FREE PALESTINE
6 août 2008

Conférence sur le terrorisme et la résistance en Palestine

Conférence sur le terrorisme et la résistance en Palestine

Résistance nationale et terrorisme
Ahmed A. Ounaïes

Carthage, 11 avril 2008

Deux thèmes constituent une source de divergence dans le dialogue difficile que le monde arabe cherche à nouer avec l’Occident : la confusion entretenue entre terrorisme et résistance et la nature de la résistance palestinienne. Un effort de clarification conceptuelle s’impose afin de mieux cerner la problématique et d’analyser plus au fond une telle divergence qui mine la politique de partenariat entre l’Union Européenne et les pays arabo méditerranéens, ainsi que l’avenir des relations entre l’Occident et les pays islamiques dans leur ensemble, notamment depuis que l’effet déstabilisateur du 11 septembre expose l’islam à une propagande qui vise à l’assimiler à la violence aveugle et au terrorisme. Il est nécessaire et salutaire de dissiper la confusion, de fonder en toute clarté la légitimité de la résistance palestinienne et de définir les bases communes du dialogue. Mais sans doute convient-il de lever d’abord la confusion entretenue entre islam et violence.    

ISLAM ET VIOLENCE.

Un mouvement réactionnaire a sévi en Afghanistan et en Algérie au nom de l’islam et commis des violences injustifiables. S’il n’avait été combattu auparavant dans d’autres pays, notamment en Egypte, en Tunisie, au Maroc et en Arabie Saoudite, le cercle des violences aurait été étendu dans des proportions incalculables. Il était nécessaire de le réduire et de préserver ces pays contre un mouvement destructeur et rétrograde. Mais il est certainement abusif de rattacher à l’islam ce phénomène essentiellement politique même s’il s’est donné une étiquette religieuse. Il faut comprendre les raisons de son émergence dans ces pays en particulier. On ne saurait vaincre de tels mouvements sans en saisir la genèse et sans approfondir les conditions historiques où ils ont surgi. Il faut également reconnaître que, bien avant l’apparition du phénomène dans les sociétés islamiques, des mouvements fanatiques s’étaient manifestés en Israël où prospéraient des mouvements religieux d’extrême droite ainsi que dans la communauté juive aux Etats Unis ayant des prolongements en Israël sous forme de partis politiques extrémistes ; d’autre part, reconnaître l’apparition ou la résurrection de mouvements hindous violents et sanguinaires. Les uns et les autres frappent ceux qu’ils désignent comme étant leurs ennemis aussi impitoyablement que les autres fanatismes apparus dans la longue histoire de l’hindouisme, de la chrétienté et de l’islam.     

Sur ce point, il est important de lever une triple confusion qui consiste à réduire aux sociétés islamiques tout le fanatisme qui sévit dans le monde et qui commet des atrocités intolérables, d’autre part à assimiler ce facteur au terrorisme qui, de toute évidence, le dépasse, enfin à pousser la confusion entre terrorisme et résistance nationale. Cette triple confusion témoigne d’une méconnaissance de l’islam, d’une approche superficielle des situations historiques et d’une méthode abusivement réductrice.

Divers types de mouvements théocratiques ont effectivement pris racine en Afghanistan et au Soudan et failli s’implanter en Algérie dans des conditions qui s’expliquent par les situations spécifiques de ces sociétés. Mais l’échec même de leur gestion politique et sociale là où ils ont pu s’implanter, et les méthodes qu’ils ont utilisées dans la lutte pour le pouvoir en Algérie les ont résolument discrédités dans ces pays mêmes et dans l’ensemble de la communauté arabe et islamique. Les témoignages des repentis sont éloquents : ils admettent leur échec, réalisent l’impact catastrophique de leurs excès et avouent leur conception irréaliste de la société qu’ils prétendaient vouloir instituer. Ces mouvements réactionnaires, dogmatiques et anachroniques, sont vaincus. La menace qu’ils représentent désormais n’est pas plus que résiduelle.

