FREE PALESTINE
5 septembre 2008

Récit d’une jeune médecin belge

La vie dans les territoires occupés palestiniens
Récit d’une jeune médecin belge

 

timt

 

 

Palestine Libre ( nom d'emprunt ) est une jeune médecin belge. Elle a fait ses études à la KUL et à l'Institut de Médecine Tropicale à Anvers. Depuis quelques mois, elle travaille en Palestine. Nous lui avons demandé de nous faire part de son expérience.

 

Tu fais ton stage comme généraliste en Palestine. Pourquoi ce choix ?

Hélas, mon travail ne sera jamais reconnu par les universités belges. Elles trouvent la situation en Palestine trop dangereuse. Cette idée est dûe à la façon dont les médias rendent compte de ce qui se passe ici. C'est comme si cette région était constamment sur le point d'exploser. La violence qu'ils présentent semble omniprésente et imprévisible. Hors, il y a bien ici, comme dans toutes les zones en conflit, quelques "hot spots" que chacun évite, mais pour le reste, la vie "ordinaire" suit son cours. Venir en Palestine était pour moi, un choix simple à faire. Ici, je peux combiner divers intérêts : un séjour dans ma famille, l'amélioration de mes connaissances en arabe et une formation d'un an en gynécologie, en vue de me préparer à mon métier.

 

Si j'ai voulu pratiquer la gynécologie en Palestine, c'est qu'ici les femmes enceintes sont plus nombreuses qu'en Belgique. Avec mes collègues, nous réalisons quelque 700 accouchements par mois dont un très faible pourcentage (9%) par césarienne. Les médecins palestiniens ont énormément expérience et beaucoup expertise et j'ai voulu en profiter. La médecine est pratiquée à un très haut niveau même si souvent les médicaments manquent. Les plus gros problèmes sont causés par l'occupation des territoires palestiniens. Il y a le blocage des routes qui empêchent l'acheminement des patientes et des médicaments vers les hôpitaux. Il y a aussi, les difficultés économiques qu'affrontent la population. Les gens ne peuvent pas consacrer énormément d'argent aux soins de santé.

Où travailles-tu en Cisjordanie? As-tu envisagé de t'installer à Gaza ?

Actuellement, je suis à Hébron. Je travaille pour le service gynécologique de l'hôpital public. Ma première idée était de me rendre à Gaza parce qu'il y a là-bas, un grand hôpital universitaire, mais cela m'a été déconseillé. J'ai des racines palestiniennes. Les autorités auraient facilement pu me refuser l'accès à Gaza. Elles auraient pu aussi - comme cela a été le cas pour des personnes d'origine arabe, détentrices d'un passeport international - m'interdire d'en sortir. Je ne me sentais pas en danger à l'idée d'aller à Gaza, mais comme il s'agissait de faire un stage et que je n'allais pas y faire un travail extrêmement utile, j'ai préféré ne pas causer de problèmes.

En quoi consiste ton travail ?

Je pratique des accouchements et j'aide lors des opérations. En réalité, les territoires palestiniens disposent d'un très grand nombre de médecins très bien formés, mais il n'y a pas de travail pour eux. Beaucoup d'ingénieurs deviennent professeurs dans l'enseignement secondaire. On trouve ici d'excellents médecins qui pratiquent une médecine de très haut niveau. Hélas tous les traitements et toutes opérations ne sont pas toujours accessibles.

Les maladies dont souffre la population sont-elles les mêmes qu'en Belgique? L'occupation cause-t-elle des pathologies particulières ?

Pas vraiment. Un certain nombre de maladies sont plus difficiles à traiter ici qu'en Belgique car le gouvernement est limité dans ses possibilités d'action. Détecter et traiter des maladies chroniques comme le diabète ou l'hypertension est très difficile. Les Palestiniens n'ont pas pour habitude d'avoir un médecin généraliste attitré. Les femmes enceintes sont suivies, mais on pratique peu d'examens prénataux. Dès lors, les éventuelles anomalies du foetus sont détectées très tardivement. Dans la clinique où je travaille, il est impensable de pratiquer un avortement. Par ailleurs, il n'est pas exceptionnel qu'une femme qui a déjà subi 10 ou 15 avortements ne puisse pas bénéficier d'un suivi très pointu.

Beaucoup de femmes et d'enfants souffrent d'anémie. Ils ne mangent pas assez de viande parce que cela coûte trop cher.

