FREE PALESTINE
20 février 2008

Mort annoncée du keffieh "made in Palestine"

Mort annoncée du keffieh "made in Palestine"

HÉBRON ENVOYÉ SPÉCIAL

Emmitouflé dans une robe de chambre, le pas lent et voûté, Yasser Hirbawi passe en revue les métiers à tisser alignés dans l'atelier qu'il dirige depuis quarante-cinq ans sur les hauteurs de Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. Des quinze machines qu'il avait importées du Japon au début des années 1960, seules quatre sont en activité.

Les saccades de la navette dessinent dans un fracas mécanique le damier noir et blanc du keffieh, le foulard traditionnel palestinien dont le vieil homme est l'ultime producteur dans les territoires occupés. Les autres machines ont été arrêtées voilà cinq ans, faute de commandes. "La concurrence des produits textiles chinois a tué mon commerce", soupire Yasser Hirbawi, âgé de 78 ans.

A la belle époque, l'usine de la famille Hirbawi produisait près de 150 000 pièces par an. Un essor nourri par l'irruption sur la scène politique des fedayins de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du premier d'entre eux, Yasser Arafat, dont l'inamovible coiffe devint la signature du mouvement national palestinien. "Tous les lanceurs de pierres de la première Intifada se devaient d'avoir le visage masqué d'un keffieh", raconte Yasser Hirbawi.

Dans les années 1990, le boom du tourisme en Terre sainte avait également permis d'alimenter le carnet de commandes de l'atelier. La crise commence au tournant des années 2000, avec la montée en puissance de l'économie chinoise, la dérégulation croissante du commerce et le déclenchement de la seconde Intifada. Plus chers que leurs concurrents, les keffiehs "made in Palestine" sont aussi pénalisés par les check-points de l'armée israélienne qui entravent les livraisons.

"C'est toute la filière textile qui s'est effondrée en l'espace d'un ou deux ans, dit Tareq Souss, le patron de la Fédération des usines d'habillement palestinienne. Notre gouvernement, qui n'a aucun contrôle sur les frontières, a été incapable de faire face au déferlement des produits chinois."

Deux usines de keffieh, à Hébron et Naplouse, cessent leur activité. Celle de la famille Hirbawi ne fonctionne plus qu'au ralenti, avec 15 000 pièces par an et une poignée d'employés. "Même les écharpes à l'effigie d'Arafat et avec l'inscription "Jérusalem est à nous", que le Fatah a distribuées à l'occasion de son anniversaire au début de l'année, venaient de Chine", maugrée Izzat Hirbawi, le fils de Yasser.

ACCESSOIRE TENDANCE

Le revers de fortune est d'autant plus douloureux que le foulard palestinien est devenu un accessoire de mode tendance, recyclé dans un récent défilé de la maison Balenciaga et exhibé par des célébrités comme l'acteur Colin Farrell ou le footballeur David Beckham.

Les 7 milliards de dollars promis par la communauté internationale lors de la conférence de Paris à l'automne 2007 pourront-ils sauver l'industrie textile palestinienne ? Tareq Souss en doute. "Les trois quarts de cet argent sont destinés à renflouer le budget de l'Autorité palestinienne, dit-il. L'objectif des donateurs est de maintenir à flot le régime de Mahmoud Abbas et non pas de relancer notre économie."

Yasser Hirbawi, lui, veut garder la foi. Il martèle qu'avec une simple hausse des taxes sur les importations, son affaire peut redémarrer. Mais le visage résigné de son fils censé lui succéder incite à penser que la dernière usine palestinienne de keffieh ne survivra pas à son fondateur.

Benjamin Barthe

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