FREE PALESTINE
5 septembre 2008

Fin d’une odyssée

Fin d’une odyssée

vendredi 5 septembre 2008 - Jeff Halper - ICAHD

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Aujourd’hui, quelques jours après ma libération de prison à la suite de mon voyage à Gaza, voici quelques notes pour récapituler.

Tout d’abord, la mission du mouvement Free Gaza pour briser le siège israélien s’est avérée un succès au-delà de toute attente. Notre arrivée à Gaza et notre départ ont tracé une voie normale entre Gaza et le monde extérieur. Ce fut le cas parce qu’elle a contraint le gouvernement israélien à prendre une position politique claire : qu’il ne s’agissait pas d’une occupation de Gaza et que par conséquent, on ne saurait empêcher une libre circulation des Palestiniens pour entrer et sortir de Gaza (au moins par mer). (Le souci de sécurité d’Israël peut aisément s’accommoder de l’institution d’un système technique de contrôles semblables à ceux existant dans les autres ports.)

Toute tentative de la part d’Israël à revenir sur ce point - en empêchant les bateaux à l’avenir d’entrer ou sortir de Gaza avec de la marchandise et des passagers, y compris des Palestiniens - pourrait immédiatement s’interpréter comme l’affirmation d’un contrôle, et donc d’une occupation, et engager ainsi la responsabilité d’Israël qui devra rendre compte de ses crimes de guerre devant les tribunaux internationaux, quelque chose qu’Israël tente d’éviter à tout prix.

Disparu l’écran de fumée qui permettait à Israël de maintenir son contrôle sur les Territoires occupés sans assumer de responsabilités : à partir de maintenant, ou Israël est une puissante occupante et dès lors comptable de ses actions et de sa politique, ou les Palestiniens ont le droit de jouir du droit que possède chaque être humain, entrer et sortir librement de son pays. Israël ne peut plus avoir les deux. Non seulement nos deux petits bateaux ont obligé l’armée et le gouvernement israéliens à céder le passage, mais ils changent aussi fondamentalement le statut du contrôle d’Israël sur la bande de Gaza.

Quand nous sommes arrivés enfin à Gaza, après une journée et demie de mer, l’accueil que nous avons reçu de la part de 40 000 Gazaouis en joie, a été impressionnant et émouvant. Des gens m’ont cherché spécialement, semblant désireux de parler hébreu avec un Israélien après des années de bouclage. Le message que j’ai reçu de ces gens, de toutes factions, durant mes trois jours, a toujours été le même : comment pouvons-nous sortir de ce chaos (« nous » dans le sens de nous tous qui vivons dans leur pays, pas seulement les Palestiniens ou les Israéliens) ?

Où allons-NOUS ? Les propos n’étaient même pas politiques comme : quelle est la solution ; un Etat, deux Etats, etc. etc. Non, c’était juste du bon sens, simple et direct, se fondant sur l’hypothèse que nous continuerons tous à vivre dans le même pays et que ce stupide conflit, avec ses murs, son siège et sa violence, est mauvais pour tout le monde. Les Israéliens ne veulent-ils pas voir cela ? me demandaient les gens.

(La réponse, malheureusement, était « non ». Pour être honnête, nous, juifs israéliens, sommes le problème. Les Palestiniens ont accepté, il y a des années, notre existence dans le pays en tant que peuple et ils sont prêts à accepter TOUTE solution - deux Etats, un Etat, aucun Etat, ou quoi que ce soit. C’est nous qui voulons exclusivement toute la « terre d’Israël », qui ne pouvons concevoir qu’un seul pays, ni accepter la présence nationale des Palestiniens [nous disons « Arabes » dans notre pays], et qui avons anéanti avec nos colonies toute possibilité d’une solution à deux Etats où nous prenions 80% du territoire. Il est donc triste, vraiment triste, que nos « ennemis » veuillent la paix et la co-existence [en me disant cela en HEBREU] et que nous, non. Ouais, nous, juifs israéliens, voulons bien la « paix », mais en même temps, ce que nous avons - pratiquement pas d’agressions, un sentiment de sécurité, un peuple palestinien « disparu », une économie en plein boom, du tourisme et un statut international en constante amélioration - ce que nous avons, donc, nous paraît très bien. Si la « paix » signifie abandonner les colonies, la terre et la main mise, alors pour quoi la faire ? Qu’est-ce qui ne va pas avec le statu quo ? S’il n’est pas brisé, ne changeons rien.)

