FREE PALESTINE
24 octobre 2008

Les groupes palestiniens et le boycott d’Israël

Les groupes palestiniens et le boycott d’Israël

vendredi 24 octobre 2008 - Omar Barghouti
CounterPunch

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Depuis le lancement du mouvement palestinien pour le boycott, il y a quelques années, nous connaissons un phénomène délicat qui demande à être commenté sans tarder. Plusieurs organisations connues depuis des années - pour certaines, des décennies - pour leur activité inlassable de solidarité avec la Palestine se sont opposées fermement à l’appel de la société civile palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS), lancé le 9 juillet 2005 et ce pour des raisons diverses. Certaines disent que de telles tactiques « nuisent » au combat palestinien. D’autres pensent que BDS compromet le mouvement israélien, soi-disant pour la « paix ». D’autres encore déclarent que boycotter Israël suscite les accusations d’antisémitisme et de trahison des victimes de l’Holocauste, faisant ainsi reculer l’activité de solidarité pour la Palestine d’une façon conséquente.

Bien d’autres arguments ont été publiés dans des milliers d’articles toutes ces années mais ils sont moins significatifs et conséquents ; aussi, je vais me fixer sur les trois évoqués ci-dessus.

Le boycott est-il contre-productif ?

L’est-il ? Qui en juge ? Un appel signé par plus de 170 partis politiques, syndicats, ONGs et réseaux, représentant l’ensemble de la société civile palestinienne - sous l’occupation, en Israël et dans la diaspora - ne peut être « contre-productif », sauf si les Palestiniens ne sont pas assez rationnels et intelligents pour savoir ou exprimer ce qui est le mieux pour eux. Cet argument sent le paternalisme et trahit une attitude coloniale que nous pensions - espérions - disparue dans l’Europe libérale.

D’un point de vue pragmatique, le processus de BDS a prouvé au cours des années passées qu’il revêtait l’une des formes les plus efficaces de la résistance palestinienne civile, non violente, au régime colonial et d’apartheid israélien. L’ampleur et la profondeur mêmes du soutien que cet appel a recueilli auprès d’importants syndicats, associations universitaires, groupes religieux et autres organisations populaires en Afrique du Sud, au Royaume-Uni, en Irlande, au Canada, en Norvège, en Suède et même aux Etats-Unis, entre autres, attestent de l’efficacité et de l’énorme potentiel de cette campagne pour résister à l’injustice israélienne. Pour la première fois depuis des décennies, de nombreux mouvements européens, par exemple, qui ont soutenu la paix par la justice en Palestine lors de manifestations, d’appels publics et - le plus souvent marginal - d’un travail médiatique, ont découvert un processus auquel ils pouvaient contribuer activement et efficacement et qui promettait des résultats « concrets » sur le terrain, comme il l’a prouvé dans le cas de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. A en juger par les résultats à ce jour, et par ce que nos camarades d’Afrique du Sud nous ont dit maintes fois, notre campagne BDS avance à une vitesse que leur campagne n’a jamais connue.

La campagne BDS compromet-elle le mouvement de la « paix » israélien ?

Quel « mouvement » de la paix israélien ? Une telle créature n’existe pas. Les soi-disant groupes pacifistes en Israël travaillent pour une grande part à améliorer l’oppression israélienne contre les Palestiniens plutôt qu’à la supprimer, avec comme principal objectif de garantir l’avenir d’Israël en tant qu’Etat « juif » - c’est-à-dire exclusivement juif. Les groupes de la « gauche sioniste » israélienne la plus radicale restent sionistes, ils adhérent aux principes racistes du sionisme qui considèrent les Palestiniens natifs comme des êtres inférieurs et comme un obstacle ou comme une « menace démographique » qu’il faut écarter. Plus précisément, ils sont opposés au droit, stipulés par les Nations unies, des réfugiés palestiniens, victimes du nettoyage ethnique lors de la Nakba, et depuis, de revenir dans leurs foyers et sur leurs terres, ils y sont opposés simplement parce que ces réfugiés sont de « mauvaises gens ». Ces groupes s’opposent aussi à mettre fin à cette forme particulière d’apartheid qui domine tout l’Etat d’Israël où un « système » vieux de plusieurs décennies, racial, discriminatoire, consacré par la législation, traite les citoyens « non-juifs » de l’Etat comme des citoyens de seconde zone, à qui on n’accorde pas l’ensemble des droits dont profitent les citoyens juifs. Si c’est cela le mouvement israélien pour la « paix », alors nulle personne de conscience ne devrait être désolée de le compromettre !