Il faut se garder de confondre ce type de formation qui visait à gouverner au nom de principes théocratiques, avec des mouvements qui se réclament de l’islam pour une finalité essentiellement réformatrice. Ces mouvements en appellent en effet à l’islam libérateur pour mener un combat total contre la régression sociale et politique. Ils trouvent un terreau favorable dans les sociétés islamiques victimes de l’oppression, de la corruption, de la discrimination et parfois de l’occupation étrangère. Leur finalité, leur enracinement et leur audience les distinguent des mouvements réactionnaires dans la mesure où ils captent à leur profit l’aspiration à la liberté et à la moralité et, dans d’autres cas, l’exigence de libération nationale. La rhétorique religieuse mise au service de telles causes leur confère certes une plus large audience mais c’est la cause politique, celle de la liberté, de la justice et du progrès, qui les identifie plus que l’islam dont ils se prévalent. Dans d’autres contextes, ces mouvements s’appuieraient plutôt sur la tradition démocratique ; dans les sociétés islamiques, l’absence de tradition démocratique renvoie au référentiel religieux. En outre, l’élan induit par le retour de l’occupation militaire de l’Afghanistan, par l’extension de l’occupation à l’Irak et par l’ampleur des exactions israéliennes dans les territoires occupés, leur confère un rayonnement supérieur appelé à durcir la solidarité communautaire.

S’il est vrai que les régimes répressifs aussi bien que les régimes d’occupation s’empressent de qualifier de terroristes ces mouvements réformateurs, la confusion est calculée pour discréditer en fait deux ennemis distincts. Un effort s’impose certes pour clarifier les conditions de la réforme politique des sociétés arabes ou islamiques, mais cet effort ne nous concerne pas dans l’étude présente. Nous retiendrons dans cet exposé la distinction entre terrorisme et résistance et la légitimité de la résistance palestinienne.

TERRORISME ET RESISTANCE.

Si le terrorisme et la résistance font usage de violence, ils s’inscrivent néanmoins dans des contextes politiques et juridiques distincts et obéissent à des définitions radicalement différentes par leur genèse, leur finalité, leur insertion dans le tissu social et politique ainsi que par la nature de leur commandement.

·      Le terrorisme est une action offensive pouvant survenir partout et à tout moment ; imprévisible et délocalisé, il s’exerce à froid et se donne les objectifs les plus divers. La résistance est la réaction à l’invasion et à l’occupation étrangère ; elle est prévisible, essentiellement défensive et guidée par un objectif national. La mobilisation pour la résistance n’obéit ni à un calcul d’opportunité ni à une quelconque idéologie, c’est un acte intime qui exprime le devoir naturel de défendre l’intégrité et l’honneur de la nation.

·      La résistance n’est pas le fait d’un chef, ni d’un parti, ni d’une religion, elle procède de l’âme même du citoyen, en un élan spontané, que le citoyen reçoive l’appel d’un chef ou qu’il ne le reçoive jamais. Le peuple résiste à l’oppression avec ou sans direction politique en place. L’émergence de la direction politique dérive de l’impératif de résistance et non l’inverse. Les directions politiques se constituent et, même décimées, se reconstituent non parce que des chefs en ont décidé mais parce que le peuple, à la base, assume l’impératif de la résistance.  

·      Le terrorisme recherche et recrute ses agents et ses exécutants. La résistance n’a pas à recruter, elle ne fait que canaliser la mobilisation spontanée des militants dans la base nationale la plus large. L’élan de mobilisation est irrésistible parce que, sous l’occupation, la nation n’existe et ne survit que dans la résistance. Hors la résistance, elle cesse d’être et cesse de représenter une entité pour elle-même et pour les autres nations. La dynamique de la résistance maintient la nation en vie, donne un contenu à la solidarité nationale, ennoblit l’esprit de lutte et investit le militant d’une responsabilité qui dépasse sa personne. Par lui-même, l’esprit de résistance affermit l’espoir. Un jour, grâce à l’abnégation de ses propres enfants, la nation retrouvera la liberté. Parce que la résistance maintient cet espoir, nul ne s’y dérobe et on ne se pardonne pas de faiblir. Le destin des faibles est tranché à l’égal de celui des traîtres.

·      La résistance est l’expression du droit de légitime défense inhérent à l’existence d’une nation. En réaction à l’occupation, la nation est en droit d’assurer sa légitime défense, de préserver son intégrité et d’opposer une résistance cohérente dans le but de mettre fin à l’occupation. Le terrorisme, expression d’une stratégie d’intimidation et d’une capacité purement destructrice, ne saurait se prévaloir d’un droit quelconque de défense et ne saurait donc jouir d’aucune légitimité.

·      La base nationale qui, dans toutes ses composantes, subit l’oppression des forces d’occupation, détermine en dernier ressort le contenu politique de la résistance et lui confère son sens, sa finalité et la reconnaissance nationale et internationale. A l’inverse, le terrorisme dérive de la volonté d’un noyau dirigeant qui détermine et modifie à son gré son programme et ses exigences en fonction de ses calculs ou de son idéologie. Le terrorisme, qu’il soit individuel ou de groupe, peut se prévaloir d’une idéologie ou d’un dogme, mais jamais de l’autorité d’une nation.