J’ai aussi reçu la citoyenneté palestinienne pendant que j’étais à Gaza, avec un passeport.

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Jeff Halper devant le tribunal d’Ashkelon. (Oren Ziv/ActiveStills)

Quand j’étais à Gaza, tous ceux depuis Israël - notamment les médias - qui m’interviewaient me mettaient en garde, je devais faire attention, préserver ma vie. N’avez-vous pas peur ? me demandaient-ils. Eh bien, la seule fois que j’ai ressenti une peur véritable et palpable pendant tout le voyage, c’est en revenant en Israël. Je rentrais de Gaza en passant par le check-point d’Erez parce que je voulais faire le constat que le siège n’était pas imposé que par la mer. Sitôt du côté israélien j’ai été arrêté, accusé d’avoir enfreint l’ordre militaire qui interdit aux Israéliens d’aller à Gaza et je fus emprisonné à la prison Shikma d’Ashkelon.

Dans ma cellule, cette nuit-là, quelqu’un a fait le lien avec les actualités. Toute la nuit, j’ai été menacé physiquement par des Israéliens de droite - et je suis sûr que je n’aurais pas tenu jusqu’au matin. Ironiquement, il y avait trois Palestiniens dans ma cellule et ils m’ont plutôt protégé, de sorte que le danger est venu des Israéliens, pas des Palestiniens, à Gaza comme en Israël. (Un Palestinien de Hébron était en prison pour être entré illégalement en Israël ; j’étais en prison pour être illégalement entré en Palestine.) Sur ce, j’ai été libéré sous caution.

L’Etat va probablement engager des poursuites dans les prochaines semaines et je pourrais être emprisonné pour deux mois ou plus. Je suis maintenant un Palestinien dans tous les sens du mot : le lundi, je reçois ma citoyenneté palestinienne, et le mardi je suis déjà dans une prison israélienne.

Bien que l’opération ait été un succès total, le siège ne sera véritablement brisé que si nous maintenons la liberté de mouvement vers et depuis Gaza. Il est prévu que les bateaux soient de retour dans deux à quatre semaines et je travaille en ce moment pour obtenir un bateau d’Israéliens.

Ma seule frustration dans ce qui fut incontestablement une opération réussie, c’est que les Israéliens ne l’ont pas fait - et ne veulent pas le faire. Ce qu’implique notre position de force et le fait que ce sont les Palestiniens qui recherchent vraiment la paix représentent trop de menaces pour leur hégémonie et leur innocence telle qu’ils l’a perçoivent. Ce que j’ai rencontré dans, peut-être, une dizaine d’entretiens - et que j’ai lu sur moi et sur l’opération, écrit par des « journalistes » qui n’avaient même jamais essayé de me parler ou aux autres - a été une image collective de Gaza, des Palestiniens et de notre conflit interminable que l’on pourrait seulement décrire comme imaginaire.

Plutôt que de se renseigner sur mes expériences, mes motivations ou mes opinions, mes intervieweurs, spécialement ceux des grandes radios, ont passé leur temps à me ressasser leurs slogans et leurs préjugés surannés, comme si le fait de me donner un espace pour m’expliquer allait porter un coup mortel à leurs conceptions bien ancrées.

Ben Dror Yemini du quotidien populaire Ma’ariv a parlé de nous comme d’un « culte satanique ». Un autre a suggéré que le principal donateur pour le mouvement Free Gaza était un palestinien/américain qui avait été interrogé par le FBI, comme si cela avait quelque chose à voir (voulant insinuer que nous étions soutenus, et peut-être même manipulés voire pire, par des « terroristes »). D’autres ont été plus explicites : N’était-il pas exact que nous offrions au Hamas une victoire médiatique ? Pourquoi m’étais-je mis du côté des contrebandiers pêcheurs/bandits contre mon propre pays qui cherche simplement à protéger ses citoyens ?

