FREE PALESTINE
15 janvier 2009

La couverture médiatique du conflit à Gaza est très déséquilibréer

Denis Sieffert : “La couverture médiatique du conflit à Gaza est très déséquilibrée”
Le 9 janvier 2009

 

LE FIL IDéES - Au quatrième jour de l’offensive terrestre, l’armée israélienne interdit toujours aux journalistes d’entrer dans la bande de Gaza. Même si des témoignages et des images venant du côté palestinien arrivent à percer le blocus, comment couvrir une guerre d’un seul côté ? Ce déséquilibre, criant dans les médias français, s’explique aussi par d’autres facteurs, explique le journaliste Denis Sieffert, auteur, avec Joss Dray, d’un livre de référence “La Guerre israélienne de l’information”.


Soldats israéliens à la frontière de la bande de Gaza

le 4 janvier 2009. - Xinhua /Landov/maxppp

7 janvier 2009


Comment jugez-vous la couverture médiatique, en France, de l’offensive israélienne à Gaza ?


Denis Sieffert : Très déséquilibrée. Un exemple m’a frappé : pour justifier cette intervention, les officiels israéliens invoquent la rupture, par le Hamas, de la trêve conclue le 19 juin 2008. Cet argument est repris comme une évidence par la majorité des médias français alors que la réalité est un peu différente : le Hamas ne lançait quasiment plus de roquettes sur Israël depuis quatre mois et demi quand l’armée israélienne, début novembre, a mené plusieurs raids meurtriers sur la bande de Gaza. A la suite de ces bombardements, le Hamas a repris ses tirs, un mois plus tard. Il a alors officiellement proclamé la rupture de la trêve, ce qui a provoqué la réaction en chaîne qu’on connaît (1).. Israël avait déjà rompu la trêve sans le dire. Mais le Hamas, lui, a, comme souvent, très mal communiqué.

La guerre passe aussi par les mots. Quels sont ceux qui vous ont frappé ?

Denis Sieffert : L’expression « légitime défense » et le mot « riposte » à propos de l’intervention armée israélienne ont été fréquemment employés par les journalistes français. Ce week-end, sur France Inter, j’ai entendu Ivan Levaï dire dans sa revue de presse que « la patience des Israéliens avait été poussée à bout ». La légitimité de l’action israélienne n’est généralement pas contestée.

L’autre aspect frappant, dans cette couverture médiatique, est l’apparente symétrie qui est installée entre les victimes des deux camps : même si l’envoi de roquettes a effectivement plongé les villes israéliennes frontalières de Gaza dans un climat de peur, on ne peut tout de même pas renvoyer dos à dos la vingtaine de victimes israéliennes depuis 2001 et les 500 ou 600 palestiniens qui sont morts depuis le début de cette opération militaire.

Et puis on montre aujourd’hui les bombes, le sang, mais il y a eu aussi pendant des mois et des mois la violence économique du blocus de Gaza, des situations humainement épouvantables que les Palestiniens n’ont jamais vraiment réussi a faire ressentir à l’étranger. Ils n’ont pas su toucher l’opinion internationale.

D’autant que le Hamas joue un rôle très important de repoussoir auprès des opinions occidentales…
Denis Sieffert : Le Hamas est généralement présenté comme une organisation terroriste. Une fois qu’on a dit ça, la discussion est close. C’est terminé ! La réalité est autrement plus complexe. Certes le Hamas a pratiqué le terrorisme, mais ce mouvement est une nébuleuse qui compte – comme partout – des modérés et des irascibles. Les journalistes présentent souvent cette organisation comme déconnectée de la population. C’est faux, sinon le Hamas n’aurait pas remporté les élections législatives de février 2006, ce qu’on oublie souvent de rappeler. L’adhésion au Hamas est d’ailleurs sans doute moins idéologique qu’il n’y paraît ; elle a grandi, en négatif, à la mesure de l’échec de l’OLP.

Les militaires israéliens, qui ont perdu la guerre du Liban de 2006 face au Hezbollah, notamment sur le terrain médiatique, ont-ils tiré les leçons de leur échec ?
Denis Sieffert : Les officiels israéliens me semblent un peu plus prudents dans leurs déclarations ; ils font moins de pronostics bravaches et ne s’avancent guère sur la durée du conflit. Ils ont raison, car personne ne sait comment cela va tourner. Si, demain, dix de leurs jeunes soldats sont tués dans une explosion à Gaza, l’opinion en Israël – actuellement très majoritairement favorable à l’intervention – peut se retourner.
En France, c’est un peu pareil. Les médias dominants – nonobstant les excellents confrères qui peuvent y travailler – oscilleront comme d’habitude en fonction du rapport de force. Soit l’armée israélienne réussit son coup, arrive à démanteler pour un temps l’armement du Hamas ou à tuer certains de ses dirigeants, et elle va être encensée. Soit les événements se retournent contre Israël, et les médias emboîteront le pas.

Un autre exemple : si l’Union européenne traitait demain avec le Hamas et le considérait comme un acteur majeur, je suis certain que l’attitude de la majorité des journalistes changerait à son égard… Je n’aime pas parler en termes généraux, mais il faut bien reconnaître que c’est ainsi : le traitement médiatique suit le discours politique dominant et les courbes de l’opinion.
.
Propos recueillis par Thierry Leclère


(1) Dans son blog “Nouvelles d’Orient”, Alain Gresh, le directeur adjoint du “Monde diplomatique” remarque : “Alors qu’en juin, il y a eu 87 attaques du Hamas, celles-ci sont tombées à 1 en juillet, 8 en août, 1 en septembre, 2 en octobre. Le 5 novembre, en violation de l’accord, Israël effectuait un raid contre des militants du Hamas à Gaza, en tuant 4 personnes. Résultat : 126 attaques du Hamas. D’autre part, Israël n’a jamais respecté l’autre volet de l’accord : l’ouverture de tous les points de passage entre Israël et Gaza.”

Directeur de la rédaction de Politis, Denis Sieffert est aussi l’auteur de “Israël Palestine, une passion française” (La découverte, 2004).

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Visiteurs
Depuis la création 873 156
Archives