·      La résistance prévaut tant que sévit l’occupation et cesse avec la fin de l’occupation ; le terrorisme dure autant qu’en décident ses dirigeants et ne disparaît qu’avec la disparition de ses dirigeants.

·      Le principe du terrorisme est le calcul. Le principe de la résistance est l’honneur. C’est pour l’honneur que les résistants acceptent le sacrifice suprême, et pour l’honneur que la nation reconnaissante les porte au Panthéon.    

Au-delà de la distinction théorique entre les deux notions, deux questions subsistent relativement à la violence contre les civils et au principe du martyr.

La thèse occidentale présente admet la résistance pourvu qu’elle épargne les civils innocents. Or, dans le contexte de l’occupation, quelle place subsiste pour les valeurs civiles ? L’espace social est totalement absorbé par l’administration militaire. La demeure familiale, la rue, l’école, l’hôpital, le lieu de travail sont à la merci des forces d’occupation qui surgissent en tout lieu, à tout moment, qui arrêtent et emportent quiconque leur semble utile à leurs fins ; les notions d’adulte, d’enfant, de vieillard ne sont plus valides. Dans ce face à face, l’ordre civil n’est plus qu’une fiction. Quelle convention internationale, quel scrupule humaniste ont jamais troublé la besogne des forces d’occupation quant au respect des valeurs civiles ? Où se dresse la limite de l’usage légitime de la force ? Quand le destin des prisonniers ne fait pas mystère, que l’assassinat ciblé, les maisons défoncées, les parents outragés et humiliés devant leurs propres enfants sont l’ordinaire des forces d’occupation, le terrorisme d’Etat submerge l’ordre social.

Ce régime tend à abolir la notion même de violation. Les forces d’occupation ne s’embarrassent guère de normes ni de principes, elles affichent la force pure, elles tuent à vue, torturent en bonne conscience et humilient par le fait de la dégradation délibérée de la personne humaine. La démarcation entre civil et militaire relève d’une logique de droit ; la logique et la pratique de l’occupation abolissent le droit. Si l’occupant taxe de terroriste l’acte de résistance sous le prétexte qu’il frappe des civils, une telle prétention ne vise qu’à se donner à bon compte l’apparence d’un ordre de légalité.

Lorsqu’en juillet 2006 la résistance libanaise et la résistance palestinienne avaient conduit des opérations contre des militaires des forces d’occupation et fait prisonniers non pas des civils mais des soldats, l’accusation de terrorisme ne les a guère épargnés pour autant. Dans ces circonstances, le déchaînement des gouvernements et des médias occidentaux trahit le caractère flagrant de l’amalgame. La confusion est encore plus manifeste quand on compare le calme total du front syrien à la vivacité de la résistance sur les fronts libanais et palestinien. A l’égard de la Syrie qui veille à conserver le calme sur le front du Golan, on s’attendrait à la recherche active d’un règlement négocié en vue de l’évacuation du Golan. Or, c’est le Sud Liban en mai 2000 et Gaza en août 2005 qui ont fait l’objet de la décision d’évacuation. L’action violente et persévérante de la résistance était donc payante. Mais au-delà de ces retraits ponctuels, c’est la même politique de harcèlement, de sanctions et de bombardements qui se poursuit sans nuance sur les trois fronts. Ainsi l’enjeu de la politique occidentale n’est-il pas en fait la protection des civils mais le rejet du droit à la résistance.   

LA  QUESTION  DU  MARTYRE

Contemplons cet exemple typique, celui du soldat israélien dans son tank ou du pilote israélien dans la cabine du chasseur bombardier ou de l’hélicoptère tueur, assurés l’un et l’autre d’être à l’abri de toute atteinte de la part de la défense palestinienne. Ils ne courent aucun risque, mais les dommages qu’ils provoquent sont incommensurables : ils peuvent bombarder, détruire, tuer à distance puis rejoindre en toute sécurité leur famille dans la conviction du devoir accompli. Est-ce véritablement un fait de guerre ? A quelles normes doit-on rapporter leurs actes ? S’agit-il d’établir la balance des victimes civiles et militaires dans les rangs palestiniens ? 

