FREE PALESTINE
18 juillet 2008

Culture de la peur

Culture de la peur

Seth Freedman

The Guardian – 22 juin 2008

www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/jun/22/israelandthepalestinians.fear/print

L'histoire a tendu au peuple juif la peur de l'annihilation sur un plateau – mais, alors que la peur existe, ce qui est redouté pourrait ne pas exister.

Ce matin, j'étais invité à parler devant un groupe de coopérants souhaitant vivement approcher les  communautés juives israéliennes et de la diaspora, avec leur dernière campagne. Ils sont, et on le comprend, plein d'appréhension quant à la meilleure marche à suivre étant donné le champ de mines qui se trouve sous les pieds de celui qui tente de critiquer des éléments de la politique d'Israël.

Nous avons discuté du moyen le plus efficace de dessiller les yeux des gens sur la réalité de l'occupation, afin de leur faire sentir la vérité de ce qui est perpétré au nom de la sécurité d'Israël. Etant donné la volte-face que j'ai opérée depuis mon installation en Israël, il y a quatre ans, on m'a demandé de décrire l'expérience qui aura eu pour moi, jusqu'ici, l'influence la plus marquante comme catalyseur dans ce parcours politique dans lequel je me suis embarqué. Sans hésiter, j'ai répondu que cela avait été ma balade illicite à Bethléhem, pendant un week-end de permission de l'armée. Notre unité était de service dans la ville à ce moment-là et, jusqu'alors, j'avais été conditionné à voir les habitants comme des terroristes en puissance, qu'il fallait traiter en conséquence afin de conjurer une menace mortelle pour nous.

Sans M16 au flanc, ni grenade dans mon sac, j'ai traversé le checkpoint et fait mes premiers pas hésitants en ce qu'on appelle terrain ennemi. Habillé d'un jeans et d'un T-shirt, j'ai parcouru ces mêmes rues du camp de réfugiés d'Aida où j'avais patrouillé, la veille, armé jusqu'aux dents et avec l'appui de cinq autres soldats. Je regardais en passant ces mêmes fenêtres et ces mêmes portes que j'avais précédemment dû scruter à la manière d'un rapace, pour le cas où un homme armé d'un fusil ou d'une bombe en aurait surgi à l'assaut de notre unité. Je regardais calmement ces mêmes bandes de jeunes dont il me fallait, lorsque j'étais en uniforme, juger en un instant s'ils étaient bien intentionnés ou s'ils en voulaient à ma vie.

La peur instillée en moi par l'armée s'était évanouie dès lors que j'étais simplement un touriste déambulant dans la ville. Inversement, plus je portais d'armes et d'attirail de protection et plus l'endroit se faisait menaçant, ce qui – je l'ai alors compris – était une distillation du cœur et de l'éternel paradoxe d'Israël, et qui le poursuit depuis le moment où l'Etat a été créé. Pour qu'il y ait une justification à l'existence d'Israël, il faut d'abord qu'une menace existentielle pèse sur le peuple juif. Je vous l'accorde, l'histoire nous a tendu sur un plateau la peur de l'annihilation, mais ce n'est pas parce que la peur existe qu'il s'ensuit nécessairement que ce qui est redouté existe aussi.

Un élément de narration frappant dans la tradition juive est que, à chaque génération, une manifestation d'Amalek tentera d'exterminer le peuple juif, tout comme l'avaient fait les Amalécites maraudeurs, durant l'exode des Juifs d'Egypte. Romains, Babyloniens, Grecs, Soviétiques et Nazis ont tous été, on le comprend bien, baptisés les Amalécites du jour, et c'est maintenant l'Iran qui est promu au titre de plus récent membre de cette dynastie multimillénaire.

La hantise de l'extermination est l'as dans le jeu juif des émotions et elle a été capitalisée par le ton virulent du nationalisme encapsulé dans le sionisme d'aujourd'hui. Occuper tout un peuple et écraser, depuis 40 ans, ses espoirs et ses rêves ? Un mal nécessaire – si nous ne le faisons pas, nous sommes foutus. Transgresser le droit international, la moralité de base et même les doctrines centrales de notre propre religion apparemment pleine de compassion ? Désolé, mais vous devez comprendre qu' « ils » veulent tous notre mort ; c'est eux ou nous, pour l'éternité.