Certains ont simplement crié après moi, par exemple un intervieweur d’Arutz 99. Et quant tout le reste avait raté, mes interlocuteurs pouvaient toujours se rabattre sur le bon vieux cynisme : la paix est impossible. Juifs et Arabes sont des espèces différentes. Vous ne pouvez pas « leur » faire confiance. Ou des affirmations de principe comme : ce qu’ils veulent c’est juste nous détruire. Puis, vint le paternalisme : bon, je crois que c’est pas mal que nous ayons quelques idéalistes comme vous...

A aucun moment dans ces nombreux entretiens, il n’y eut de véritables curiosités sur ce que je faisais ou comment était la vie à Gaza. Nul n’a été intéressé par une opinion qui n’était pas la leur, spécialement si elle allait à l’encontre de leurs chers slogans. Nul n’est allé au-delà de ces vieux slogans usés.

Beaucoup de référence parmi tout cela au terrorisme, aux roquettes Qassam et aux rebuffades des Palestiniens contre nos vaillants efforts pour faire la paix ; rien sur l’occupation, les démolitions de maisons, le siège, l’expropriation des terres ou l’expansion des colonies, aucune évocation des meurtres, des emprisonnements et de l’appauvrissement de leur population civile. Exactement comme si nous n’avions rien à voir avec le conflit, comme si nous vivions seulement nos vies normales, innocentes, et que les méchants décidaient de lancer des roquettes Qassam.

Par-dessus tout, aucun sens de notre responsabilité ni la moindre volonté de prendre la responsabilité de la violence et du conflit qui se poursuivent. Plutôt qu’un appel irréfléchi, automatique à une image de Gaza et des « Arabes » (nous n’usons généralement pas du terme « Palestiniens ») qui est diamétralement opposée à ce que j’ai vu et vécu, ce fut une redite servile de slogans aveugles (et faux) qui ne servent qu’à supprimer toute possibilité d’appréhender vraiment la situation. En bref, une Gaza imaginaire perçue de l’intérieur d’une bulle soigneusement conçue de manière à détourner une réalité désagréable.

La chose la plus importante que ce voyage m’a apporté est d’avoir compris pourquoi les Israéliens ne le « feraient pas » : un média composé de gens qui devraient mieux être informés mais qui possèdent peu de sens critique et qui sont plus à l’aise à l’intérieur d’une boite fabriquée par des politiciens intéressés qu’à essayer de faire quelque chose de beaucoup plus créatif : comprendre ce qui se passe, ici, dans cet enfer.

Pourtant, j’ai formulé clairement mes messages à mes concitoyens israéliens, et ils constituent le principal de mes interviews et discussions :

  • 1) - Contrairement à ce que nos dirigeants déclarent, il y a une solution politique au conflit, il y a des partenaires pour la paix ;

  • 2) - Les Palestiniens ne sont pas nos ennemis. En fait, je demande instamment à mes concitoyens juifs israéliens de se dissocier de la politique de nos dirigeants politiques ratés qui conduit à une impasse, en déclarant de concert avec les partisans de la paix israéliens et palestiniens : nous refusons d’être des ennemis ; et

  • 3) - en tant que partie qui a infiniment la force dans le conflit et seule puissance occupante, nous, Israéliens, devons assumer la responsabilité de notre politique oppressive qui conduit à l’échec. Nous pourrons seulement mettre fin au conflit.

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Permettez-moi d’exprimer ma gratitude aux organisateurs de cette initiative : Paul Larudee, Gretat Berlin et Bella - le merveilleux groupe qui a participé sur les bateaux et la grande équipe de communication depuis la terre. Ma gratitude va spécialement à Angela Godfrey-Goldstein de l’ICAHD, qui a joué un rôle crucial à Chypre et à Jérusalem pour faire la promotion de l’opération. Sans oublier nos hôtes à Gaza (leurs noms sont sur le site de Free Gaza) et les milliers de Gazaouis qui nous ont accueillis et qui ont partagé leur vie avec nous. Puissent nos peuples trouver enfin la paix et la justice qu’ils méritent dans notre pays commun.

Free Gaza Movement

1er septembre 2008 - ICAHD - traduction : JPP

http://www.info-palestine.net

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