FREE PALESTINE
12 décembre 2008

Pourquoi l’Europe doit parler au Hamas

Pourquoi l’Europe doit parler au Hamas

jeudi 11 décembre 2008

Les espoirs nés du discours préélectoral de Barack Obama sur le règlement du conflit au Proche-Orient risquent d’être déçus. Dans ses dernières déclarations, le président élu a repris, pour cette région, l’ordre des priorités de l’administration Bush : désengagement en Irak, renforcement des troupes en Afghanistan, ouverture possible d’un dialogue avec l’Iran sur le nucléaire, normalisation éventuelle avec Damas, avec réactivation du volet syrien du processus de paix israélo-arabe.
Réputé "de basse intensité", le conflit palestinien apparaît marginalisé et renvoyé à plus tard. Or, dans les territoires, les ingrédients d’une nouvelle explosion s’accumulent.
La trêve conclue entre le Hamas et Israël via l’Egypte cesse avant la fin de l’année. Une rupture, suivie ou précédée d’une offensive israélienne sur ce territoire serait dramatique. Côté israélien, la campagne électorale, qui pourrait déboucher sur une victoire de Benyamin Nétanyahou, se prête à des surenchères. Côté palestinien, la prolongation pour un an du mandat d’Abou Mazen est contestée par le Hamas et risque de dégénérer en nouveaux affrontements.
Que l’on qualifie le Hamas de "terroriste" ou de "résistant", le mouvement est devenu la partie centrale du conflit avec Israël. Le mouvement islamiste, durablement présent, politiquement et socialement dans les territoires, sera partenaire du processus de paix.
De deux séjours à Gaza au cours desquels j’ai rencontré la direction politique du Hamas, je retire l’impression que le mouvement islamiste continue sa mutation amorcée en 2005 par sa participation aux élections municipales, puis législatives en 2006 qu’il a remportées tout autant par adhésion qu’en réaction à l’échec de l’Autorité palestinienne et à la corruption qui mine le Fatah. Cet engagement dans le processus électoral qu’il excluait auparavant au nom de l’idéologie islamique a créé des tensions au sein même du mouvement, et lui a valu l’anathème d’Al-Qaida.
Depuis, le Hamas a significativement évolué sur le plan idéologique. Il ne fait plus référence à sa charte d’inspiration islamiste radicale qui n’appelle ni à la destruction d’Israël ni à l’extermination des juifs, mais contient des références antisémites sur le thème de la conspiration globale qui aurait permis la création de l’Etat hébreu. Quand on les encourage à l’abolition de cette charte (rédigée en 1987), les leaders du mouvement répondent que celle-ci "n’a pas été adoptée par une instance du Hamas" et que leurs " seules références sont la plate-forme électorale et le programme de politique générale", présenté par Ismaël Haniyeh lors de son investiture par le Parlement palestinien en janvier 2006.
La lecture de ces deux textes confirme l’évolution idéologique du mouvement dans une perspective plus nationaliste qu’islamiste. L’échec du gouvernement d’union nationale de mars 2007 et le contrôle par la force du territoire de Gaza en juin sous l’impulsion des radicaux et des Brigades Ezzedine Al-Qassam, bras armé du Hamas, n’ont pas contrarié cette évolution.
Un document officiel publié par le bureau politique du mouvement à Damas, suite aux entretiens de Jimmy Carter avec son responsable Khaled Mechaal en avril, l’atteste.
Il y est fait référence à un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et à l’acceptation d’un accord de paix négocié par l’Autorité palestinienne à la condition qu’il soit approuvé par référendum. Les dirigeants à Gaza m’ont dit avoir approuvé ce texte, "en interne" pour ménager les radicaux dont l’influence grandit depuis l’été.
Leur récente prise de contrôle de la quasi-totalité des ONG du territoire a eu pour conséquence de transformer Gaza en "Hamastan" et de conforter l’émergence de deux entités palestiniennes.
Dans ce contexte, faut-il maintenir l’ostracisme à l’égard du Hamas ou envisager l’ouverture d’un dialogue avec un acteur majeur de la scène régionale, qui dispose d’une légitimité au même titre que le Fatah ? La déclaration de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes en mars devant le Parlement européen, a résumé l’incohérence de la politique des Vingt-Sept sur ce sujet : "Nous devons faire face à nos contradictions. Nous avons encouragé des élections démocratiques, nous avons eu raison. Nous en avons boycotté les résultats, nous avons eu tort".
Les Européens ont posé trois conditions : renonciation à la violence ; acceptation des accords passés par l’OLP et reconnaissance de l’Etat d’Israël.
C’est le dogme qui ferme toute perspective, alors que les voies existent d’une démarche progressive, envisagée dès octobre 2007 par des proches d’Obama comme Brzezinski et Scowcroft dans une lettre ouverte à Bush. D’autres voix s’expriment dans ce sens en Israël, dont celle du général Ami Ayalon, ancien patron du Shin Beth, quand, selon les sondages, 63 % des Israéliens disent accepter le principe d’une ouverture (avec le Hamas). Les dirigeants du mouvement islamiste l’ont exprimé publiquement à la présidence française : ils souhaitent des contacts avec l’Union européenne.
Un dialogue sans complaisance dont la France pourrait avoir l’initiative, dans un contexte où le Hamas enverrait des signaux clairs sur l’arrêt des violences, aurait pour objectif immédiat de contribuer à la prolongation de la trêve.
Ce dialogue aurait pour avantage de conforter une direction politique pragmatique, soumise à la double contestation des radicaux sensibles au message d’Al-Qaida, et de favoriser un rapprochement avec l’Autorité palestinienne qui a tout intérêt à rechercher l’union avant la relance des négociations. Il serait tout de même paradoxal que l’Europe continue d’exclure tout contact avec un mouvement en totale opposition avec Al-Qaida au moment où elle envisage une ouverture en direction des talibans afghans.

Yves Aubin de La Messuzière, chercheur, ancien directeur Afrique du Nord - Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères.
Le Monde - Article paru dans l’édition du 10 décembre 2008

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