La question de savoir qui « ils » sont est presque dépourvue de signification. Un jour, ce sont les Palestiniens parce qu'ils ont l'audace d'essayer de secouer le joug de l'oppression; un autre jour, c'est la gauche européenne parce qu'elle a le toupet d'intercéder en faveur de la justice et de la décence. « Ils » peuvent être un bandit isolé, comme Norman Finkelstein ou « ils » peuvent être un milliard de personnes, comme la population musulmane toute entière dans le monde, commodément rempaqueté en un groupe homogène fondé sur un profilement racial faux.

Des murs de béton sont construits entre « eux » et « nous »; des ordres sont donnés qui interdisent aux Israéliens de franchir la ligne de partage avec le territoire de l'Autorité Palestinienne – toujours sous la bannière de la protection de la sécurité des Israéliens. En réalité, pourtant, ce ne sont qu'une insidieuse tentative de couper hermétiquement Israël du monde extérieur et de convaincre les Israéliens qu'il s'agit d'une mesure inévitable. Ceux d'entre nous qui sont venus, ont vu et ont conquis nos préjugés sur la rue palestinienne savent parfaitement bien que les canards qui sont propagés sont simplement absurdes. Bien sûr, il y a, au sein du peuple palestinien, des militants très remontés et très violents, mais il y a tout pareillement, dans la société israélienne, des éléments dangereux, tout comme dans tout groupe ethnique de part le monde.

La réaction parmi mes amis israéliens quand ils m'entendent parler de mes ballades à Jénine, Ramallah ou Bethléem, est habituellement une réaction d'horreur que j'aie même seulement posé le pied dans ces villes, sans parler des contacts avec les habitants et des visites chez eux. « Ils te tueraient s'ils savaient que tu es juif », hurlaient-ils, parfaitement convaincu qu'un loup palestinien se tapit derrière chaque porte de camp de réfugiés. La réalité est évidemment toute différente ; à peu près tous ceux que je rencontre savent que je suis à la fois juif et israélien, et – jusqu'ici – je n'ai jamais été battu, décapité ni matraqué à mort.

Il n'y a aucune difficulté à comprendre pourquoi la mythologie et les idées fausses fleurissent, sans examen, chez l'homme de la rue israélien ou dans la communauté juive de la diaspora. Dans le vide laissé par la séparation forcée entre Juifs et Palestiniens, on a droit à une débauche d'inventions exubérantes, la fiction devenant vérité dans l'esprit des masses. On comprend aussi que le gouvernement encourage et fasse la promotion de telles fables, afin d'engranger un soutien en faveur de leur incessante politique d'irrédentisme et d'assujettissement.

Mais le seul fait que ce soit compréhensible ne le rend en aucune manière acceptable. Morale et éthique sont écrasées sous les pieds du mastodonte du nationalisme, et ce qui serait parfaitement déplaisant en n'importe quelle autre circonstance devient quelque chose de non seulement toléré par la société mais d'activement encouragé par l'électorat israélien et ses adulateurs de par le monde. En continuant de provoquer et de brutaliser les Palestiniens, ils créent ce qu'ils redoutent. Encore une génération d'Amalécites marqués au fer, encore une raison pour les Israéliens de disposer les chariots en cercle, de se préparer à faire face et de se convaincre que c'est simplement leur lot d'être éternellement haïs et invectivés. Et jamais aucun niveau de pression bien intentionnée ne peut suffire pour pénétrer la couche pétrifiée de défiance entre le peuple juif et le monde extérieur.

(Traduction de l'anglais : Michel Ghys)

Commentaires
D
C'est vraiment agréable d'entendre ce genre de propos. Cela montre que l'on peut être Juif, Israëlien et soutenir l'idée d'une Palestine libre. <br /> En espérant que cela se réalise un jour!
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