Le peuple victime, soumis à l’occupation et confronté à la toute puissance de l’ennemi, est dépourvu de la moindre capacité de défense. Il est en fait éliminé du combat car, dans un tel contexte, il n’y a plus de combat concevable. C’est à partir de ce constat que la victime se donne les ressources de briser l’étau, de percer la cuirasse de l’ennemi et de lui faire subir une partie du mal qu’il inflige. Surprendre et défier l’ennemi, ce n’est pas seulement le vaincre, c’est surtout ébranler son sentiment d’immunité, le ramener à la condition de vulnérabilité à l’égal de sa victime. C’est le ramener à la condition humaine, à l’égal de tous les hommes qui ont en commun l’amour de la vie. Mais il y a plus. Il n’y a pas d’honneur à frapper en lâche. Le militant palestinien qui affronte la mort en sachant qu’il la donne s’impose à lui-même le sort qu’il réserve à l’ennemi. Cette abnégation, on ne l’exige guère des pilotes ni des commandos blindés, comme on ne l’exige pas des tortionnaires. Une telle force d’âme, en effet, n’est pas facile à admettre lorsqu’on croit avoir trouvé dans le terrorisme d’Etat la parade absolue à la résistance du peuple occupé, assiégé et désarmé. Le martyr, au nom de son peuple, s’élève à cette force d’âme. Tant qu’il relève le défi des blindés, des bombardiers et de l’hélicoptère tueur, qu’il ne déserte pas le champ d’honneur et qu’il accepte, en donnant la mort, de mourir pour sa cause, son peuple cesse d’être la victime absolue : le martyre rétablit le combat et les termes du combat. Il n’y a pas de martyre sans une grande cause. 

La tragédie du martyre tient à la fois à la force d’âme de la victime et à l’impuissance du bourreau à réduire cette force ultime. Le principe du martyre dépasse le fait de la puissance et donne à sentir la mesure de la transcendance humaine. Dénoncer le martyre, c’est fuir les vraies questions. Ces questions posent le problème des limites de la puissance matérielle et de l’usage indéfini de la force. Poser les limites de la puissance, tel est l’enjeu essentiel de l’ordre international.

Un ordre international mou, sélectif et intermittent est un ordre défaillant qui génère la violence et la contre violence. S’il est vrai qu’un certain ordre international existe, qu’il est fondé sur des principes universels, il ne saurait échapper à l’obligation de qualifier et de sanctionner la violation de ses normes et de dénoncer rigoureusement et sans équivoque les violations des principes et des valeurs qui le fondent. La responsabilité de l’Occident est très lourde dans le pourrissement des conflits qui affligent le Proche Orient, notamment dans les territoires occupés. Pourquoi le Conseil de Sécurité ne sanctionne-t-il pas l’utilisation de moyens militaires disproportionnés contre un peuple désarmé ? Pourquoi rejette-t-il la présence d’observateurs internationaux dans les territoires ? Pourquoi les Etats occidentaux refusent-ils les enquêtes sur les bombardements du camp palestinien de Jenine et sur les massacres répétés de Cana et de Beit Hanoun ? Pourquoi l’occupation doit-elle durer quarante ans, cinquante ans ? Au-delà des responsabilités du maintien de la paix et de la sécurité internationale, cette défaillance pose un problème de civilisation.

Le Nord et le Sud de la Méditerranée ont traversé l’expérience de l’occupation, de la résistance et de la libération nationale. Ces épreuves ont forgé la conscience politique des peuples. Au-delà des contextes historiques différents, le contenu humain et la portée de civilisation de ces épreuves sont comparables. L’édification de l’ordre méditerranéen et la conception des rapports d’avenir entre ses peuples ne sauraient ignorer ces enseignements. L’analyse de ces expériences est précieuse pour situer la problématique présente ainsi que les responsabilités des acteurs. Quatre facteurs déterminent cette analyse.

Le précédent européen.

Lorsque les peuples européens subissaient l’occupation, ils étaient soutenus dans leur résistance nationale par d’autres alliés européens qui, politiquement, soutenaient leur cause et, militairement, poursuivaient la guerre contre la puissance occupante. De 1940 à 1945, l’Angleterre fournissait l’asile et les moyens de lutte aux dirigeants de la résistance de toute l’Europe occupée. Quand les gouvernements serviles, aux ordres de l’occupant, endossaient l’accusation de terrorisme contre leurs propres nationaux, la légitimité de la résistance n’en était jamais ébranlée dans les rangs des alliés. De surcroît, la poursuite de la guerre contre la puissance occupante constituait pour la résistance nationale une force d’équilibre. L’entrée en guerre des Etats Unis en décembre 1941 donnait à la résistance un espoir accru. Le champ d’honneur réparti sur deux fronts, le front de la guerre et le front intérieur, offrait à la lutte des peuples européens occupés une capacité stratégique supérieure grâce à la synergie des deux fronts. La résistance palestinienne est réduite au seul front intérieur. Si elle bénéficie de la caution morale et de la reconnaissance politique des Nations Unies, la défaillance du système international et des systèmes régionaux à limiter et à sanctionner les exactions de la puissance occupante et à alléger la charge de la résistance conduit cette résistance à concentrer sur le seul front intérieur la totalité de l’action directe de libération nationale.

