A GAZA, CHAQUE MUR EST UN « MUR DE LAMENTATIONS ! »
Il est 05 heures. Il fait froid cette nuit. Chacun se cale au fond de son siège. Nous quittons Jérusalem où la circulation est fluide à cette heure. Cela nous change des embouteillages habituels. Nous distinguons au loin, sur les collines entourant la ville, des myriades de lumières orangées, omniprésence des colonies…
Une heure plus tard, le ralentissement du bus pour monter sur le parking d'Erez nous sort de notre torpeur. L'aube s'est levée et les premières lueurs du jour confèrent à l'endroit déjà morbide de par sa configuration concentrationnaire, un aspect plus lugubre encore. A une centaine de mètres, treize chars sont hissés sur des camions remorques. Cela ne présage rien de bon pour la suite. Treize dont nous aurons au moins vu les carcasses. Vision dantesque. Quelle horreur que ces machines à tuer, à saccager, à briser des vies. Je maudis les marchands d'armes, véritables criminels contre l'humanité!
J'appelle notre guide Amjad, pendant que nous traversons les centaines de mètres séparant le poste frontière d'Israël avec celui de la Palestine. Un no man's land qui fait froid dans le dos. Présence militaire israélienne de toutes parts. Barbelés, guérites de surveillance, miradors, fusils-mitrailleurs, postes blindés, jeeps et tout ce fatras nauséeux qui attestent qu'ici, des individus jouent à la guerre. Où est l'ennemi? Mais partout, voyons! Partout puisque tout Palestinien est un terroriste en puissance, dans la tête des malades qui dirigent l'Etat d'Israël. En fait d'ennemi, on ne rencontre que des populations exsangues, asphyxiées économiquement et psychologiquement. Des populations terrorisées par les exactions d'une armée bien souvent livrée à elle-même. Des femmes et des enfants qui vaquent au plus urgent, s'approvisionner en nourriture pour la famille. Des jeunes gens qui errent dans les rues. Sans possibilité de se rendre aux cours et qui, ici et là forment de petites bandes, sans perspective d'avenir. Qui égrènent le temps à longueur de journée. No future! Et des hommes épuisés. Qui sentent avoir perdu toute dignité aux yeux des leurs. Des hommes pour la plupart prostrés, hagards, habillés de vêtements râpés. Des hommes sans boulot. Plus de 65% de chômage dans la Bande de Gaza. Ce qui entraîne une paupérisation de plus de 80% de la population vivant avec moins de 2 € par jour. Voilà l'ennemi d'une armée suréquipée, dont il faudrait surtout parler comme d'une armée ravagée de haut en bas, par une paranoïa sans égale!
Le choc d'entrée dans la Bande de Gaza est toujours aussi fort. Etendues dévastées par les incursions des chars, fragile réseau de routes dans un état désastreux, nombreuses traces d'incendies et bidonvilles épars où tentent de s'organiser le reste de vie démantelée de familles qui ont tout perdu, suite aux attaques d'une armée qui ne s'embarrasse pas de broyer des vies innocentes. Tout ici, n'est que désolation. Et c'est à l'encontre de cette désolation-là que les soldats s'acharnent encore. A croire que tant qu'il restera une pierre sur l'autre, cette armée de massacres déploiera ses batteries pour en venir à bout. Un cauchemar, Gaza! A la nuance, qu'il s'agit d'une sinistre réalité où survivent des familles décimées.