Pour le reste, la population est informée et pratiquement tous les enfants sont vaccinés contre la polio, la rougeole et l'hépatite B. Ici, les gens ont l'habitude de cuire suffisamment les aliments. Il y a donc peu de cas d'infections provoqués par des parasites et d'autres choses de ce genre.

Le transport des patients pose souvent problème. Les hôpitaux de Cisjordanie et de Gaza ne sont pas suffisamment bien équipés pour que les médecins puissent pratiquer des opérations cardiaques ou administrer des chimiothérapies. Pour bénéficier de ces soins en Israël, les malades doivent demander une autorisation aux autorités israëliennes. Hormis le fait que ces traitements sont très chers (1) et donc peu accessibles, les patients se voient souvent interdire l'accès aux hôpitaux. Parfois, les autorités postposent leur décision, sans raison. Des opérations n'ont pas lieu parce que les malades ne peuvent pas atteindre la clinique. Des ambulances sont bloquées aux check-points. J'ai vu cela à plusieurs reprises. Selon plusieurs témoignages venant de Gaza, il y a aussi le cas de patients que les autorités font chanter pour les contraindre à collaborer. En échange, elles leur "offrent" des soins ou un traitement.

Si un patient reçoit finalement l'autorisation de se rendre en Israël, sa famille ne peut pas lui rendre visite. La plupart de ces séjours durent plus de 5 jours et les risques encourus par le malade sont relativement élevés. Le patient doit affronter seul toutes ces difficultés. Sa famille est obligée d'attendre anxieusement son retour à la maison sans pouvoir lui prodiguer son aide.

Comment décrirais-tu la vie des Palestiniens. Le taux de chômage est-il élevé?

Les Palestiniens aiment la vie. Ils sont très hospitaliers. Dès lors, on ne remarque pas tout de suite, qu'ils ont des problèmes financiers. Si vous leur rendez visite, ils vont toujours vous offrir un verre de coca ou de jus de fruit. Ils vous inviterons aussi à partager leur repas. Pour l'occasion, il y aura de la viande même si eux n'en mangent plus depuis des mois et qu'ils sont endettés. En Palestine, on dit que chacun doit faire preuve d'hospitalité même si pour cela tu dois abattre ton dernier mouton ou ton unique cheval.

Lorsque les personnes arrivent à satisfaire leurs besoins de base, elles n'ont souvent plus les moyens de payer des activités extrascolaires à leurs enfants (cours de natation, participation à un camp d'été ...). Ces derniers traînent alors dans la rue ou devant la TV.

Les Palestiniens aiment les mariages. Certaines de ces fêtes sont devenues moins exubérantes. Les gens "se contentent" d'un tranche de cake et d'un verre de coca. Ils n'ont plus l'argent nécéssaire pour financer une fête et inviter tous les habitants du village, comme le veut la coutume.

Souvent les mariages sont postposés jusqu'à ce que les familles réunissent assez de fonds. Comme le gouvernement palestinien est boycotté par les USA et l'Europe, et qu'Israël retient la part des taxes qui doit normalement revenir aux Palestiniens, des personnes travaillent sans être payées. Parce qu'ils sont privés de revenus, beaucoup de couples de fiancés ne peuvent pas se marier. Ils sont obligés de prolonger la période des fiançailles et pendant toute cette période - qui peut parfois durer deux ans - ils ne peuvent pas se voir en privé.

Pour les Palestiniens, y a t-il une solution politique au conflit? Existent-ils des possibilités à court ou à long terme ?

Les réponses sont fort divergentes. La semaine passée, je discutais avec un jeune homme de Bil'in. Les habitants de ce village manifestent pacifiquement chaque vendredi, contre le mur qui les prive de plus de 50% de leurs terres.

Ce village a eu gain de cause devant la Haute Cour de Justice israélienne. Pourtant les travaux de construction du mur, l'expropriation des terres, l'intimidation des villageois et l'extension de la colonie avoisinante continuent.

Il y a 2 semaines, le jeune homme dont je vous parle a été blessé par balles, alors qu'il jetait des pierres sur un barrage (pas aux soldats). Il a passé plusieurs jours en soins intensifs. Il peut s'estimer heureux, s'il remarche dans un an. Malgré ce qu'il a subi, il défend les Israéliens. Il prétend qu'il veut tranquillement habiter la même maison qu'eux. Tout le monde est le bienvenu en Palestine, mais tous les individus doivent être traités de la même façon et leurs droits fondamentaux respectés.