Ceux qui prétendent que « la plupart » des Israéliens ne savent rien sur les crimes de l’occupation et qu’il faut parler avec eux au lieu de les boycotter ne font pas que formuler des postulats erronés et débouchent aussi sur de fausses conclusions. La plupart des Israéliens servent docilement dans l’armée d’occupation, sans scrupules ni problèmes de conscience, un service qu’ils considèrent entrer dans le cadre du devoir de réserve obligatoire. Ils sont donc parfaitement au courant, et au premier chef, des crimes de l’occupation puisque soit ils y participent en les commettant eux-mêmes, directement, soit ils les regardent se perpétrer en se taisant et ils y participent alors indirectement. De plus, la campagne palestinienne BDS n’a jamais été un boycott global contre les individus israéliens. Elle est invariablement de nature « institutionnelle », ciblant l’ensemble de institutions israéliennes, universitaires, culturelles, économiques et politiques, surtout parce qu’elles sont complices de la poursuite de l’occupation et des autres formes d’oppression raciste et coloniale contre les natifs palestiniens. Enfin, « discuter » avec les Israéliens, comme avec les groupes de dialogues de l’industrie florissante de la « paix », n’a pas seulement été trompeur et terriblement nocif pour le combat pour une juste paix en donnant la fausse impression qu’une coexistence était possible « malgré » l’oppression sioniste, mais n’a pas réussi à provoquer la moindre évolution positive dans l’opinion publique israélienne pour soutenir la justice comme condition de la paix. L’opinion israélienne/juive est progressivement et dangereusement en train d’évoluer vers la droite fanatique, avec une forte majorité appuyant les solutions fascistes, telles que le nettoyage ethnique - appelé « transfert » dans le jargon dominant aseptisé israélien - des Palestiniens natifs restant.

Dialogue et lutte de Palestiniens/Israéliens en commun ne peuvent se justifier, être constructifs et propices à une juste paix que s’ils sont dirigés contre l’occupation et les autres formes d’oppression, et fondés sur le droit international, sur les droits humains et politiques de base, particulièrement le droit inaliénable à l’autodétermination.

Sur la base de ce qui précède, les seuls qui soient de vrais combattants en Israël sont ceux qui soutiennent nos trois droits fondamentaux : le droit au retour pour les réfugiés palestiniens ; la totale égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël ; et la fin de l’occupation et du régime colonial. Ceux-là sont nos véritables partenaires. TOUS soutiennent les différentes formes de boycott, désinvestissement et sanctions, pas seulement dans le principe, mais aussi parce qu’ils sont conscients qu’une paix véritable, durable, et la sécurité pour tous ne pourront jamais se réaliser sans la justice, en dehors du droit international, des droits humains et, plus fondamentalement, de l’égalité. BDS appuiera seulement ce véritable mouvement pour la paix - avec la justice - en Israël comme partout ailleurs.

Les groupes de solidarité européens qui, consciemment, permettent aux personnalités et mouvements de la gauche sioniste de fixer leurs agendas, les écartant d’une coordination avec la société civile palestinienne et de l’appréciation de ses réels besoins au lieu de s’engager d’abord et avant tout pour les droits humains et le droit international, ces groupes méritent à peine de se qualifier groupes de « solidarité ».

