FREE PALESTINE
5 février 2008

Israël invité d’honneur de la Foire du Livre de Turin

COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Israël invité d’honneur de la Foire du Livre de Turin (8 au 12 mars 2008) et du Salon du Livre de Paris (14 au 18 mars)

4 février 2008

par Tariq Ramadan

A propos de l’appel au Boycott

Il est toujours difficile de développer une position critique sur une question relative à Israël sans voir son propos mal interprété, déformé et souvent trahi. La polémique fait rage aujourd’hui en Italie autour de la Foire du Livre de Turin (on entend tout et n’importe quoi) et voilà que Pierre Assouline rend compte des faits sur son blog ( monde.fr) de façon tendancieuse en déformant sciemment, purement et simplement les termes du débat.

Rappelons les faits. La Foire du livre de Turin avait d’abord désigné l’Egypte comme invité d’honneur puis a changé d’opinion et a choisi de célébrer Israël puisque cela correspondait aux soixante ans de la création de cet Etat. Un mouvement s’est mis en place, lancé par des partis politiques, des personnalités et des associations qui militent pour les droits des Palestiniens demandant à ce que l’on changeât d’invité d’honneur car il était à leurs yeux indécents de célébrer un Etat – en en faisant un « invité d’honneur » - alors que son gouvernement ne respecte pas la minimum des droits humains et humilie quotidiennement le peuple palestinien. Devant le refus des responsables de la Foire du Livre de Turin, le mouvement a appelé les écrivains et le public à le boycotter. Questionné par l’agence de presse italienne ANSA sur cet « appel au boycott », j’ai clairement soutenu qu’il n’était pas normal, ni humainement décent, de célébrer Israël au moment où l’on sait la politique que mène cet Etat et son gouvernement dans les territoires occupés et dévastés.

Il est donc clairement question de critiquer le choix de cet « Invité d’honneur » et non d’empêcher les auteurs israéliens de s’exprimer ni même de débattre avec eux ! La propagande mensongère s’est alors mise en marche : il s’agirait d’une démarche antisémite ! Un refus de la liberté d’expression ! Ou encore, comme l’écrit Pierre Assouline, « un boycottage des écrivains israéliens » avec, en sus, une citation de moi totalement inventée. J’aurais « répondu à La Repubblica :”Il est clair qu’on ne peut rien approuver de ce qui vient d’Israël” » D’abord, je n’ai jamais parlé à quiconque de La Repubblica et je n’ai jamais tenu de tels propos !!! J’ai dit et répété que toutes les femmes et tous les hommes de conscience – et cela ne concerne pas seulement les Palestiniens ou les Arabes - devaient, à mon sens, boycotter la Foire (comme le Salon de Paris d’ailleurs) dont l’invité d’honneur était un pays qui ne respectait pas le droit et la dignité des peuples. J’ai précisé que notre refus du silence complice sur la scène internationale était le seul vrai moyen de faire cesser la violence au Moyen-Orient !

N’est-il pas curieux de voir les défenseurs aveugles de la politique israélienne déformer les propos, mentir et affirmer qu’une telle position est similaire à de l’antisémitisme ou au déni du droit de parole des auteurs israéliens !? Qui donc a parlé de cela !? Refuser de « célébrer » Israël et sa politique d’oppression n’a rien à voir avec l’antisémitisme ou le déni de la liberté d’expression. Ne devrait-on pas entendre la voix du poète israélien Aaron Shabtaï affirmant qu’il boycotterait à titre personnel « tant la Foire du livre de Turin que le Salon du livre de Paris en ne se joignant pas à la délégation de son pays ». Il précise : ”Je ne pense pas qu’un État qui maintient une occupation, en commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d’être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anti-culturel ; c’est un acte barbare cyniquement camouflé en culture. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l’occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer.”

On dira bien sûr que Aaron Shabtaï est colonisé par la haine de soi et que cela lui fait prendre le parti des « antisémites » de la terre… On connaît ce refrain. Ou alors, s’agit-il là du simple bon sens…le silence de la communauté internationale vis-à-vis du traitement des Palestiniens est déjà suffisamment honteux pour que l’on n’ajoute pas l’offense à l’indigne. Une conscience humaine avec un minimum de valeurs, de principes et de dignité ne peut s’associer à cette mise à l’honneur d’un Etat dont les pratiques politiques et militaires sont une insulte à nos consciences et à notre honneur.

Tariq Ramadan

lire aussi : http://mcpalestine.canalblog.com/archives/2008/01/26/7703351.html

Présence d' Israël au salon du Livre de Paris : le poète Aaron Shabtai dit NON.
"le Grand Soir" du mardi 5 février 2008

***

« Chère Edna,

Je vous remercie pour votre lettre.

