Fatah, recru de divisions et critiqué pour son inefficacité comme pour sa corruption, que le produit d’un programme attractif ou novateur.
LA " DÉ-PALESTINISATION " DE LA CAUSE
Du fait de son message à la fois nationaliste et religieux, le Hamas peut difficilement se transformer en ce " mouvement attrape-tout " qu’a été jusqu’à présent le Fatah, même si sa doctrine - création d’un Etat palestinien indépendant dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et le droit de retour pour les réfugiés - est aujourd’hui assez proche, s’agissant de la Palestine, des positions exprimées par le chef du bureau politique, Khaled Mechaal.
Compte tenu par ailleurs de la disparition du courant post-marxiste de l’OLP - les Fronts patriotique et démocratique de libération de la Palestine - et de la faiblesse congénitale des indépendants palestiniens (quatre élus lors de la dernière élection), cette double incapacité du Fatah et du Hamas à porter le mouvement national palestinien explique le phénomène de " dé-palestinisation " de cette aspiration, très vite identifié par le chercheur Jean-François Legrain et qui n’a fait que se renforcer depuis la mort de Yasser Arafat.
La question palestinienne est redevenue, comme avant la déroute arabe de 1967 qui avait paradoxalement libéré l’OLP, un instrument de mesure des conflits interarabes et de l’influence des principaux acteurs régionaux. Les sommets successifs de Doha et de Koweït, les 17 et 19 janvier, ont rappelé le poids désormais écrasant des " parrains ", saoudien, jordanien et égyptien d’un côté, syrien, qatari de l’autre, suspectés de jouer les chevaux de Troie au profit de l’Iran. S’y ajoute la tutelle occidentale, européenne et américaine, voire israélienne, sur l’Autorité palestinienne qui a réduit son envergure politique. Elle a fait courir à M. Abbas le risque d’apparaître comme le supplétif, sinon le collaborateur d’un projet politique qui néglige l’enjeu de la Palestine pour se focaliser sur l’endiguement du régime de Téhéran.
Depuis plus de dix ans, le mouvement national palestinien se bat en reculant. Face à cette érosion, Israël n’a jamais su se départir de la tentation de choisir ses interlocuteurs, dans l’espoir que ces derniers se montrent moins exigeants. Ses expérimentations (faire émerger une alternative à l’OLP " de l’intérieur ", qu’il s’agisse de notables cooptés ou d’islamistes dans les années 1970) se sont pourtant invariablement transformées en fiasco. Faut-il désormais redouter en terre palestinienne une évolution comparable à celle en oeuvre dans les camps de réfugiés du Liban, où la détente du ressort national, usé à force d’avoir trop servi, laisse le champ libre à tout autre chose que la quête d’un Etat ?
Service International
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publié par le Monde