La stratégie de libération européenne.

Au cours de la deuxième guerre mondiale, aucun camp n’avait épargné les civils. Les bombardements allemands sur Londres et les représailles alliées contre les villes allemandes n’obéissaient à aucun scrupule. Les Alliés, après avoir réussi les débarquements en Normandie et en Italie et après avoir réduit les défenses allemandes, avaient lancé contre Dresde une série de bombardements meurtriers qui n’avaient épargné ni femmes ni enfants ni vieillards. Pendant plus de deux mois, du 14 février jusqu'au 17 avril 1945, ces bombardements avaient fait plus de 100.000 victimes, peut-être 140.000. Pour les Alliés en guerre, résistance nationale et offensive militaire sont destinées à briser l’ennemi par tous les moyens. Sur le front asiatique, l’ordre de bombarder Hiroshima à l’arme atomique obéissait à ce même objectif. Après avoir froidement analysé les dommages civils immenses causés par la première frappe sur Hiroshima, comment justifier la seconde frappe sur Nagasaki ? Du reste, l’arme atomique était-elle censée épargner les civils et frapper les seuls militaires ?

Face à un ennemi imbu de sa supériorité et qui ignore les lois de la guerre, le choix des Alliés pour une stratégie d’escalade offensive signifie, de toute évidence, la volonté de ruiner son potentiel civil et pas seulement militaire, dans le but de lui infliger des dommages intolérables et de le contraindre à mettre fin au conflit. Telle est la stratégie de libération de toute résistance. L’angélisme que ni les européens sous la résistance ni les alliés en guerre n’avaient jamais endossé pour eux-mêmes, deviendrait-il une exigence quand la résistance est palestinienne ou libanaise ? La résistance, il est vrai, est amère, mais elle représente dans la culture des nations une nécessité historique et un devoir supérieur que l’amalgame et la confusion ne sauraient entacher pour toute conscience ayant foi dans l’égalité des hommes et des peuples.

Le facteur temps.

Si les peuples européens n’ont vécu le régime d’occupation que cinq années, nous comprenons ce qu’il en coûte de subir ce régime pendant plus de quarante ans. L’oppression dans la longue durée altère l’équilibre de l’oppresseur et de la victime. Les rapports exacerbés de violence, la violation banalisée des droits et de la dignité de la personne ne contribuent guère à préserver le sens de la mesure, ni les valeurs de la vie civile, ni les normes du droit. Deux peuples, sur deux générations, sont confrontés à la réalité de la domination et du rejet, à la banalisation des provocations les plus odieuses, à la volonté de destruction réciproque. Le pourrissement de la situation contribue en définitive à la déshumanisation. La responsabilité politique, dans cette dégradation, ne saurait être égale, car s’il suffit de mettre fin à l’occupation pour mettre fin à toute violence, le choix incombe non pas à la victime mais à la puissance occupante. 

La responsabilité des puissances mondiales n’est pas moindre dans la mesure où elles perpétuent l’immunité de la puissance occupante en dépit de ses violations flagrantes des normes du droit et qu’elles s’abstiennent de qualifier formellement les faits et de dénoncer les infractions significatives aux Conventions de Genève, aux résolutions des Nations Unies, aux jugements de la Cour Internationale de Justice et aux résolutions du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies : la violation répétée et assumée de la légalité internationale, l’ampleur des dommages infligés aux civils dans les territoires occupés, l’annexion et la confiscation de territoires palestiniens, l’assassinat ciblé élevé au rang d’une politique de gouvernement, les bombardements des villes et des camps de réfugiés dans les territoires occupés et dans les pays voisins, l’usage disproportionné des armes et des munitions létales… La dérobade des puissances mondiales est manifeste.

Au lendemain de l’occupation de la France, le général de Gaulle lançait dans son Appel aux Français le 18 juin 1940 : ‘‘La résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas !’’  Parce que la résistance nationale ne s’éteint pas, qu’elle tient toujours après quarante ans d’occupation, les palestiniens ne sont pas devenus un peuple soumis. La permanence de la résistance affirme, aussi longtemps que dure l’occupation, l’expression nationale du peuple palestinien et l’ultime garantie de ses droits.

La dimension coloniale de l’occupation israélienne.

