Des mots durs, mais vrais
Des mots durs, mais vrais
Par Seth Freedman
Lors d'un séjour récent chez une famille palestinienne en Cisjordanie,
je me suis trouvé chez eux à écouter les informations avec deux des
fils de mes hôtes. Les événements de la semaine avaient été
particulièrement violents, avec des affrontements acharnés entre les
forces israéliennes de défense (d'occupation, ndt) et les villageois de
Nilin, où nous étions donc assis, ainsi que des reportages sur une
roquette artisanale tirée par des colons en direction d'une communauté
palestinienne voisine.
L'atmosphère dans la maison était tendue ; les deux frères étaient
inquiets des possibles répercussions des hostilités matinales sur leur
village et gardaient un œil attentif sur l'écran où ils suivaient la
diffusion du reportage qui montrait la confrontation sanglante.
A mon intention, l'aîné a mis la version anglaise de al-Aqsa TV,
une chaîne lancée par le Hamas en 2006 comme partie de sa campagne pour
contrer ce qu'il considérait être de la propagande israélienne dans les
médias occidentaux.
"Les colonisateurs sionistes ont tiré un missile [sur une ville palestinienne]", a annoncé un présentateur au visage de marbre tandis qu'il rapportait l'attaque à la roquette des colons.
Poursuivant, il a informé les téléspectateurs de projets "d'extension
de la colonie sioniste Har Homa", avant de relayer l'information selon
laquelle "les forces sionistes d'occupation ont blessé sept personnes à Nilin".
Des images assez sanglantes de Palestiniens blessés défilèrent en
accompagnement, et nous regardâmes en silence tandis que la litanie
sans fin des injustices était racontée, d'une voix sombre, par le
journaliste.
Les informations furent interrompues par la publicité, une longue
séquence au cours de laquelle des images de Palestine furent montrées,
avec une voix hors champ lançant un appel passionné aux téléspectateurs
à rejoindre la résistance. "La Palestine vous appelle. Soutenez-moi. Libérez-moi. Je suis votre mère, et vous êtes mes fils", disait le narrateur, avant de finir par une déclaration passionnée : "Palestine : le mot d'amour ; le cœur du monde".
Alors que les informations reprenaient en boucle, tout ce sur quoi je
pouvais me concentrer était le langage utilisé, plus que les histoires
qui étaient relatées. L'abandon des termes des médias occidentaux – "Israël", "les Forces de Défense Israélienne", "les colons",
etc. – remplacés par un lexique entièrement différent fut pour moi un
réveil rude, après avoir été nourri à un régime tellement différent
pendant des années.
Cependant, les termes utilisés n'étaient pas le moins du monde
inhabituels pour les fils de mon hôte, et indiquaient la largeur du
gouffre entre les citoyens ordinaires, de chaque côté du fossé.
Souvent, les partisans d'Israël critiquent le temps d'antenne, qu'ils
trouvent disproportionné, que les médias occidentaux consacrent à la
région, ainsi que le prétendu déséquilibre de sa couverture, qu'ils
estiment être trop lourdement favorable à la cause palestinienne. Il
serait pourtant tout à fait compréhensible qu'un téléspectateur de la
chaîne al-Aqsa tombant sur n'importe quelle station occidentale, de la BBC à Sky News et au-delà, éprouve la réplique inversée de cette indignation à simplement entendre les termes employés pour décrire le conflit.
Mentionner simplement les colons comme s'ils étaient une sorte d'entité
bienveillante et pionnière, plutôt que des colonisateurs convaincus,
ferait sans aucun doute hérisser toute la communauté palestinienne. Se
référer à l'armée israélienne comme à une force de "défense"
en dépit de sa nature et de ses activités essentiellement d'occupation,
serait un autre sujet d'irritation pour tout Palestinien espérant un
minimum de compréhension de la part des médias européens.
Le langage de la guerre est pourtant un autre champ de bataille où les
deux côtés en arrivent aux coups, comme je m'en suis rendu compte
maintes fois depuis que j'ai commencé à écrire pour Comment is free.
Certains mots vont immanquablement provoquer une explosion violente,
faire dérailler le fil de la discussion et obscurcir le message que
j'essaye de faire passer dans mes articles. Appeler un chat un chat
devient hautement problématique dans le champ de mines du conflit
Israël-Palestine.
Décrire la situation en Cisjordanie comme une forme d'apartheid blesse
certains, en dépit des preuves évidentes justifiant le terme. Les mêmes
personnes protestent lorsqu'on assimile la destruction gratuite
infligée à des villages par les Forces Israéliennes d'Occupation à des
pogroms – certains juifs s'étant arrogés en quelque sorte le mot à leur
usage exclusif, et seulement en référence à la souffrance historique
propre aux Juifs.
Toute comparaison entre les politiques expansionnistes et racistes du
gouvernement israélien et les expérimentations similaires de suprématie
ethnique à travers l'histoire sont diluées sous un cloaque de réponses
dérisoires et indignes, comme si pointer ce qui saute aux yeux était
l'antithèse d'un débat honnête et raisonnable. La colère n'est pas
moins véhémente ni moins âprement exprimée de l'autre côté, parmi ceux
qui refusent de faire référence à l'Etat juif comme à Israël, ou à l'armée israélienne comme aux Forces Israéliennes de Défense.
Alors que je comprends combien les gens (dont moi-même) sont
émotionnellement investis lorsqu'il s'agit du conflit, nous ne devrions
pas accepter une situation où les faits dans toute leur franchise
soient écartés, simplement parce que le lecteur ou le téléspectateur ne
se sent pas à l'aise avec la vérité. J'ai eu beau tressaillir au début,
assis dans le salon de la famille palestinienne, à entendre mon pays
décrit, aux informations, dans un langage aussi incendiaire, je peux
comprendre pourquoi ils utilisent ces termes dans leurs reportages.
Les colons sont des colonisateurs, tout comme les Forces Israéliennes
de Défense sont des forces engagées dans une occupation, et toute
tentative d'essayer de peindre le scénario d'une autre façon est à la
fois malhonnête et mensonger.
Quiconque pense que les médias occidentaux sont incorrigiblement
partiaux en faveur des Palestiniens ferait bien de considérer le
spectre d'opinion dans son ensemble sur ce que constitue un reportage
juste et un langage honnête, avant de porter des jugements aussi
radicaux.
Parce que de là où sont assis les Palestiniens, sous le joug de
l'occupation, l'image paraît très différente de celle que les partisans
du sionisme voudraient que le monde croit.
Source : The Guardian | ||
Traduction : MR pour ISM |