Je ne pense pas qu'un Etat qui maintient une occupation, en commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d'être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anti-culturel ; c'est un acte barbare travesti de culture de façon cynique. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l'occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer.

Salutations cordiales
Aaron Shabtai »
7 décembre 2007

***

Madame Edna Degon, « chargée de mission Salon du Livre 2008 », responsable de l'organisation de la présence d'Israël au salon du livre de Paris avait invité Aaron Shabtai à y participer, avec la lettre suivante, du 7 décembre aussi :

« Cher Aaron Shabtai,

le 13 mars 2008 sera inauguré le Salon du livre de Paris dans lequel Israël sera présent en qualité de « Pays hôte ». Quarante écrivains et poètes israéliens sont invités à prendre part à la semaine culturelle française. Vos ouvres ayant été traduites en français, il va de soi que vous êtes parmi les invités. Aimeriez-vous participer ? L'invitation officielle sera émise par l'ambassade de France en Israël, quand tous les autres écrivains auront donné leur disponibilité.

J'espère de tout cour que vous voudrez bien accepter l'invitation, Paris vous attend.

Merci et bonnes fêtes,
Edna »

Interview de Aaron Shabtai, par Michelangelo Cocco.

"Je considère qu'il ne s'agit que d'une occasion de propagande, dans laquelle Israël va s'exposer comme un Etat qui a une culture, des poètes, et en cachant qu'en ce moment même il est en train d'accomplir de terribles crimes contre l'humanité. Le président Shimon Pérès lui-même, responsable du massacre à Kfar Kana (Liban) il y a dix ans, y participera. Pour moi il aurait été impossible d'aller lire mes textes à Paris".

Aaron Shabtai : « C'est de la propagande : c'est pour ça que je ne serai pas au Salon du livre de Paris »

On lui a attribué en 1993 le Prix du premier ministre israélien, pour ses traductions des Tragiques, du grec ancien à l'hébreu moderne. C'était l'époque du processus d'Oslo et Aaron Shabtai croyait que le gouvernement avait l'intention de faire la paix avec les Palestiniens. Il accepta une reconnaissance convoitée. Il y a quelques semaines, par contre, le poète, qui est parmi les plus fameux de l'Etat juif, a décliné l'invitation qui lui a été faite de participer au Salon du livre de Paris (voir http://www.millebabords.org/spip.php ?article7681 , NdT). Né en 1939 à Tel Aviv, auteur d'une vingtaine de recueils de poésies, et connu à l'étranger surtout pour son « J'accuse » -dans lequel il s'élève contre le gouvernement et la société de son pays – est un des intellectuels les plus radicaux de la patrouille des « dissidents ». Selon Shabtai, qui a répondu par téléphone aux questions du manifesto, l'Etat juif serait dans une dérive de droite que seule pourrait endiguer une intervention de l'Europe, le Continent des Lumières, qui devrait aider « l'apartheid israélien » à opérer un virage comme celui accompli en Afrique du Sud par l'ancien président De Klerk.

Aaron Shabtai, pourquoi avez-vous refusé l'invitation de Paris à participer au Salon du livre ? Parce que je considère qu'il ne s'agit que d'une occasion de propagande, dans laquelle Israël va s'exposer comme un Etat qui a une culture, des poètes, et en cachant qu'en ce moment même il est en train d'accomplir de terribles crimes contre l'humanité. Le président Shimon Pérès lui-même, responsable du massacre à Kfar Kana (Liban) il y a dix ans, y participera. Pour moi il aurait été impossible d'aller lire mes textes à Paris.

Quelle est l'image de l'autre – du Palestinien- qui est renvoyée par la littérature israélienne ?

Dans le sionisme – un des produits du nationalisme du 19ème – il y avait de éléments positifs : l'idée que les juifs, survivants des persécutions en Europe, viennent ici en Israël en achetant leur liberté et leur indépendance. Mais à présent nous nous sommes transformés en un Etat colonial, avec des journaux qui font de la propagande raciste contre les arabes et les musulmans. Nous sommes un peuple empoisonné par cette propagande. La majorité de la littérature « mainstream » (dominante, NdT) est totalement égocentrique : elle ne s'intéresse pas à l'autre, elle met en scène la vie de la bourgeoisie et s'occupe de problèmes psychologiques. Notre littérature n'a pas à cœur les problèmes moraux cruciaux de ce moment historique. Elle se représente surtout comme de l'entretien bourgeois. Dans ce contexte, la majeure partie des écrivains se déclare en des termes généraux « pour la paix », mais quand il y a une décision à prendre pour faire quelque chose d' « agressif », ils se rangent aux côtés du gouvernement : comme pendant la guerre au Liban, quand Yeoshua, Grossman et Oz ont écrit dans les journaux qu'il s'agissait d'un conflit juste. A l'étranger ils donnent une image d'un Israël libéral, mais ils font partie intégrale du système.

