FREE PALESTINE
5 mai 2008

Israël-Hamas. L’impossible dialogue

TelQuel  N° 321 mis en ligne le Dimanche 2 mai 2008
Par Nina Hubinet
Israël-Hamas. L’impossible dialogue

http://www.telquel-online.com/321/monde1_321.shtml

La rencontre de Jimmy Carter avec le chef du Hamas, Khaled Mechaal, a relancé la question des relations impossibles entre le mouvement islamiste et l’Etat hébreu. Pour quels résultats ?

Barack Obama, le candidat démocrate, était en train de prendre son petit-déjeuner dans un local de campagne. La question l’a visiblement agacé. “Pourquoi est-ce que je ne peux pas simplement manger ma gauffre ?”, a-t-il répondu sèchement au journaliste qui l’interrogeait sur la rencontre entre Jimmy Carter et le chef politique du Hamas. Il avait déjà rappelé, quelques jours plus tôt, qu’il considérait le Hamas comme une organisation terroriste, donc peu fréquentable. Hormis Obama, les compatriotes de Jimmy Carter ont tous condamné avec virulence sa visite à Damas. Cela n’a pas empêché l’ancien président de se dire satisfait de sa rencontre avec Khaled Mechaal. “Le problème n’est pas que j’ai rencontré le Hamas en Syrie, le problème est qu’Israël et les Etats-Unis refusent de rencontrer ces gens”, a-t-il estimé. L’initiative de l’artisan des accords de paix entre l’Egypte et Israël en 1979 a le mérite de reposer le problème : Israël et les Etats-Unis doivent-ils négocier avec le Hamas ?

Une trêve de dix ans
De retour de Damas lundi, Carter a annoncé que le mouvement islamiste était “prêt à accepter un Etat palestinien dans les frontières de 1967 (avant l’occupation israélienne des Territoires) si les Palestiniens l’approuvent et qu’ils acceptent le droit d’Israël à vivre en paix comme proche voisin”, ce que Carter a compris comme une promesse explicite de reconnaissance d’Israël par le mouvement islamiste. Mais Khaled Mechaal est rapidement venu nuancer ses propos : “Nous acceptons un Etat sur la ligne du 4 juin (1967), avec Jérusalem pour capitale, une véritable souveraineté et le droit complet de retour pour les réfugiés, mais sans reconnaître Israël”. Le chef politique du Hamas a ajouté que son mouvement “respecterait la volonté nationale palestinienne, même si elle va à l’encontre de ses convictions”. Autrement dit, le Hamas ne s’opposera pas à un accord de paix conclu entre Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert, qui ont repris des pourparlers depuis la conférence d’Annapolis (novembre 2007), si cet accord est approuvé par un référendum. À défaut d’une reconnaissance formelle de l’Etat hébreu, le Hamas propose également “une trêve de 10 ans comme preuve de reconnaissance” aux Israéliens s’ils se retirent dans les frontières de 1967. En guise de commentaire à la déclaration de Mechaal, Dana Perino, la porte-parole de la Maison Blanche, a rétorqué que “les actes parlent plus fort que les mots”, faisant référence aux tirs de roquette quasi-quotidiens sur Israël depuis la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas. Washington a clos le débat en affirmant ne voir là aucune modification dans la position du mouvement islamiste.

Les frontières “sacrées” de 1967
Un avis que partagent nombre de spécialistes du Proche-Orient : la position exprimée par Khaled Mechaal n’est pas fondamentalement différente de ce que le Hamas avait coutume de dire jusque-là. “Dès février 2004, Cheikh Yassine (le fondateur du Hamas) affirmait que le Hamas n’était pas prêt à reconnaître Israël mais qu’il accepterait une trêve si Israël se retirait dans les frontières de 1967”, rappelle Barah Mikaïl, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). “Cette idée figurait dans des documents internes du Hamas depuis 1994”, confirme Aude Signoles, chercheur en sciences politiques à l’Université de la Réunion et auteur de Le Hamas au pouvoir, et après ? (Milan, 2006). D'ailleurs, Mechaal avait déjà réaffirmé cette position début avril dans une interview au quotidien palestinien Al Ayyam. Mais les derniers propos du chef du Hamas sont loin d’être anodins. “Ces déclarations sont bienvenues car elles permettent d’être clair sur les conditions que pose le Hamas pour permettre de pacifier la situation sur le terrain, estime Barah Mikaïl. Elles contredisent les Américains et les Israéliens, qui ne cessent de répéter que le Hamas est fermé à toute négociation pacifique”.

