Colère impuissante de la rue arabe
par M. Saâdoune, Le Quotidien d'Oran, 30 décembre 2008

345 morts, plus de 1.400 blessés. Le bilan des attaques aériennes barbares de l'armée israélienne contre la population de Ghaza s'aggrave d'heure en heure. Dans le monde arabe, les officiels, soucieux de ne pas déplaire aux Américains, se livrent à des atermoiements alors que les opinions publiques expriment, là où elles le peuvent, une rage impuissante.
«Nous livrons une guerre sans merci contre le Hamas et ses alliés», a affirmé le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak. Sur Al-Jazira, à qui elle a reproché de trop montrer les images du carnage, la ministre des Affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, a laissé entendre que les «modérés» arabes faisaient preuve de «compréhension». De là à penser que ces dirigeants arabes dits modérés lui ont demandé de détruire le Hamas, il n'y a qu'un pas que les opinions publiques ont déjà franchi.
Si les Etats arabes étaient des démocraties, la plupart des gouvernements seraient tombés. Ces jours de carnage démontrent, de manière saisissante et sanglante, que le centre occidental a besoin que les régimes autoritaires arabo-islamiques perdurent. Il ne faut donc pas se surprendre à lire dans la presse occidentale que les tirs de roquettes de la résistance palestinienne sont des «crimes de guerre» et que les bombardements aériens israéliens ne sont que de la légitime défense. Le discours des propagandistes israéliens consiste à imputer les pertes civiles palestiniennes au Hamas. Certains, y compris dans la cour du fantomatique président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, relaient ce discours de justification.
Les civils, cible principale
En réalité, dans la configuration de Ghaza, le territoire le plus densément peuplé du monde, les civils ne sont pas des victimes collatérales. Ils sont la cible principale au regard de l'objectif israélien qui est d'éliminer le Hamas de la carte. En sommant, deux jours avant le début de l'agression, la population de Ghaza de se détourner du Hamas, Ehud Olmert a fixé la cible à frapper pour atteindre ce but politique. En outre, le terme de «guerre» est utilisé abusivement. La disproportion des moyens militaires disqualifie totalement le terme de guerre. C'est bien un massacre mené méthodiquement par l'armée de l'air israélienne pour casser la volonté de résistance des Palestiniens. Dans ce massacre, les fascistes de Tel-Aviv ne font pas de distinction entre des militants palestiniens et des civils. Ce sont tous des Palestiniens à abattre.
La disproportion des moyens militaires fait que le Hamas enregistre de lourdes pertes, mais l'idée que celui-ci puisse l'annihiler politiquement à Ghaza n'est pas réalisable. Le Hamas a démontré ses capacités d'endurance en tenant malgré l'embargo et le siège imposé à Ghaza. Le but israélien de l'élimination définitive du Hamas ne pourrait être réalisable qu'en cas d'invasion terrestre du territoire. Le résultat n'est pas assuré, mais une opération au sol induira un coût humain qu'Israël devra supporter.
Tuer la résistance qu'elle soit islamique, laïque ou nationaliste
Cheikh Nasrallah a souligné à juste titre que ce n'est pas «l'islamisme» du Hamas qui pose problème aux Américains. Ceux-ci s'accommodent en effet des partis islamistes, en Afghanistan, en Irak, du moment qu'ils sont dans une logique de soumission. Tout comme le Fatah sous Arafat a été longtemps infréquentable, avant... l'arrivée des pseudo-réalistes. C'est donc bien la résistance, ce mot devenu insupportable chez les gouvernements arabes faussement modérés - puisqu'ils sont radicaux dans la répression des mouvements des populations -, qui est en cause.
Sa coloration politique, islamiste, laïque ou nationale, importe peu. Si les islamistes «agréés» veulent enfermer les femmes, les Etats-Unis seront prêts à livrer les serrures.
C'est donc bien pour sa position de résistance patriotique et non pour son islamisme - il faut apparemment le répéter à nos «modernes» - que le Hamas est attaqué, tandis que les «modérés» arabes ont la mission de développer un discours équivoque dont la finalité est bien de justifier l'inaction.
Hier, les avions israéliens ont «courageusement» continué à bombarder le territoire de Ghaza. Les militants palestiniens, ces «gêneurs» des gouvernements dits «modérés», ont tiré des roquettes de fabrication artisanale. L'Egypte, suspectée d'avoir approuvé l'agression annoncée au Caire par Tzipi Livni, tente d'agir diplomatiquement en passant par la Turquie... et a annoncé que les aides humanitaires pouvaient passer par Rafah...
Mahmoud Abbas, dont le mandat prend fin le 8 janvier prochain, parle avec tout le monde sauf avec les dirigeants du Hamas. Il vient de lancer un appel à des discussions avec toutes les factions palestiniennes, y compris le Hamas. La première réaction du Hamas a été d'exiger de Mahmoud Abbas et de ses collaborateurs de cesser de justifier l'agression. Le chef des «négociateurs» palestiniens, Ahmed Koreï, a annoncé la suspension des pourparlers de paix avec Israël. Il est vrai que poursuivre des «pourparlers de paix» sous le carnage relève d'un humour de mauvais goût. En début de soirée, les Palestiniens ont commencé à évacuer l'hôpital Chiffa, directement menacé par l'armée israélienne.
Disque rayé et option radicale
Dans de nombreux pays arabes, des manifestations de colère ont été organisées. Mais au-delà, la «rue arabe» assiste avec une rage impuissante à un carnage de grande ampleur. Le fossé entre les régimes et la population ne fait que s'élargir. Mais les régimes autoritaires ayant verrouillé aussi bien les champs d'expression que les mécanismes de changement, ces colères n'auront pas de traduction politique. Les Etats veilleront à ne pas déplaire à Washington. D'où les tergiversations à tenir un sommet arabe qui, c'est prévisible, n'aboutira à rien d'autre qu'à aggraver le discrédit des régimes. Le colonel Kadhafi a pris les devants. Dénonçant les réactions «lâches et défaitistes» des Etats arabes, il a annoncé qu'il ne participera pas à «un sommet qui fait jouer un disque rayé depuis longtemps...».
Le monde arabe donne, en ces jours d'assassinats massifs, le spectacle classique d'une opinion publique en colère mais incapable de peser sur les politiques de gouvernements tremblant à l'idée d'un froncement de sourcils à Washington. De quoi conforter une partie de cette opinion que l'option radicale est la seule alternative.