Dans le contexte palestinien, l’occupation n’est pas seulement matérialisée par l’appareil militaire mais aussi par l’expansion massive de la colonisation. Les colons, venus d’ailleurs et installés par la force dans les territoires occupés, jouissent au milieu des indigènes d’un statut privilégié écrasant. Ces colons armés et retranchés au cœur des territoires occupés sont représentatifs de la nature de l’occupation israélienne. Le régime d’occupation aggravé par la dimension coloniale acquiert un caractère expansionniste qui se prolonge dans les stratégies d’expulsion et d’expatriation du peuple palestinien, parfois dans l’assassinat et l’extermination. De ce fait, la résistance nationale acquiert la charge des mouvements de libération propres aux luttes anticoloniales. Cette charge politique ne saurait être sous-estimée par les Etats européens avec qui nous avons traversé et surmonté l’épreuve de la décolonisation. 

Un facteur distinct complique le problème colonial israélien comparé au problème des Métropoles coloniales européennes, celui de la continuité géographique des territoires. Les colonies européennes étaient distantes du territoire métropolitain où la classe politique et l’opinion publique manifestent toujours un recul, une élévation et une distance par rapport aux communautés de colons immergées dans la masse des indigènes. Ce recul offre aux uns et aux autres la faculté de faire appel à l’arbitrage de l’autorité métropolitaine qui n’est pas totalement soudée, politiquement et psychologiquement, au front des colons. Les traditions et les mœurs politiques métropolitaines se distinguent par une pondération et une ouverture démocratique qui contrastent avec le fanatisme et le manichéisme caractéristiques des sociétés coloniales. En Israël, cette faculté de recul n’existe pas dans la mesure où les implantations et les concentrations coloniales prolongent le même territoire et que l’interpénétration des colons, des soldats et des agents de l’administration militaire avec la société israélienne forme une seule et même société coloniale, comparable à la société sud-africaine de l’ère de l’apartheid. La violence inhérente à cette société est ainsi aggravée par l’absence d’un recours modérateur. Pour le commun des israéliens, les conditions d’affranchissement de la mentalité coloniale ne sont pas aisées même si, pour une partie de l’élite israélienne, comme dans toute société coloniale, les contradictions mêmes de la société provoquent précisément le déclic libératoire.

Pour pouvoir qualifier la nature de la violence qui s’exerce dans les territoires occupés, il faut réaliser le caractère discriminatoire de la législation qui privilégie statutairement le colon au détriment de l’indigène. L’inégalité institutionnalisée atteint l’équilibre profond de l’individu et du groupe. Il faut également réaliser l’impact des provocations et des brimades où le zèle des forces d’occupation et l’humeur des colons font loi. Quelle capacité de défense ou de recours peuvent opposer les victimes, individuellement ou collectivement, aux cas d’abus et de violation de leurs droits ? Dans ce tête-à-tête où la présence d’observateurs internationaux est formellement refusée, le déséquilibre est écrasant entre les institutions et les capacités de l’Administration militaire et celles du peuple victime de l’occupation et de la colonisation. Aucune autorité impartiale, ni locale ni internationale, n’existe pour témoigner, ou pour juger et sanctionner les abus commis par les colons, les institutions et l’appareil militaire. C’est à cette violence réelle, dans toutes ses composantes, que répond la résistance nationale palestinienne.

La doctrine de paix.

Pour éliminer les fondements de la violence et instaurer les conditions de la paix, un consensus international existe, fondé sur le respect de la légalité internationale. Les résolutions du Conseil de Sécurité et les Avis de la Cour Internationale de Justice déterminent en dernier ressort les droits du peuple palestinien et les limites indépassables de la puissance occupante. Sur cette base, le Conseil de Sécurité déclare ‘‘que les politiques et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les territoires occupés constituent une violation flagrante de la Convention de Genève’’ et demande à la puissance occupante de ‘‘rapporter ces mesures, démanteler les colonies de peuplement existantes et, en particulier, de cesser d’établir, édifier et planifier des colonies de peuplement dans les territoires occupés en juin 1967, y compris Jérusalem’’ (Résolution 465 du 1er mars 1980).

Le 9 juillet 2004, la Cour Internationale de Justice déclare dans son Avis Consultatif : ‘‘L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international.’’ Israël est tenu, ajoute la Cour, ‘’de cesser immédiatement les travaux d’édification de ce mur, de démanteler l’ouvrage et d’abroger les actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent.’’ Elle confirme que ‘’les colonies juives en territoire occupé sont contraires au droit international.’’ Or, Israël poursuit l’édification du mur et continue à ce jour de développer les colonies et de les multiplier en usant de violence et de contrainte.