Il y a pourtant peu de chances qu’Israël, qui a réaffirmé mardi être hostile à tout dialogue avec le Hamas, prenne en compte ces déclarations. “Israël n’est pas disposé à négocier la donne territoriale avec les Palestiniens”, affirme Barah Mikaïl. L’Etat hébreu n’envisage pas en effet de restituer les territoires occupés en 1967, aujourd’hui parsemés de colonies. Du coup, selon le chercheur, “les Israéliens recentrent le débat sur les violences du Hamas sur le terrain pour justifier le refus du dialogue avec le Hamas”. Le retour au plan de 1967 étant la condition préalable de tout accord de paix pour le mouvement islamiste, il est peu probable qu’un échange constructif émerge à court terme entre les deux parties.

Les (vraies) préoccupations des Palestiniens
Pourtant, en coulisses, Israël ne serait pas totalement hermétique au dialogue. Un haut responsable du ministère de la Défense, Amos Guilad, s’est rendu au Caire début mars. Plusieurs sources ont affirmé que des négociations secrètes entre Israël et le Hamas par l’entremise de l’Egypte étaient en cours. La trêve d’une semaine, respectée le mois dernier par les deux parties, est venue confirmer cette hypothèse. Officiellement, Ehoud Olmert nie toute discussion avec les islamistes. Il sait pourtant que “64% des Israéliens sont favorables à l’ouverture de négociations avec le Hamas”, selon un sondage réalisé en février.

Ces histoires de négociations secrètes, de reconnaissance d’Israël ou de rencontre entre Jimmy Carter et Mechaal sont loin d’animer les conversations à Ramallah. “Personne n’en parle !”, témoigne Aude Signoles, en Cisjordanie depuis une dizaine de jours. Et lorsqu’on demande aux Palestiniens ce qu’ils en pensent ? “Ça les fait sourire,
poursuit Signoles. Ici, personne n’est contre la reconnaissance d’Israël, mais les gens se préoccupent davantage de savoir sur quel cadre un Etat peut être bâti”. Or sur le terrain, on s’éloigne de plus en plus d’un Etat viable. Les Palestiniens critiquent aussi de manière de plus en plus virulente Abou Mazen (Mahmoud Abbas) et son gouvernement, les accusent de corruption, déplorent leur refus catégorique de traiter avec le Hamas, fustigent la décision de renforcer les effectifs de la police alors que les enfants ont besoin de terrains de sport, d'écoles et de soins médicaux…

Et le rival du Fatah ne se gêne pas pour profiter de cette colère : un sondage réalisé il y a quelques jours montre que 85% des Palestiniens soutiennent le Hamas. Une paix stable entre Palestiniens et Israéliens ne peut se faire sans impliquer le mouvement islamiste, que l’on apprécie ou pas son idéologie. D’autant que le jeu est dangereux :
refuser tout dialogue avec le Hamas, c’est laisser le champ libre à Téhéran, qui ne demande pas mieux, que d’avoir un deuxième allié au Proche-Orient.

Jimmy Carter. L’entremetteur de la paix

Âgé de 83 ans, Jimmy Carter n’en est pas à son coup d’essai en matière d’initiative de paix. L'ancien président des Etats-Unis (1977-1981), prix Nobel de la paix en 2002, a toujours su bousculer les conventions pour pousser les protagonistes d’un conflit à s’entendre. Son plus grand succès reste les accords de Camp David, par lesquels l’Egypte et Israël signèrent la paix en 1979. Issu d’une famille de fermiers baptistes, Jimmy Carter s’est ensuite illustré comme médiateur des conflits les plus inextricables, du Burundi, en 1995, au Venezuela, en 2003. Avec quelques succès, mais aussi des échecs. Au Proche-Orient, Jimmy Carter a supervisé plusieurs élections palestiniennes. Dès la victoire électorale du Hamas en 2005, il se prononce pour un dialogue avec le mouvement islamiste. Il rencontre ses cadres une première fois en 2006, suscitant déjà la colère de l’état-major américain. En janvier dernier, Jimmy Carter a rendu à nouveau visite aux dirigeants du Hamas. Même s’il se défend d’agir en médiateur, sa tournée actuelle au Proche-Orient (après Israël et la Syrie, il doit se rendre en Jordanie et en Arabie Saoudite) ressemble fort à une nouvelle tentative pour mettre les pays de la région sur la voie de la paix. Mais même pour Carter, le défi ne semble pas réaliste.

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