La crise de l'eau s'accentue en Israël et frappe durement les Palestiniens
LE MONDE | 16.08.08 | 13h46 • Mis à jour le 17.08.08 | 11h06
JÉRUSALEM CORRESPONDANT
Uri Shani, un universitaire qui préside aux destinées de la Water Authority (Mekorot), a lancé, en juillet, un véritable cri d'alarme : 'Israël connaît la pire crise de l'eau de son existence.' 'Nous allons à la catastrophe', a-t-il averti, en précisant qu'un peu partout les signaux d'alerte s'étaient allumés.
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Le lac de
Tibériade, qui fournit un tiers de la consommation nationale, a atteint
sa ligne rouge (213 mètres au-dessous du niveau de la mer). A
l'automne, il pourrait atteindre la ligne noire au-dessous de laquelle
ce grand réservoir serait en péril en raison des risques de
salinisation et d'apparition d'algues toxiques. Uri Shani a fait un
état des lieux de tous les bassins aquifères. Leur niveau n'a jamais
été aussi bas. Le bassin de la côte a déjà atteint la ligne noire, ce
qui signifie qu'il y a déjà eu des infiltrations d'eau de mer et que 'des dégâts peut-être irréversibles ont été causés', a-t-il souligné.
Uri
Shani a déjà prévenu que les prochaines années risquaient d'être pires.
Une série de mesures ont été et vont être prises. L'arrosage public
pourrait être interdit dès l'an prochain. 'Israël deviendra jaune et il faudra apprendre à nager
dans des piscines vides',
a prévenu Uri Shani. Les quantités d'eau utilisées par l'agriculture
seront réduites d'un tiers. Une campagne nationale a été lancée pour
inciter la population à économiser l'eau. Son prix va augmenter. Depuis
quatre ans, il pleut de moins en moins. Pour l'année 2008, le déficit
prévu sera de 350 millions de mètres cubes. Et la consommation
domestique augmente de 4 % par an.
Le manque de pluie frappe aussi durement la Cisjordanie. Un tiers en moins au cours du dernier hiver. '2008 a été déclarée année de sécheresse. La situation au sud et à l'est d'Hébron, à Bethléem, à Jénine est préoccupante',
dit Ayman Rabie, responsable de l'organisation non gouvernementale
(ONG) Palestinian Hydrology Group. L'approvisionnement venant d'Israël
a été réduit de 20 à 30 %, affirme l'Office de coordination pour les
affaires humanitaires de l'ONU (OCHA). Il y a désormais des coupures
d'eau. Des camions-citernes pallient les manques, mais l'eau est quatre
fois plus chère.
B'Tselem,
organisation israélienne de défense des droits de l'homme, lance un cri
d'alarme, indiquant que 20 % de la population de Cisjordanie n'est pas
connectée au réseau et que les réserves de l'hiver sont épuisées. 'J'ai demandé 8 millions de mètres cubes supplémentaires à Mekorot. Ils m'ont été refusés',
s'inquiète Shaddad Al-Attili, responsable de la Palestinian Water
Authority (PWA). Le déficit se situera cette année aux alentours de 69
millions de mètres cubes.
A Gaza, 'c'est catastrophique',
raconte M. Al-Attili, qui explique que la nappe phréatique est à un
niveau critique, qu'elle est totalement polluée par l'eau de la mer et
par les rejets des eaux usées qui ne sont pas traitées. 'Seuls ceux qui ont les moyens peuvent s'acheter un appareil pour purifier l'eau. On va au-devant d'une catastrophe sanitaire', s'alarme
Ayman Rabie.
L'eau
est un enjeu majeur des négociations entre Palestiniens et Israéliens
pour la création d'un Etat palestinien. Le processus d'Oslo avait
laissé cette question capitale de côté. Les Israéliens consomment 3,5
fois plus d'eau que les Palestiniens et contrôlent complètement les
ressources en eau de la Cisjordanie.
Shaddad Al-Attili avoue son impuissance. 'Il
n'est pas possible de creuser un puits sans l'autorisation d'Israël et
les accords ne sont donnés que pour le bassin oriental, le plus
profond, et quelquefois pour celui du nord, le moins fourni. Pour la
nappe occidentale, la plus importante, c'est impossible. Or notre
population a doublé depuis que l'Autorité palestinienne a été créée et
notre allocation en eau est toujours la même. Nous mourrons de soif
alors que les Israéliens pensent seulement à réduire leur
consommation.' Les Palestiniens veulent que leur eau leur soit rendue. 'Israël alloue
seulement 20 % de l'eau puisée en Cisjordanie et empêche la PWA de développer des ressources additionnelles', s'insurge B'Tselem.
Ayman Rabie raconte : 'Il faut des permis pour creuser des puits à une profondeur requise, entreprendre des réhabilitations du réseau, construire un réservoir, commander des pompes
ou des tuyaux. Et ces derniers ne doivent pas être d'une largeur
supérieure à 8 inches (20 centimètres) pour que l'on n'ait pas trop
d'eau.' Ayman Rabie explique aussi que les colons font ce qu'ils
veulent, qu'ils ont de l'eau 24 heures sur 24 et qu'il suffit de se
promener en Cisjordanie pour voir le contraste entre les colonies
vertes et les villages palestiniens arides.
Non seulement l'eau est
rare, mais celle qui est utilisée souille les paysages et le sous-sol,
car Israël ne donne pas d'autorisation pour la construction de centres
de retraitement. 90 % des effluents sont rejetés non traités.
Shaddad
Al-Attili enrage car, depuis plusieurs années, il ne peut utiliser
l'argent alloué par la communauté internationale pour construire les
unités de traitement des eaux. L'Agence française de développement a,
par exemple, engagé 50 millions d'euros pour des projets qui restent
gelés faute d'un accord israélien. 'En fait, dit
Ayman Rabie, nous aurions le feu vert si les colonies étaient
autorisées à se connecter sur le réseau de retraitement des eaux, ce
qui reviendrait à légaliser leur existence.'
A l'avenir, Israël va
devoir non seulement répartir l'eau plus équitablement mais aussi
trouver des ressources supplémentaires pour éviter une pénurie
croissante. En 2001, une commission de la Knesset avait déjà dressé un
constat alarmant et demandé que des mesures soient prises, notamment
pour la construction d'usines de dessalement de l'eau.
L'objectif
était d'atteindre la production de 400 millions de mètres cubes en
2006. Aujourd'hui, 130 millions de mètres cubes proviennent de trois
usines. Trois autres vont permettre d'augmenter la capacité à 500
millions de mètres cubes, en 2012, et 750 millions, en 2020. Il est
aussi prévu de favoriser le retraitement des eaux usées qui alimentent
en bonne partie l'agriculture.
Mohsé Perlmutter, de la société de protection de la nature, pense que 'le plan d'urgence vient trop tard' et annonce des lendemains difficiles pour Israël. Surtout si les Palestiniens exigent le contrôle de leurs ressources en eau.
Michel Bôle-Richard