FREE PALESTINE
5 septembre 2008

Comme un mendiant exposant ses moignons

Comme un mendiant exposant ses moignons

Gideon Lévy

Haaretz, 27 juillet 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1005727.html

Version anglaise : Like a beggar showing off his amputated limbs

www.haaretz.com/hasen/spages/1005639.html

Ce fut une nouvelle scène grotesque, pour ne pas dire macabre : Barak Obama, à l’exposition consacrée aux roquettes Qassam, à Sderot, tenant à la main un bout de métal rouillé, après sa rencontre avec Osher Tuito, cet enfant qui avait dû être amputé de la jambe. Notre hôte ne s’était pas encore remis de sa visite obligée à « Yad Vashem » qu’il avait de nouveau le regard noir. Néanmoins, cette visite fut, elle aussi, une réussite. L’extracteur d’émotions israélien a opéré à merveille, partagé entre les rencontres avec les hauts responsables politiques et les visites sur des sites de tragédies : « Yad Vashem » et Sderot, avec le « Mur des Lamentations » pour dessert. Si Obama avait eu encore un peu de temps, ses hôtes ne lui auraient pas épargné le site du suicide national, Massada, comme ils l’ont fait avec le Président George Bush, ou encore la tombe d’Yitzhak Rabin, comme on a fait pour de nombreux autres invités. Et bien sûr, le survol obligé : pour faire la démonstration de la « taille étroite » du petit et faible Israël, cet Etat dont l’arsenal ne manque d’à peu près aucune des armes existant dans le monde.

On invite et on pleure, on pleure et on invite. A chaque visite, Israël se déclare région frappée par une tragédie. Un pays où « il fait bon vivre », comme nous l’a assuré l’actuel Premier ministre, n’est présenté à nos hôtes que comme un concentré de tragédies et de catastrophes, fragile et menacé, et où vraiment le plus grand plaisir des citoyens est de barboter dans les désastres. Il n’y a qu’en Israël qu’un hôte de passage doit avoir vu chaque blessure, sans quoi sa visite ne serait pas une visite.

Plutôt que de faire voir à nos hôtes des lieux et des institutions dont on peut s’enorgueillir, la vie incessante de Tel Aviv, la Philharmonique, les universités, le théâtre, l’agriculture et l’industrie, nous leur organisons des tournées de larmes. Une exposition sur les roquettes Qassam plutôt qu’un musée d’art. Comme nous aimons patauger dans cette souffrance, parfois réelle, parfois fabriquée et exagérée, et comme nous aimons imposer tout ça à nos hôtes. Une puissance régionale déclare à ses invités : voyez comme nous sommes malheureux. Rien que des chansons de souffrances, depuis la menace iranienne jusque Sderot.

Nous n’avons pas toujours pleurniché comme ça. Il y a eu des époques où notre situation était plus mauvaise qu’aujourd’hui et où, pourtant, nous étions fier de notre pays et de ses réalisations. A l’été 1955, David Ben Gourion emmena le Premier ministre birman, U Nu, visiter Degania Aleph et son hôte, enthousiaste, retourna immédiatement dans son pays pour y ordonner la création de kibboutz birmans ; Pinchas Sapir avait l’habitude de mener ses hôtes visiter des usines et Levi Eshkol de s’enorgueillir de l’aqueduc national [National Water Carrier]. Dans les années 60, nous emmenions Eleanor Roosevelt voir les institutions de l’Aliya de la Jeunesse et Anouar El-Sadate, en 1979, au Technion et aux usines Elscint – la fierté de la formation supérieure et de l’industrie israélienne – et le roi des belges, Baudouin, nous l’avons emmené planter un arbre à Kfar Horesh, à la gloire de l’Etat d’Israël. En 2000, il n’y a donc pas si longtemps, nous emmenions encore le président chinois, Jiang Zemin, dans le moshav de Neot HaKikar et à Ein Guédi, pour lui montrer, à sa demande, une agriculture dans le désert.

Mais depuis lors, et à l’exception d’une seule visite, celle d’Angela Merkel à Sdeh Boker – visite essentiellement consacrée, elle aussi, à se prosterner sur la tombe de Ben Gourion – nous avons cessé d’être fier du pays et d’entretenir nos invités de ses réussites. Le message est clair : regardez comme nous sommes malheureux, faibles, vulnérables, infortunés, et, dans votre bonté, venez-nous en aide.

Comme un mendiant qui expose ses moignons dans la rue, Israël étale ses tragédies, sans honte, avec une bonne dose de cynisme, dans l’espoir que quelqu'un lui jette une pièce ou au moins un os. Sauf qu’Israël n’est pas un mendiant et que ses moignons n’éveillent pas plus la pitié que ceux de bien d’autres pays dont certains connaissent une situation infiniment plus difficile sans avoir fait des plaintes et des gémissements leur hymne national.

Les réalisations israéliennes sont, au contraire, nombreuses, mais nous les cachons au regard de nos hôtes, par crainte qu’ils ne se laissent pas toucher de compassion. Cette machine à pleurnicheries fonctionne merveilleusement bien. Pour le moment, les airs d’affliction que nous imposons à nos hôtes se traduisent en marques de sympathie. Mais comme pour toute jérémiade, elle finira par être suivie d’un dégrisement. Viendra un moment où nos hôtes en auront assez de toutes ces lamentations, tout comme on se lasse des mendiants professionnels. Sderot est relativement calme et les fruits de ses souffrances, nous les avons déjà pressés jusqu’à la dernière goutte. Même le souvenir du génocide finira un jour par s’assécher. Alors peut-être pourrions-nous prendre les devant et changer de cap ? Peut-être pourrions-nous en revenir au temps où nous tirions gloire de nos réalisations et non pas de nos malheurs ?

Le prochain Obama, emmenez-le à Tel Aviv, montrez-en lui la vie nocturne animée, faites-lui rencontrer des écrivains, des scientifiques et des intellectuels, faites-lui voir la compagnie Iscar Metalworking et emmenez-le à un spectacle de la compagnie de danse Batsheva. Cela l’impressionnera davantage que tous les éclats de roquettes Qassam. Emmenez-le au concert, au spectacle, à une exposition, voir un film israélien, mais par-dessus tout, empêchez que sa voix et les nôtres ne s’emplissent de pleurs. Assez sangloté dans ce pays.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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