La plupart des gens veulent la paix. Ils veulent mener une vie plus tranquille et plus libre que celle qu'ils ont aujourd'hui. Ils veulent se déplacer sans rencontrer de check-points.  Ils  veulent être autonomes et ne pas devoir demander des autorisations à tout propos. Ils veulent jouir de leurs terres sans craindre une expropriation. Les gens actifs politiquement sont de plus en plus nombreux à soutenir l'idée "d'un Etat pour deux peuples" (2) car créer un Etat palestinien viable sur ce qu'il reste de la Cisjordanie n'est tout simplement pas envisageable. S'il y avait une volonté manifeste de faire la paix, je pense que les choses pourraient aller relativement vite.

Y a t-il des pourparlers entre le Fatah et le Hamas pour rétablir l'unité Palestinienne?

Les discussions semblent reprendre avec l'aval de la population. Aux yeux des Palestiniens, ces deux partis ont échoué. Le pouvoir les a corrompus. La population est fatiguée. La période qui a suivi les accords d'Oslo (3) a généré beaucoup d'espoirs. Des projets de construction grandioses ont démarrés. Des bureaux touristiques ont achété des bus. Beaucoup de Palestiniens installés à l'étranger sont revenus, mais ils ont été floués. Aujourd'hui, la Cisjordanie est morcellée à cause de l'extension de la colonisation. Les villes sont isolées les unes des autres et souvent elles sont bouclées par l'armée israélienne. Cette situation rend impossible toute activité économique.

Les gens sont déçus. Ils essayent de mener une vie "normale". Bien sûr, la notion de normalité est ici très relative. Il y a quelques années, mes nièces, alors âgées de 14 et 18 ans m'ont demandé si elles allaient pouvoir passer les check-points.... en Belgique.

Que peut-on faire en Belgique pour soutenir la lutte palestinienne?

La Belgique doit exiger d'Israël qu'il respecte le droit international. C'est une honte qu'il y ait des produits venant des colonies dans les grandes surfaces belges. Au regard du droit international, l'implantation de colonies est illégal. Une nation occupante ne peut donc pas loger sa population sur les terres qu'il occupe. Les colonies ont été construites sur des terrains volés aux Palestiniens. Les Palestiniens travaillent souvent dans ces colonies sans bénéficier de salaires décents et d'une protection sociale.

Via l'UE, la Belgique a des accords commerciaux avec Israël. Ces accords permettent à Israël de faire du business en bénéficiant de tarifs préférentiels. La portée de cet accord a été très récemment étendue. Ceci a eu lieu alors que par ailleurs, nous condamnons "sévèrement" le blocus, l'étranglement économique de plus d'un million et demi de personnes à Gaza., alors que des organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International parlent de violations flagrantes des droits de l'Homme et alors qu''Israël rend très difficile le commerce entre les territoires palestiniens et l'Europe. Cet accord doit être supprimé.

Prétendre que la Belgique ne peut pas faire grand chose tant qu'Israël bénéficie du soutien des USA ne rime à rien. L'Europe est économiquement beaucoup plus forte qu'Israël et que les Etats-Unis.

Et là, je ne parle pas  de la collaboration qui existe entre OTAN et Israël.  Un partenariat qui suppose la livraison d'armes et de pièces détachées, de la Belgique vers Israël.

Le minimum que les journalistes et les hommes politiques belges peuvent faire est de rester objectifs. Cela signifie que s'ils viennent ici, ils doivent faire plus que de séjourner en Israël,  glâner quelques informations sur les territoires occupés via  l'ambassade israélienne ou faire une visite éclair à Ramallah. Ils doivent faire plus au lieu d'accuser les autres de parti pris et d'antisémitisme.

Notes de bas de page

(1) Les Palestiniens qui se rendent en Israël pour se faire soigner ne bénéficient par d'une prise en charge de leurs soins, alors que les colons de Cisjordanie eux, jouissent de cet avantage. Signalons par ailleurs, qu'au regard du droit international, une nation occupante doit veiller au bien-être de la population qui vit sur les territoires qu'elle occupe.

(2) La solution "deux Etats, deux peuples" suppose que soit créé - à côté d'Israël - un Etat palestinien qui s'étendrait sur la Cisjordanie et Gaza. La solution "un Etat, deux peuples" suppose la création d'un Etat  binational sur l'entièreté de la Palestine historique à savoir : Israël, la Cisjordanie et Gaza.

(3) Les accords d'Oslo ont été signés en 1993, par l'Etat d'israël et l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

source: http://www.intal.be/fr/node/6802

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