D'emblée Amjad nous emmène au village d'où proviennent les tanks que nous avons vus ce matin. Quand nous nous engageons dans Beit Hanoun, la route n'est plus qu'une large bande boueuse, où les traces des chars sont bien visibles. De part et d'autre de cette voie d'accès, les impacts de balles et d'obus ne se comptent plus dans les façades des maisons. Immédiatement repérés, nous sommes entourés par un nombre impressionnant de jeunes. Le bus qui progresse lentement s'arrête devant un petit Centre culturel. Les portes en ont été dynamitées, technique prisée par les jeunes recrues qui doivent prendre plaisir à ce genre de feu d'artifice! Les châssis sont démolis. Certains gisent à terre, arrachés de leurs gonds, vitres en éclats. A l'intérieur, le matériel est saccagé, jeté au sol et piétiné, quand il n'a pas été emporté par une soldatesque toujours surexcitée par ce type d'opération punitive. Désolation, désolation… il n'y a pas d'autre mot, tant le saccage que nous découvrons témoigne d'une hargne sans retenue, de jeunes gens qui doivent sans doute se libérer de leur peur-panique dans ce type de comportement maladif. Dans chaque pièce le spectacle est le même. Pourquoi une telle fixation contre ce lieu? Que s'y cachait-il de dangereux? Nous nous interrogeons, incrédules devant de tels actes de la part d'une armée dont l'Etat vante tant la retenue et la discipline. Quelle blague! Les raisons invoquées sont que ce Centre pour enfants de 6 à 15 ans, était suspecté de former les jeunes à devenir de futurs terroristes. Voilà l'ennemi! L'envahisseur a trouvé ici aussi, une raison de passer sa rage et sa haine sur un ennemi potentiel, invisible aujourd'hui mais en devenir demain…
Ce dont l'armée se rend coupable est à la mesure de la perversion de l'Etat-major qui la dirige. Comment l'Etat israélien se sortira-t-il d'une telle dérive?
Lorsque nous ressortons, une foule de jeunes-filles nous attendent en uniforme scolaire. La vie continue, vaille que vaille. Les Palestiniens ne se laissent pas démonter par ce genre d'opération musclée. Souriantes, la plupart nous adressent l'habituel signe 'V'. Geste simple, qui en dit long pourtant, après une nuit de terreur. Un peu plus loin, l'armée a tout rasé: maisons, potagers et vergers. Sur environ 100 m. de large et 400 m. de long, ce n'est plus qu'un immense champ de boues et de terres défoncées. Au passage, le mur de la cour de récréation d'une école a été éventré par un char! Tout le monde sait que les cours de récréations sont des endroits où sont formés les futurs terroristes qui s'en prendront un jour à l'Etat d'Israël! Paranos, qu'ils sont! A l'image de ceux qui les dirigent. Et à l'image de tous ceux qui cautionnent de tels agissements.
Le bilan des 24 heures d'occupation de Beit Hanoun se solde par cinq tués, plusieurs blessés et une vingtaine d'arrestations. Plus les dégâts, incalculables. Après ce premier contact avec la Bande de Gaza, nous roulons vers Gaza-City. La pauvreté ne peut plus s'y cacher. Tout l'atteste. Il est frappant de voir combien d'ânes et de charrettes remplacent les voitures, trop chères à l'utilisation. A côté de rares étals de fruits et légumes, des échoppes de misère proposent leurs broutilles à une population qui n'a même plus de quoi payer des sandales aux enfants qui courent pieds nus, même en rue. Les gens donnent l'impression de se traîner dans une prison géante. Sans plus de lueur dans le regard. Leurs yeux sombres semblent rentrés en eux-mêmes. La braise y couve cependant, j'en suis sûr. Et ce que l'occupant pense pouvoir contenir aujourd'hui, finira par se retourner contre lui quand il s'y attendra le moins. Scénario vieux comme le monde, mais dont certains n'ont pas tiré les leçons, semble-t-il.
Nous sommes sidérés de voir à quel point la situation de la Bande de Gaza est catastrophique par rapport à la Cisjordanie. Ici, rares sont les maisons recouvertes de briques de façade ou de peinture. Les blocs de parpaings servent en même temps de murs extérieurs et intérieurs à l'habitation. Cela confère encore plus de tristesse à la ville. Tout est gris. Tout semble délabré. A Gaza, chaque mur est un « Mur de lamentations »!
Extrait de : Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes – Daniel Vanhove –-
Editions MARCO PIETTEUR – Collection OSER DIRE EAN 9782919937110 - ISBN 2-919937-11-1 – 192 pages – 17.00 €.
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lire aussi : Sur l’utilisation du terme « génocide » dans le conflit israélo-palestinien.
UN PEUPLE à L’AGONIE… DANS L’INDIFFéRENCE QUASI GéNéRALE ! Pour une rencontre avec l'auteur (interview, conférence de press, rencontre débat,...) n'hésitez pas à prendre contact : Saïdi Nordine: (0032)0476/84.19.69ou mcpalestine@netcourrier.com UN BIEN SINISTRE RAPPEL D’UNE NAQBA QUI DURE DEPUIS 60 ANNEES !
A paraître fin mars…La démocratie mensonge