Un lien existe entre l’activité de colonisation, le blocage du règlement négocié et la montée de la résistance. Au cours des négociations de Camp David en juillet 2000, la délégation israélienne tirait argument de l’existence de colonies pour revendiquer la souveraineté sur les territoires correspondants. Au cours des négociations consécutives à la Conférence d’Annapolis, commencées le 12 décembre 2007, la même revendication est reprise à nouveau. Dès lors, et tant qu’aucune autorité ne garantit l’invalidation de la colonisation comme base d’acquisition de territoire, la résistance nationale palestinienne ne saurait se limiter à contester le principe des colonies, elle est acculée à s’attaquer à leur viabilité et à leur sécurité.

Violer délibérément le droit et refuser la paix fondée sur la légalité internationale revient à perpétuer indéfiniment l’occupation. Cette politique n’a d’autre finalité que de contraindre le peuple palestinien par l’intimidation et par la terreur à concéder telles parts de ses droits politiques et territoriaux qu’Israël choisit de spolier. C’est cette politique de terrorisme d’Etat qui constitue le fond du débat, non la violence qui en est la conséquence. Quand les décisions du Conseil de Sécurité ne sont pas mises en œuvre, que les mêmes violations sont répétées par la puissance occupante dans l’impunité totale, l’enjeu dépasse le seul peuple victime, c’est le fondement même de la paix et de la sécurité internationales qui est en cause.

Le principe de la résistance et l’ordre international.

Juger la violence palestinienne en la dissociant de l’occupation confine à la complicité. Cette attitude est inexplicable quand on la rapporte à l’héroïsme des peuples Européens sous l’occupation, aux actes de la résistance, aux chants des partisans. Les Européens libérés ont élevé des monuments à la gloire de la résistance et pérennisé l’épreuve dans la littérature et dans les arts. Les alliés mûris par la tragédie européenne se sont hâtés d’en prévenir la répétition dans l’ordre politique de l’après-guerre en édifiant un système de paix et de sécurité internationale garanti par les Nations Unies. Ils se sont empressés de hâter la révision des Conventions applicables aux conflits armés et de conclure des Conventions nouvelles (les Conventions de Genève du 12 août 1949 et les Protocoles additionnels) afin de développer et de perfectionner les normes du droit à la lumière des souffrances subies par les victimes du conflit. Or, dans le contexte des territoires arabes occupés, la puissance occupante jouit toujours d’une impunité parfaite, en dépit des violations du droit dénoncées par des résolutions formelles des Nations Unies et de la Cour Internationale de Justice.

Quand les puissances mondiales se dérobent à leur obligation de faire respecter la légalité internationale, quand les structures régionales s’abstiennent de tirer les conséquences de cette défaillance, la résistance des peuples opprimés ne saurait ni se dérober ni s’abstenir : elle reste la garantie ultime de la justice, de l’intégrité des valeurs et de la force du droit. Quand le peuple victime de l’agression est résigné, lâche et finalement complice, la loi de la jungle menace. La résistance maintient l’agresseur sous pression et reste la seule force en mesure d’assumer la sanction des abus et de sanctionner le dépassement des limites indépassables. La résistance rappelle, à la face du monde, la limite du tolérable et le sens du juste et de l’injuste. Si elle exige des sacrifices immenses, du moins, à ce prix, contribue-t-elle à préserver au-delà de la dignité de la victime, la défense des valeurs universellement défendables. C’est ainsi que la résistance se substitue aux puissances mondiales défaillantes pour assumer, à sa mesure, une telle obligation.

Au Maghreb, c’est la résistance nationale qui a mené le combat pour la reconquête de la liberté, pour la fin du colonialisme et pour le respect de nos droits et de notre intégrité. Il est vrai qu’une élite clairvoyante, au sein des Métropoles européennes, avait compris le sens de nos sacrifices et soutenu notre combat qui était devenu son combat ; son action était décisive contre la prépondérance coloniale, contre la désinformation et contre la diabolisation de la résistance. Aujourd’hui, la résistance palestinienne reste, à la base, la garantie de toutes les garanties, en espérant que les élites israéliennes éclairées lui fassent écho et que la solidarité internationale, en toute responsabilité, soutienne son combat et valide sa légitimité.

Le débat qui nous retient illustre en fait le malaise des Etats collectivement responsables d’un ordre mondial défaillant et qui, à défaut de trancher, préfèrent noyer le débat dans une spéculation indécise sur le thème du terrorisme.

La portée de la résistance transpalestinienne.

