FREE PALESTINE
5 novembre 2008

Un monument au temps et aux espoirs perdus

Un monument au temps et aux espoirs perdus

Meron Benvenisti

Haaretz, 30 octobre 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1032747.html

Version anglaise : A monument to a lost time and lost hopes

www.haaretz.com/hasen/spages/1032834.html

Shimon Pérès a fait cela avec style, comme à son habitude. Les festivités organisées à l’occasion du dixième anniversaire du Centre Pérès pour la Paix ont été un événement étincelant, riche de la présence de nombreuses célébrités internationales et d’artistes renommés, et où l’on n’a pas manqué le poème écrit par l’invité d’honneur et qui débute par ces mots (librement traduits à partir de la source anglaise) : « Oh Seigneur, c’est le moment de prier ». Le temps fort des festivités aura été l’inauguration du Centre Pérès à Jaffa – magnifique bâtiment fait d’énormes blocs verts et qui a coûté 15 millions de dollars, soit trois fois plus qu’initialement prévu. Le bâtiment est dépourvu de fenêtres, tout entier sous conditionnement d’air et sourd à son environnement où vit une population arabe pauvre en ressources ; sa façade est tournée vers la mer, comme si ses fondateurs avaient voulu donner à entendre que l’espoir de paix était en Occident, par delà la mer, et non pas en Orient, où résident les voisins-ennemis.

La magnificence et la gloire ne peuvent malheureusement pas gommer la sensation d’une occasion manquée : on se souvient des événements qui ont entouré la fondation du Centre Pérès pour la Paix en octobre 1997 comme d’une intense manifestation de la culture politique favorable à la paix, toute pénétrée de l’assurance en la possibilité de sa réalisation, et opposée à l’approche de Benjamin Netanyahou qui avait battu Pérès et faisait tout pour torpiller les accords d’Oslo. Les festivités d’aujourd’hui ne peuvent cacher le fait qu’il ne reste du camp de la paix que de maigres vestiges : l’industrie de la paix ne tourne plus que par la force de l’inertie et ceux qui y travaillent doivent s’inventer des prétextes à leur activité, créant le sentiment qu’ils ont fait de la valeur de la paix un outil pour arriver à leurs propres fins.

Ce n’est qu’avec la perspective du temps écoulé que se révèle le tort fatal occasionné par le processus d’Oslo grâce auquel Pérès a fondé le Centre : les accords, au lieu d’entraîner un changement dans le statu quo, sont devenus le pilier d’un régime binational de fait (appelé « occupation ») qui s’est établi comme régime permanent. Les accords d’Oslo sont l’infrastructure juridique du partage de la Cisjordanie en cantons permettant un contrôle israélien direct sur 60% du territoire (la zone C), en même temps qu’ils constituent l’infrastructure légale de l’existence d’une Autorité Palestinienne virtuelle dont la profusion de titres des dirigeants et les uniformes des soldats permettent de continuer à se perdre dans l’illusion que le régime du contrôle israélien est une chose temporaire et par là même, de le pérenniser.

On ne voit pas que, dans l’activité du Centre Pérès pour la Paix, des efforts soient réalisés en vue de modifier le statu quo politique et socio-économique dans les territoires occupés, tout au contraire : on multiplie les efforts pour domestiquer la population palestinienne, la porter à s’accoutumer à son infériorité et la préparer à survivre aux restrictions arbitraires imposées par Israël pour assurer la préséance ethnique des Juifs. C’est avec un paternalisme colonialiste que l’on présente un cultivateur qui s’occupe de culture d’oliviers et qui découvre les avantages d’une commercialisation en commun, une pédiatre qui bénéficie d’une formation professionnelle dans des hôpitaux israéliens et un importateur palestinien qui apprend les secrets de l’expédition des marchandises dans les ports d’Israël, célèbres pour leur efficacité, et bien sûr des compétitions de football ainsi que des orchestres communs, composés d’Israéliens et de Palestiniens, peignant ainsi une image trompeuse de la coexistence.

Il serait inconcevable que des militants du Centre pour la Paix et ses directeurs prennent part à la lutte quotidienne des cueilleurs d’olives palestiniens, aux efforts désespérants pour faire passer aux barrages des malades dans un état critique ou pour rompre le blocus économique et maritime imposé à Gaza. Le Centre Pérès pour la Paix ne publie pas de rapports sur la situation économique catastrophique des Palestiniens, ni ne s’indigne de la responsabilité d’Israël dans cette situation ; après tout, il ne s’agit pas d’un cercle d’anarchistes pétris de haine pour Israël mais de gens honorables dont la contribution à la paix se résume, pour la plupart d’entre eux, à financer généreusement des événements clinquants et à y prendre part.

On a toujours estimé que la contribution essentielle, peut-être même révolutionnaire, d’Oslo ne résidait pas dans les articles de « l’accord de principes », mais dans la reconnaissance mutuelle, entre le mouvement national palestinien et l’Etat d’Israël. Mais, aux yeux des Israéliens, cette reconnaissance mutuelle qui a fait passer les Palestiniens du statut d’entité terroriste à celui d’entité légitime, a été balayée à la suite des attentats-suicides et des violences de l’Intifada Al-Aqsa, avec un retour à la conception d’avant Oslo.

Aujourd’hui, les Juifs donnent aux Arabes un acte de divorce, ils leur tournent le dos, les emprisonnent derrière des murs aveugles et des checkpoints, se replient délibérément sur eux-mêmes et prient pour que la Mer Méditerranée s’assèche ou qu’un pont se construise qui les unisse directement à l’Europe.

Cette mentalité a produit, au fil de la dernière décennie, deux constructions monumentales dont la portée symbolique dépasse la valeur fonctionnelle : le mur de séparation et le terminal de l’aéroport Ben Gourion ; le premier est destiné à cacher les Palestiniens et à les gommer de la conscience et le second fait office de panneau d’évacuation, de seuil de délivrance et de base à un pont aérien vers l’Occident. Un troisième monument construit pendant cette décennie, le bâtiment du Centre Pérès pour la Paix à Jaffa, s’ajoute aux deux autres tel un monument à la mémoire du temps et des espoirs perdus ; et il ne reste plus qu’à s’associer à la prière de Pérès : « Envoie alors un rayon d’espoir d’une voie nouvelle ».

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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