FREE PALESTINE
25 février 2008

Pratique de l’expulsion à Wadi Ara

Pratique de l’expulsion à Wadi Ara : 

la colonie de « Mitzpe Iron » face au village non reconnu de Dar Elhanoun 

Yoad Winter, Ouri Zakham, Kobi Peter (Peterzil)

Haokets, 11 février 2008

www.haokets.org

Il n’est pas toujours facile de cerner les facteurs de la discrimination et de l’expulsion mis en œuvre par l’Etat d’Israël à l’encontre des citoyens arabes. Mais il arrive, de temps à autres, que scintille une menue injustice, quelque bizarre écart dans le mouvement de roues de la bureaucratie, éclairant les sombres considérations qui guident la politique gouvernementale à l’égard des Arabes, citoyens d’Israël. C’est ce qui s’est produit la semaine dernière, quand le gouvernement a décidé de reconnaître la localité de « Mitzpe Iron » dans le Wadi Ara (Haaretz, 4 février 08). Il s’agit d’un endroit situé entre les localités de Harish et Katzir, et qui a été établi en 2003 comme ‘prise de possession’ militaire. Le peuplement de cet endroit s’est poursuivi avec l’appui de l’Agence Juive, du gouvernement israélien et de l’association de colons « Or » qui établit des localités juives à l’intérieur de la Ligne Verte. Vivent actuellement à cet endroit 39 familles qui ont répondu à l’appel ému de l’association : « Venez judéiser la Galilée ».

L’étroite collaboration entre le gouvernement et l’association colonisatrice de l’extrême droite s’est heurtée à l’opposition du Contrôleur de l’Etat qui a retenu la non-conformité publique. La société de défense de la nature ainsi que le Ministère à la qualité de l’environnement ont fait eux aussi opposition, au motif d’atteinte à des zones vertes. La question est actuellement débattue devant la Cour suprême et la décision du gouvernement paraît avoir pour visée de fixer des réalités avant les débats au tribunal. De fait, le processus de création de « Mitze Iron » n’est pas sensiblement nouveau pour qui suit de près l’entreprise des colonies et des avant-postes dans les Territoires. Sauf qu’il s’agit bien de zones à l’intérieur de la Ligne Verte, dans une région habitée par des centaines de milliers de citoyens arabes qui connaissent une misère en matière de logement en constante aggravation.

Or, à proximité de la colonie de « Mitzpe Iron », se trouve le village non reconnu de Dar Elhanoun, dont les habitants sont tous citoyens israéliens. Ce village a été fondé il y a plus de quatre-vingts ans, les terres ayant été acquises par ses habitants à l’époque du Mandat britannique, et elles sont jusqu’à ce jour leur propriété légale. La loi de 1965 pour la planification et la construction a décrété les terres du village « terres agricoles », et ceci en dépit du fait que des maisons en pierre s’y trouvaient déjà depuis des dizaines d’années. C’est en vertu de la même loi qu’environ 80 autres villages arabes, sur le territoire d’Israël, sont devenus des villages « non reconnus », dans lesquels vivent, aujourd’hui, plus de 80 000 citoyens.

Cela fait plus de vingt ans que les habitants de Dar Elhanoun mènent un combat obstiné pour la reconnaissance. Il y a environ trois mois, plusieurs députés au Parlement israélien – dont Ophir Pines qui préside la Commission de l’Intérieur – se sont adressés au Ministre de l’Intérieur, Meir Chitrit [Sheetrit], en exigeant que le village soit reconnu. Des interpellations semblables à l’adresse du Ministre sont également venues d’autres horizons, notamment de l’association « Bimkom ». La réponse du Ministre Chitrit a été rendue publique par deux fois : dans la nuit du 14 novembre 2007, des centaines de policiers sont arrivés, accompagnés de bulldozers, afin de démolir l’entrée de Dar Elhanoun. Et parallèlement, le Ministre Chitrit a expliqué dans une lettre au député Ophir Pines pourquoi il ne comptait pas reconnaître le village. Le ministre s’est, comme à l’accoutumée, accroché aux raisons « urbanistiques » et a même souligné les « particulières qualités du paysage » de cette région, qui ne permettent apparemment pas d’y établir une « nouvelle » localité. Les mêmes motifs n’ont pas empêché le Ministre Chitrit d’appuyer la reconnaissance de « Mitzpe Iron » juste voisin, sur des terres allouées par l’Etat il y a seulement cinq ans. « Haaretz » a noté que certains ministres avaient même parlé ouvertement, en séance gouvernementale, de leurs craintes d’une « mainmise arabe » sur la région. Sans le savoir, ces mêmes ministres visaient un village arabe dont les terres sont la propriété privée de ses habitants et qui a le même âge que Tel Aviv. Dans la novlangue de l’ethnocratie israélienne, il n’y a aucune difficulté à décrire un village ancien dépossédé de ses terres comme une « mainmise arabe sur les terres ».

La réunion gouvernementale qui s’est tenue au sujet de « Mitzpe Iron » a rappelé à la vie le « Projet étoiles » conçu par Ariel Sharon dans les années 1990-1992, alors qu’il était Ministre de l’Habitat et de la Construction. Ce projet était destiné, entre autres, à « créer une coupure au sein de la population arabe, afin de prendre les devants sur le danger très réel d’unification entre petites localités arabes existantes, qui deviendront avec le temps de grandes et puissantes villes arabes ». Le territoire situé entre Katzir et Harish – les étoiles Nord du projet – comprend les terres de Dar Elhanoun. Ce territoire, s’il est peuplé par des Juifs comme le gouvernement paraît intéressé à le faire, permettra de séparer les villages de l’Ar’ara et le village de Kara au nord, de Baqa al-Gharbiye au sud. Le peuplement de ce territoire par des Juifs a été défini comme un des objectifs de l’établissement de « Mitzpe Iron ». La chose est destinée à empêcher, dans le Wadi Ara, une continuité de localités arabes susceptibles, à l’avenir, d’approcher des villages du Triangle du sud. Le refus continu de reconnaître Dar Elhanoun fait partie de ces efforts de séparation.

Le tableau qui ressort de tout ceci n’est que trop clair : la discrimination systématique entre Juifs et Arabes dans le Wadi Ara ne découle pas de raisons « urbanistiques » ou « environnementales », comme le prétend le Ministère de l’Intérieur. Il s’agit d’une obsession hystérique bien établie dans la conscience des décideurs, même quand elle se cache derrière les notions apparemment « objectives » du plan d’affectation des sols en Israël. Ministres, fonctionnaires et planificateurs du Ministère de l’Intérieur et de l’Administration des Terres d’Israël restent par-dessus tout préoccupés par « le danger d’une union entre localités arabes » et d’une « mainmise arabe » sur les terres. Des questions comme l’égalité, l’équité dans le partage, ou la juste allocation des ressources à l’ensemble des citoyens, les préoccupent déjà moins. Ainsi, la décision du gouvernement de reconnaître la colonie de « Mitzpe Iron » indique clairement les lignes directrices du combat pour l’égalité en Israël : non pas une discussion professionnelle entre planificateurs, mais un combat contre un racisme institutionnalisé, dans les brumes des notions vagues et opaques qui enveloppent les mécanismes de l’expulsion des citoyens arabes - cela aussi, c’est quelque chose.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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