D’un autre côté, les groupes qui, pour des raisons tactiques, ne soutiennent qu’une partie de BDS ou un boycott ciblé de produits ou organisations spécifiques, israéliennes ou soutenant Israël, sont aussi nos partenaires, naturellement. Le boycott n’est pas un type de processus d’une seule mesure pour tous. Il doit être personnalisé pour pouvoir s’adapter à des contextes particuliers pour être plus efficace. Ce sur quoi il est important d’être d’accord, cependant, ce sont sur les motifs et les finalités du boycott. La démarche de BDS se fonde sur le droit avec des objectifs clairs qui devraient composer un dénominateur commun pour tous les groupes de solidarité avec la Palestine. Faire cesser les trois formes d’injustice israélienne et défendre les droits palestiniens concernés constituent les exigences de base pour qu’une campagne internationale puisse être efficace et en harmonie avec les aspirations et besoins exprimés de la société civile palestinienne.

Soutenir nos trois droits fondamentaux :
le droit au retour pour les réfugiés palestiniens ;
la totale égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël ;
la fin de l’occupation et du régime colonial.

BDS encourage-t-elle l’antisémitisme ?

Plutôt que de réinventer la roue, je vais simplement reprendre ici une partie de ce que j’ai déjà publié dans un plus long article où je réfutais ce principal argument de l’anti-boycott :

« Comme le disait le philosophe français Etienne Balibar : "On ne devrait pas permettre à Israël d’instrumentaliser le génocide des juifs européens pour se mettre au-dessus des lois des nations." Au-delà de cela, fermant les yeux sur l’oppression israélienne, comme les Etats-Unis et la plupart de l’Europe le font souvent, l’Occident a effectivement perpétué la misère, la souffrance humaine et l’injustice qui ont résulté de l’Holocauste. »

Quant à l’accusation d’antisémitisme, elle est manifestement déplacée et utilisée nettement comme une intimidation intellectuelle. Est-il vraiment nécessaire de rappeler que les appels palestiniens pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions ne ciblent pas les Juifs, ni même les Israéliens "en tant" que juifs. Ces appels sont dirigés strictement contre Israël en tant que puissance coloniale violant les droits des Palestiniens et le droit international. Le soutien grandissant chez les juifs progressistes européens et américains pour des pressions efficaces sur Israël est un contre argument qu’on ne sait faire connaître.

En outre, considérer les actions et les positions qui ciblent le régime israélien d’apartheid et colonial comme antisémites est en soi antisémite, comme beaucoup avant mois l’ont affirmé, en ce que l’on suppose alors que tous les juifs, en eux-mêmes, seraient d’une manière ou d’une autre responsables des crimes israéliens, supposition manifestement raciste qui relève de l’école de la « responsabilité collective » de la pensée - jugée criminelle à Nuremberg - et qui alimente directement l’antisémitisme.

La campagne BDS est une façon civile de lutter contre Israël, quelle que soit la religion de la plupart des Israéliens. Vraiment, peu importe presque la foi de votre oppresseur - qu’il soit juif, chrétien, musulman ou hindou est quasiment hors propos ! La SEULE chose qui compte, c’est qu’il vous opprime illégalement et immoralement.

Les projets qui soutiennent les Palestiniens dans leur ténacité sous l’occupation, que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation, du social et même de la politique, sont d’une importance cruciale et sont toujours indispensables. Beaucoup de Palestiniens, particulièrement parmi les plus vulnérables, ne pourraient, sans ces projets, survivre à la cruauté de l’occupation. Nous apprécions énormément l’appui de ces projets - au moins de ceux qui ne sont ni corrompus ni corrupteurs, comme c’est le cas de beaucoup. Mais cela ne signifie pas que nous sommes pour un temps convaincus que ces projets - davantage des témoignages de soutien à quelque notion abstraite de la « paix » - peuvent, à eux seuls, faire avancer notre combat pour la liberté et la justice. C’est seulement en mettant fin à l’occupation et à l’apartheid qu’on pourra y arriver. Et, nous le savons par expérience, la façon la plus sûre, qui se justifie le plus, moralement, est de traiter Israël comme on a traité l’Afrique du Sud, en appliquant les diverses mesures de BDS, adaptées au contexte et mises au point, contre cet Etat. Il n’y a pas de meilleure façon d’arriver à une juste paix en Palestine et dans la région toute entière.