Dans le contexte présent du déséquilibre qualitatif des forces, une guerre conventionnelle entre Israël et les pays arabes n’est plus concevable. Pour Israël, l’alliance stratégique avec les Etats Unis et la faculté de bénéficier des technologies avancées de la Révolution des Affaires Militaires lui confèrent une domination militaire presque totale et expliquent sa propension à défier le droit, à oser annexer d’autorité des territoires au détriment de ses voisins et à ignorer les offres de règlement négocié sur la base du droit. Ce même déséquilibre explique l’impuissance des armées arabes à se porter au secours des peuples voisins victimes d’exactions flagrantes.

Ce déséquilibre s’aggrave. Le 16 août 2007, un nouvel accord est signé entre Israël et les Etats-Unis pour une aide supplémentaire d’un montant de $30 milliards sur les dix ans à venir, en supplément de l’aide annuelle militaire qui prévalait déjà et qui avait connu une impulsion exceptionnelle à l’issue de la visite officielle à Washington du Premier Ministre Ehud Barak le 19 juillet 1999. De ce fait, les armées arabes accusent un retard technique insurmontable à moyen terme, qui met en question l’institution militaire elle-même. Quelle armée arabe pourrait s’opposer efficacement à une offensive israélienne ? Seul subsiste le recours à l’arme non conventionnelle ou à la résistance populaire. La guerre du Liban de juillet – août 2006 a illustré la pertinence de la résistance populaire qui avait réussi à défier le surarmement israélien et à empêcher, non pas certes les destructions, mais la victoire de l’armée d’invasion israélienne. Pour l’ensemble des pays voisins d’Israël, ce précédent dicte la nécessité de repenser la doctrine militaire et, à défaut d’induire l’arme non conventionnelle, de revaloriser la stratégie de résistance. Dans ce contexte, la confusion que les Etats occidentaux s’attachent toujours à entretenir entre terrorisme et résistance nationale prend une portée plus vaste et une signification stratégique plus profonde.

Dissocier la résistance de l’occupation, amalgamer résistance et terrorisme, ignorer le terrorisme d’Etat pratiqué par la puissance occupante sont loin d’être des actes isolés. Ce sont autant de subterfuges qui participent d’une politique plus large qui vise à dénaturer le conflit, à culpabiliser d’autorité le peuple palestinien et à délégitimer sa cause. La désinformation et l’intimidation s’ajoutent aux manœuvres de paralysie du Conseil de Sécurité et de la Cour Internationale de Justice pour mieux isoler le peuple victime de l’occupation et le rendre impuissant à valider ses droits et, a fortiori, à les reconquérir.  

Le peuple palestinien, poussé à renoncer à la résistance, serait acculé à se soumettre à l’occupation indéfinie ou à la perte de ses droits politiques et territoriaux. Les mêmes Etats qui le poussent dans cette impasse reconnaissent à Israël le bénéfice de la légitime défense comme si Israël était la victime et le peuple palestinien la puissance occupante. Comment ne pas voir dans cette inversion et dans l’unité de cette politique la volonté de liquider les droits reconnus du peuple palestinien ? La force brute n’ayant pu aboutir complètement, le jeu de la confusion et de la spéculation s’efforce ainsi d’achever moralement la victime. Dans ce jeu, la responsabilité des Etats d’Occident est entière. Le refus de clarification équivaut en fait au reniement de leur propre tradition juridique, à la négation des principes qui fondent la société démocratique et l’Etat de droit dont ils se réclament et à l’éclipse d’une page héroïque de leur propre histoire. C’est ainsi que la persistance du conflit israélo palestinien pose aujourd’hui un problème de civilisation.

Pour toute nation victime de l’occupation, la libération nationale s’impose dans l’absolu et dans la conscience claire de la lutte à mort. Les héros de la libération choisissent la résistance par devoir, non par réalisme : contre l’ennemi triomphant, les chances sont minces ; toute résistance est traquée par l’absolutisme de la puissance occupante. Pour la résistance, une doctrine claire à l’appui du sacrifice sur le champ d’honneur pourrait briser cet absolutisme. Aussi l’effort de clarification conceptuelle, juridique et historique est-il plus qu’un devoir d’intelligibilité, c’est une contribution essentielle à la fin de la violence et à l’avènement de la paix et c’est aussi l’effort indispensable de définition d’une base commune de civilisation.

© Ahmed A. Ounaïes – Carthage, 11 avril 2008

CONCLUSION

LA PORTEE  ET LA LEGITIMITE  DE LA  RESISTANCE  PALESTINIENNE

LES ENSEIGNEMENTS  DE  L’HISTOIRE

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