FREE PALESTINE
2 juillet 2008

Le calme, c'est de la crotte

Le calme, c'est de la crotte

Gideon Lévy

Haaretz, 22 juin 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/994963.html

Version anglaise : Quiet is muck

www.haaretz.com/hasen/spages/994858.html

Il est arrivé une grande catastrophe à Israël : la trêve est entrée en vigueur. Fini le feu, fini les roquettes Qassam, fini les assassinats ciblés, pour le moment du moins – bonnes nouvelles, porteuses d'espoir, mais reçues ici avec aigreur, d'une humeur sombre, presque de l'hostilité. Des politiciens, des chefs de l'armée et des commentateurs ont, à leur habitude, travaillé main dans la main pour nous vendre le cessez-le-feu comme un développement négatif, menaçant, désastreux. Même dans la bouche de ceux qui sont parvenus à cet accord, le Premier ministre et le Ministre de la Défense, vous n'avez pas entendu un mot d'espoir, tout juste occupés qu'ils sont à couvrir leurs arrières dans l'hypothèse d'un échec. Personne pour parler de chance. Tous ont parlé du risque, ce qui est sans fondement. Le Hamas s'armera ? Pourquoi justement dans une période de trêve ? Et sera-t-il le seul à s'armer ? Pas nous ? Et puis, peut-être s'armera-t-il, mais qu'il lui deviendra clair qu'il vaut mieux ne pas faire usage de ses armes, du fait des bénéfices que recèle la tranquillité ?

C'est difficile à croire mais une guerre qui éclate est accueillie ici avec davantage de sympathie, de compréhension, sinon d'enthousiasme, qu'un accord de cessez-le-feu. Lorsque les forces armées recherchent le combat, nos tam-tam font uniformément entendre des appels d'encouragement, exclusivement ; mais quand sonne la fin de l'alerte, quand à Sderot, on peut dormir tranquille, fût-ce pour une brève période, nous voilà tous inquiets. C'est assez dire l'aspect maladif de la société : le calme c'est de la crotte, l'essentiel c'est la guerre.

Avant même que l'accord ne soit obtenu, c'était à qui avancerait les perspectives les plus sombres : l'accord ne tiendra pas l'eau, il sera immédiatement rompu, le Hamas s'armera, Israël s'est incliné. Aucune de ces hypothèses n'est inévitable. Aucune de ces prophètes de malheur n'a été capable de proposer une meilleure alternative à la trêve, sinon toujours plus de sang versé des deux côtés, pour rien.

La trêve obtenue ne tiendra que si elle est le point de départ d'autres développements positifs. Pour cela, elle a besoin, par-dessus tout, d'un vent favorable, de bonne volonté et de déclarations constructives et non pas destructrices. Si nous persistons dans l'aigreur, la vision pessimiste finira par se réaliser. Beaucoup dépend de nous.

Le Hamas voulait une accalmie, parce qu'elle sert ses objectifs. Ce n'est pas nécessairement mauvais pour Israël. Quelques mois de calme, avec aussi la levée du terrible blocus de Gaza, sont susceptibles de créer une réalité nouvelle. Les protestations de Noam Shalit sont compréhensibles mais c'est précisément dans la nouvelle atmosphère de la trêve qu'il sera possible d'arriver enfin à la libération espérée de son fils et à la libération de centaines de Palestiniens – deux développements positifs pour les deux peuples. Oui, le jeu a somme nulle entre eux et nous est fini depuis longtemps. Dommage seulement que nous ne l'ayons pas intériorisé. Et oui, même une libération de prisonniers palestiniens – démarche toujours présentée chez nous comme un « prix » – peut être aussi un succès pour Israël et pas seulement pour les Palestiniens. Une vie nouvelle, un peu meilleure, à Gaza, assurera une nouvelle vie en Israël également. Ce n'est pas pour rien que les journées de la brèche dans la clôture à Rafah ont été les plus calmes qu'aura connues le Néguev en deux ans.

Dans le sillage de la trêve, est susceptible de s'établir un gouvernement d'union palestinien qui sera un partenaire véritable et non pas une fiction, et représentant le peuple palestinien tout entier, et pas juste sa moitié. C'est vrai que le Hamas n'abandonnera pas rapidement ses positions intransigeantes mais, sous l'égide d'un gouvernement d'union, il pourrait surprendre, au moins de manière passive. Un accord avec un tel gouvernement ne serait pas un accord de marionnettes comme celui, entre Ramallah et Jérusalem, appelé « accord plate-forme ». Si on y parvenait, ce serait un véritable accord. L'accord de trêve a déjà démontré qu'Israël n'était pas seul à être prêt à mener des négociations avec le Hamas mais que le Hamas était également prêt à ce que se tiennent des négociations avec Israël. N'est-ce pas là une bonne nouvelle ?

Si j'étais Premier ministre, du genre à penser que sans solution à deux Etats, Israël ne pourra continuer d'exister comme l'a déclaré Ehoud Olmert, je ferais tout pour appliquer le cessez-le-feu immédiatement, y compris en Cisjordanie. Ce qui n'est absolument pas clair, c'est la raison pour laquelle l'obtention d'une trêve à Gaza sans son élargissement à la Cisjordanie est tenu pour une réussite israélienne. Un succès ? Une catastrophe. Tant qu'on n'arrivera pas à une trêve en Cisjordanie, la trêve de Gaza sera fragile. A Gaza, on ne pourra pas se taire sur les violences israéliennes en Cisjordanie. Est-ce là la raison pour laquelle Israël ne veut pas d'un élargissement de la trêve ?

La conception même qui s'est enracinée chez nous et selon laquelle une trêve équivaut à une reddition mérite un nouvel examen. Notre force réside-t-elle seulement dans les assassinats ? Ne sommes-nous tournés qu'en direction d'effusions de sang ? L'opposition à une trêve en Cisjordanie nous apprend aussi, une fois de plus, qu'Israël ne comprend que le langage de la force: il ne sera d'accord pour une trêve en Cisjordanie qu'après que des roquettes Qassam auront également été tirées à partir de là. Quel message est ainsi transmis aux Palestiniens ? Vous voulez aussi une trêve en Cisjordanie ? Envoyez des roquettes Qassam sur Kfar Saba.

Il s'agit alors de quelque chose de beaucoup plus profond et étendu qu'un accord de cessez-le-feu. Il s'agit de l'image d'Israël. La réponse israélienne négative à la trêve éveille une fois de plus un lourd soupçon : peut-être, en fait, Israël ne veut-il pas la paix ?

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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