Omar Barghouti est un analyste politique palestinien indépendant. Il est l’un des membres fondateurs de la Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI).

21 octobre 2008 - CounterPunch - traduction : JPP

Commentaires
P
Un juste combat a plus de chances d’être gagné déjà si on a le souci d’utiliser le juste mot pour la juste chose et la juste association didactique de mots pour le juste concept<br /> <br /> Coloniser, historiquement, n’a jamais signifier pousser les habitants d’un pays vers les pays limitrophes , en en emprisonnant et maltraitant, voire torturant, quelques uns, y compris des femmes et des enfants, en espérant voir plus vite s’expatrier les autres plus ou moins déhumanisés . Coloniser c’est bien, pour une infime fraction des citoyens du pays colonisateur exploiter les richesses d’un pays « lointain » à l’aide d’une partie des autochtones généralement mal payés dont on a précieusement besoin comme main d’œuvre et faire profiter de ses richesses la mère patrie passablement éloignée dans laquelle souvent on revient finir ses jours. Est-ce le cas pour ce qui est des territoires qu’un André Chouraki dans son « Que-sais-je » plusieurs fois réédité avait le culot d’appeler « disputés ».<br /> <br /> Dans le même ordre d’idées, il n’y a que très peu de comparaisons possibles avec l’Afrique du Sud qui, entre autres, n’a jamais organisé, en France par exemple , des soirées de soutien à son armée et n’a jamais disposé dans les grandes capitales et même dans l’ensemble de leurs pays un puissant groupe de pression de gens s’estimant à la fois citoyens de ce pays, souvent placé en second dans leur cœur », et de l’Afrique du Sud. Etc., etc. <br /> <br /> Pour ce qui est du degré de solidarité avec le peuple palestinien,à l’exclusion des collaborateurs et autres profiteurs de la situation, effectivement partout sur cette planète, il conviendrait de savoir si telle ou telle association est pour la pérennisation d’un état ethnique et raciste à côté d’un état fait de bantoustans plus ou moins surpeuplés, avec peu de terres arables, écologiquement et économiquement non viable. Ou si la dite association, au nom de l’éthique et de la justice, sans la prise en considération desquelles il n’y a pas de réalisme, est pour l’absorption par l’état des occupants légitimes del’éat,illégitime, après une épriode denon agression totale dela durée d’uen génération ,le temps d’une cicatrisation minimale des plaies pourles uns et d’une attnéuation duracisme ou du sentiment de légitimité pour les autres<br /> <br /> Mais très précisément cette évolution n’est possible que si chacun a la possibilité d’avoir une vision la plus objective possible de la réalité historique avec ses soubassements idéologiques. Ce qui ne semble pas être le cas de beaucoup de militants peu ou prou pro-palestiniens. Avec cette excuse que même des auteurs réputés experts peuvent dans quatre éditions successives commencer un ouvrage par une grossière erreur incontestable à propos des votants de la fondamentale et insensée résolution 181 du 29 novembre 1947 qui n’était qu’une recommandation ;l’ONU n’ayant juridiquement aucun droit de la faire appliquer et ayant par contre le devoir d’empêcher l’application qui en fut faite par une seule des trois parties concernées. Une partie qui ne pouvait et ne peut toujours pas revendiquer un statut de peuple, puisque la majorité de celui-ci ou des gens croyants en faire partie depuis plus de 3 000 ans n’avait aucune intention de vivre dans les territoires volés par la force, pas plus que maintenant encore fin 2008 d’ailleurs.
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