FREE PALESTINE
16 janvier 2009

Une chance que mes parents ne soient plus là

Une chance que mes parents ne soient plus là 

Amira Hass

Haaretz, 7 janvier 2009

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1053357.html

Version anglaise : Lucky my parents aren't alive to see this

www.haaretz.com/hasen/spages/1053428.html

Quelle chance que mes parents soient déjà morts. Déjà en 1982, ils ne pouvaient supporter le bruit des avions de combat israéliens fondant sur les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Le sifflement déchirant d’un avion et ils frémissaient dans leur maison de Tel Aviv. Nous n’avons pas besoin de voir pour savoir, disaient-ils.

C’était comme ça à l’époque. Que serait-ce aujourd’hui si, par mon intermédiaire, ils pouvaient connaître Sham, fillette de deux ans, qui a l’habitude de grimper avec agilité sur la table pour regarder sa sœur dessiner dans son cahier, Tayeb, cinq ans, avec le petit espace entre les dents qu’on lui voit à chaque sourire, Carmel, six ans, et les livres illustrés qu’elle aime. C’est le monde qui explose autour de ces enfants, qui n’arrête pas d’exploser, à une distance d’une dizaine de mètres ou de cinquante mètres. Cela fait dix jours que chaque instant est un instant de peur et que chaque instant de peur est un instant de mort. Multipliez par un million et demi.

Mes parents abhorraient chacun de leurs gestes quotidiens – mélanger le sucre dans le café, laver la vaisselle, se tenir dans les passages cloutés – quand dans le même moment, exactement, ils voyaient en imagination, en s’appuyant sur leur expérience personnelle, la terreur dans les yeux des enfants, le désespoir des mères impuissantes à les protéger, le moment où la bombe puissante fait s’effondrer la maison sur ses occupants et que les bombes intelligentes massacrent des familles entières. La mère de Salma dit : « Lorsque je me réveille d’un bout de sommeil volé, je suis toute surprise. Je sais que c’est seulement un hasard si je suis vivante. »

Comment pourraient-ils supporter leur vie de tous les jours aujourd’hui, s’ils m’entendaient parler d’Oum Khaled, une femme de 70 ans : une bombe a été larguée sur une structure en béton, sur la place du camp de réfugiés de Shabbura. Deux civils ont été tués. Des dizaines de maisons construites en béton creux ont été fortement endommagées. Le toit en asbeste est tombé à quelques centimètres de sa tête. C’est cela seul qui l’a convaincue de se laisser « évacuer » dans la maison de sa fille, à cinq cents mètres de là ; l’illusion qu’une maison neuve sera plus sûre. « Tout ce que j’espère c’est de mourir avant de voir qu’il vous arrive quelque chose », ne cesse-t-elle de répéter à ses enfants.

Avant même que le lessivage de la langue ait atteint le degré de perfectionnement auquel il est parvenu aujourd’hui, mes parents étaient pris de nausée devant des formules comme « la guerre de la Paix en Galilée » ou « troubles de l’ordre », quand l’ordre c’est l’occupation et que le trouble tient dans la résistance à celle-ci. Quand l’ordre, c’est de refuser aux Palestiniens ce à quoi les Juifs ont droit.

Quelle chance qu’ils ne soient pas parmi les vivants, pour entendre Ehoud Barak ou Tzipi Livni expliquer que nous n’avons rien contre le peuple palestinien, ou le secrétaire de cabinet expliquer qu’il n’y a pas de crise humanitaire et qu’il ne s’agit que de propagande venant du Hamas. Pour reconnaître des mensonges, ils n’avaient pas besoin de connaître le nom des gens chez qui il n’y a pas d’eau courante depuis cinq jours. Oubliez les bombardements, oubliez l’électricité, la nourriture, et même le sommeil. Mais sans eau ? A cause des bombardements maritimes, aériens et terrestres, les gens ne peuvent même pas sortir de chez eux pour aller chercher de l’eau potable aux robinets de la ville. Et quand quelqu'un a de l’eau chez lui au robinet, elle n’est pas bonne à la consommation.

Du fait de leur histoire, mes parents savaient ce que cela voulait dire d’enfermer des gens derrière des clôtures de fil de fer et des miradors, sur un petit espace de terre. Un an, cinq ans, dix ans. Depuis 1991. Quelle chance qu’ils ne vivent pas pour voir comment, aujourd’hui, ces gens emprisonnés, sont aussi bombardés avec toutes les merveilles de la technologie militaire d’Israël et des Etats-Unis. « Nous invitons d’urgence Mohamed El-Baradei à venir ici afin de faire la preuve que nous n’avons pas d’armes nucléaires », a dit Iyad. Un humoriste bien connu, même sous les bombes. Mais samedi soir, il a seulement dit « difficile, difficile » avant de raccrocher le téléphone.

L’histoire personnelle de mes parents les amenait à se révolter contre la sérénité avec laquelle on annonçait, à la radio, qu’un couvre-feu était décrété. Quelle chance qu’ils ne soient pas ici pour entendre la foule applaudir dans le Colisée.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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