Mais le gouvernement israélien est officiellement engagé dans des colloques de paix avec l'Autorité nationale palestrinienne, et admet l'urgence de donner aux Palestiniens un Etat, même si ce n'est que dans une partie de la Palestine historique.

Le problème n'est pas l'Etat, mais la terre. Ici les journaux en parlent ouvertement, chaque jour, et beaucoup plus qu'en Italie et en Europe : les colonies, la confiscation du territoire, le contrôle de l'eau par les autorités israéliennes, tout cela augmente de jour en jour. Voilà les faits, très différents de la propagande employée par le gouvernement : les Palestiniens n'ont plus de territoire.

Qu'a signifié pour vous le 60ème anniversaire de la fondation de l'Etat juif ?

Soixante ans après nous nous trouvons devant un carrefour : ou on continue à être un état colonial et à poursuivre la guerre, en mettant sérieusement en danger l'avenir d'Israël parce que – ne l'oublions pas - nous vivons au Moyen-Orient et pas en Californie. Ou on fait comme De Klerk (l'ex-président de l'Afrique du Sud) : on change de cap et on essaye de donner aux Palestiniens leurs pleins droits sur leur terre, en cherchant à créer un nouveau système de paix. Sinon, nous ne survivrons pas ni d'un point de vue moral, ni comme Etat, parce que la guerre se répandra dans tout le Moyen-Orient.

Certains groupes de la gauche italienne sot prêts à boycotter la Foire du Livre de Turin, alors que la gauche institutionnelle s'y oppose car, prétend-elle, le boycott va à l'encontre des principes mêmes de la culture, provoque des réactions négatives ( !!, NdT) et que les intellectuels ne sont pas responsables des actes de leurs gouvernements.

Ce qu'ils affirment est absurde : pendant l'époque hitlérienne, ou pendant l'apartheid, des intellectuels comme Brecht et de nombreux autres s'unissaient pour combattre le fascisme et le ségrégationnisme. Les intellectuels – qui doivent être libres devraient participer au boycott. Une aide de l'Europe, pour boycotter Israël non pas en tant que tel mais en tant qu'establishment politique militaire qui soutient l'occupation, est la seule possibilité qui reste de sauver les Palestiniens, et nous, les juifs d'Israël.

Depuis dix ans, depuis le déclin du mouvement pacifiste (en Israël, NdT), vous restez bloqués à un millier de « dissidents » qui manifestent contre la guerre. Pourquoi n'arrivez-vous pas à atteindre une audience plus ample ?

Parce qu'en Israël, toutes les télés et tous les journaux éduquent les gens au nationalisme, comme un lavage de cerveau quotidien. En ce moment je suis assis ici, dans mon appartement, et je peux entendre distinctement mon voisin qui est en train de dire : « Les arabes ne sont pas un peuple, ce sont des barbares, nous aurions dû tous les frapper avec une bombe atomique ». Celui qui le dit l'a appris par les mass medias, qui créent de la panique et de la rage tandis que les politiques collaborent avec l'establishment militaire. Nous vivons dans une situation orwellienne : chaque jour la télé ressasse combien il est difficile de vivre à Sderot, où quasiment personne n'est tué. A deux pas de la petite vile israélienne, il y a l'enfer de Gaza, qui est devenu un ghetto.

Mais que pouvons-nous souhaiter dans un avenir proche ?

Moi j'espère en l'aide des Européens, que les descendants de Voltaire et de Rousseau aident Israël, parce qu'Israël n'arrêtera pas l'occupation tant que l'Europe ne lui dira pas « ça suffit », parce que Israël dépend de l'Europe et des Etats-Unis. Seule un pression de la part des pays civilisés et démocratiques peut changer la situation et nous ramener le bonheur. La situation actuelle – où c'est l'armée qui dicte sa loi- ne peut pas changer de l'intérieur. Du fait des valeurs dont elle est porteuse, l'Europe ne peut pas continuer à collaborer avec Israël. Moi j'espère que dans une ou deux années l'Europe puisse changer de cap.

Edition de mardi 5 février de il manifesto

Quotidiano-archivio/05-Febbraio-2008/art24.html

Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio

Mercredi 06 Février 2008

http://www.alterinfo.net

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