FREE PALESTINE
7 octobre 2008

Le tueur de l’année

Le tueur de l’année

Gideon Lévy

Haaretz, 2 octobre 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1025719.html

Version anglaise : Killer of the year

www.haaretz.com/hasen/spages/1025604.html 

A la veille de la fête [du Nouvel An juif], une fumée blanche s’est élevée du feu de camp de la tribu : la chaîne d’informations de Canal 2 avait élu « l’Homme de l’Année ». C’est au terme d’une discussion superficielle et absurde, que les commentateurs du média le plus couru et le plus influent du pays ont élu leur homme. Arguments invoqués par les membres du jury présidé par Emmanuel Rosen, porteur de la nouvelle : « L’homme qui, au cours de l’année écoulée, n’a fait que de bonnes choses ». Et qui est cet homme rare et éminent qui n’a fait que le bien ? Le chef du Mossad, Meir Dagan. Il y avait aussi, parmi les motifs avancés par un Rozen surexcité : « Un homme qui pourrait, de ses mains, trancher la tête de terroristes avec un cutter… Un exécuteur avec le couteau entre les dents ».

A l’appui de leur choix, ils ont également présenté une « prouesse journalistique exceptionnelle » : la rencontre mise en scène et accablante d’ennui entre notre héros et le Premier ministre sortant [Ehoud Olmert]. Notre télévision évoquait la Corée du Nord et la Roumanie d’autrefois : Ehoud Olmert invitant Meir Dagan, Meirkeh comme l’appelle George Bush, à entrer dans son bureau, les deux hommes étant filmés sans quasiment échanger de paroles.

« Vous avez bien fait », a dit Olmert à Rosen. Deux témoins de moralité : d’une part le général de réserve Yossi Ben Hanan qui a raconté que Dagan avait un jour tué un terroriste de ses propres mains, sans bien sûr préciser comment, et que Dagan et lui-même avaient autrefois voyagé ensemble en Extrême-Orient – élément à l’appui de la distinction accordée aujourd’hui. Et d’autre part, le Ministre Benjamin Ben Eliezer qui a déclaré : « Je ne vous conseille pas de vous approcher de lui… Mais je recommande que votre article soit bon ». « En langage de gang : un tueur », selon le bon mot de Rosen. « ‘Exécuteur’ est plus joli », a dit Ben Eliezer, revenant à plus de sobriété.

Par la suite, d’autres lourdes allusions ont encore été semées à propos du bonhomme et de son activité au cours de l’année de son élection : l’assassinat d’Imad Mughniyeh, dont personne n’a encore montré la moindre utilité, d’autres assassinats mystérieux et superflus, et bien sûr ce fameux bombardement en Syrie, autant d’opérations pour lesquelles notre Meirkeh mérite « au moins dix Prix Israël ».

Donc notre Homme de l’Année à nous est un tueur déclaré. Au cutter ou à la voiture piégée, tuer est son métier. L’art du tueur est aussi pour nous une source de fierté, le sommet de notre créativité.

Il faut être reconnaissant à Rosen et à ses amis de ce qu’ils n’ont pas même essayé de jouer les vertueux. Pas un intellectuel, pas un scientifique, pas un industriel, pas un écrivain et pas même Meni Mazouz (arrivé en deuxième position), ni Olmert (classé troisième). Dagan est notre tueur de l’année. Le problème, ce n’est pas tant Dagan que le culte qui est rendu à des gens comme lui.

Jamais encore il n’y avait eu à la tête du Mossad un personnage aussi obscur et problématique, avec autant de sang sur les mains ; jamais encore on n’avait songé ici à choisir, parmi toutes les possibilités, précisément un homme à la tête du Mossad comme Homme de l’Année. Je doute qu’il y ait dans le monde un autre pays libre dont les journalistes les plus en vue auraient l’idée de choisir leur homme de l’année au sein de la direction d’une organisation obscure. Il n’y a qu’en Israël.

Il n’y a aussi qu’en Israël qu’il n’est pas possible de donner le détail des méfaits passés de Dagan. Le Gaza des années 70 et le Liban des années 80 sont saturés du sang qu’il a versé. Une enquête accablante menée il y a quelques années par un duo de journalistes dignes de foi sur l’activité de Dagan au Liban n’a jamais été publiée. Au sein de la fine équipe de rêve de la chaîne d’informations de Canal 2, cette enquête aurait seulement renforcé, encore et encore, le culte et la vénération pour le tueur avec un cutter entre les dents.

Nous en sommes là de notre bestialisation.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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