FREE PALESTINE
29 janvier 2008

interview laila shaid

„Il y a une force qui empêche la guerre civile“

Die Generaldelegierte Palästinas in Europa erläutert im TageblattInterview die Situation im Nahen Osten und die Stationen ihres persönlichen Engagements im Kampf für Gerechtigkeit.
Sascha Bremer

Tageblatt: Leila Shahid, vous représentez la Palestine auprès de l’Union européenne et vous êtes une Palestinienne de l’extérieur. Est-ce que vous êtes un ambassadeur comme les autres?
Leila Shahid: „Comme les autres ambassadeurs sûrement pas, puisque je suis l’ambassadeur d’une nation qui existe, mais d’un Etat qui n’existe pas. Déjà, en commençant par le titre, je ne m’appelle pas ambassadeur de Palestine, mais déléguée générale de Palestine. Pourquoi ce titre? Eh bien, il y a bien fallu trouver un titre qui corresponde à un ambassadeur d’une nation. Rien que ce titre nous a couté quand même pratiquement 45 années de lutte et d’engagement.”
„T”: Comment est né votre engagement pour la cause palestinienne?
L.S.: „Voyez-vous, c’est très difficile lorsque vous appartenez à un peuple qui a été dépossédé de sa terre, absolument expulsé de chez lui, sans droit de retour. Aussi loin que je me remonte dans mon enfance, je revois ma mère qui a une douleur profonde: celle d’avoir perdu sa maison natale à Jérusalem-Ouest. Et moi, découvrant le monde à trois, quatre ans, je ne comprenais pas cette tristesse profonde. Comme chaque enfant palestinien de ma génération, j’étais donc très vite confrontée à la douleur, puis petit à petit la prise de conscience de la raison de cette douleur, du sentiment d’injustice.“
„T”: A quel moment est né votre conscience politique?
L.S.: „Le moment clé à été le choc de la guerre de 1967. Le 5 juin 1967 c’était le jour des épreuves du bac (Leila Shahid rit) et toutes les radios du Liban annonçaient l’attaque israélienne sur les aéroports égyptiens. Le couvre-feu a été instauré à Beyrouth et les épreuves annulées. Et moi, comme tous les étudiants imbéciles et naïfs de cette époque, j’ai sauté de joie en pensant qu’il n’ y aurait plus d’épreuves et quelques jours en plus afin de réviser. Nous étions d’ailleurs à mille lieues de penser qu’on allait perdre cette guerre.
Après six jours le constat de la défaite des armées égyptienne et syrienne était amère. Nous avions à nouveau perdu des territoires. J’étais comme tous les Palestiniens effondrée par les dimensions du désastre. A ce moment-là est né en moi le devoir de devenir une militante politique. J’avais besoin d’analyser avec d’autres les causes militaires et politiques de cette défaite.“
„T”: Et pourtant vous avez plutôt choisi la voie du verbe et non pas celle des armes?
L.S.: „Oui, je ne me sentais pas particulièrement attirée par le travail militaire. J’ai commencé à aller militer dans les camps de réfugiés, c’était un peu comme si je retrouvais la Palestine. Parce qu’il faut s’imaginer que dans les 15 camps du Liban, vivaient à l’époque environ 300.000 personnes. Ces années de 1968 à 1974, étaient peut-être les plus belles années de ma vie, parce que par mon travail politique avec ces femmes et ces jeunes j’étais totalement en osmose avec mon identité.“
„T”: Venons-en à l’époque contemporaine. Comment voyez-vous l’après Annapolis?
L.S.: „Est-ce qu’on peut vraiment parler d’après Annapolis, est-ce que c’est vraiment une date charnière? Je ne pense pas. C’est plutôt une date médiatique qu’une date historique. Il aurait fallu qu’il y ait une volonté réelle d’en faire un événement historique.“
„T”: Vous pensez donc que dès le départ personne n’avait la volonté pour négocier sérieusement?
L.S.: „Ecoutez, le président George Bush avait et a envie de quitter son mandat, avec une image qui dit qu’il a au moins essayé de faire la paix entre Israéliens et Palestiniens. Malheureusement il a attendu sa dernière année au pouvoir, pour le faire. Or, le premier ministre israélien Ehud Olmert, de son côté, est sur un siège éjectable. Il est sous pression de tous les côtés et il n’a pas de mandat pour négocier. Du côté palestinien il y a une volonté de négocier. Mais peut-on vraiment négocier au nom de tous les Palestiniens, étant donné que tous les habitants de Gaza sont sous la responsabilité du Hamas?“
„T”: Comment cette conférence s’est-elle déroulée?
L.S.: „Déjà la préparation d’Annapolis s’est faite d’une manière, je dirai peu sérieuse. Il n’y avait pas de base claire aux négociations. Nous sommes allés à Annapolis sans document, sans dire pourquoi on y va. A Annapolis même, aucune des séances n’a permis d’aboutir sur un programme.
Et puis Annapolis était, selon les américains, une date de lancement pour les négociations. Deux mois plus tard, on voit bien, avec ce qui se passe dans la Bande de Gaza, que les négociations ne fonctionnent pas.“
„T”: Justement, la prise du pouvoir de Gaza par le Hamas en juin dernier, a-t-elle atteint l’unité du peuple palestinien?
L.S.: „Je dirais que la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, par la force militaire, est un séisme. Surtout sur ce que cela a produit sur le plan des esprits. Les Palestiniens représentent une population physiquement éclatée depuis 1948. Nous avons eu de nombreux moments difficiles – l’expulsion de l’OLP de la Jordanie, l’expulsion du Liban et la guerre civile dans ce pays, à laquelle nous avons contribué malgré nous – mais pendant toute cette période et malgré toutes les difficultés nous ne nous sommes jamais entre-tués.
L’affrontement de juin dernier à Gaza, c’est la première fois dans notre histoire que des frères s’entre-tuent.
Les fautes de ce conflit sont évidemment avant toute chose de la responsabilité du Hamas et du Fatah eux-mêmes. Les deux sont responsables, même si c’est le Hamas qui déclenche l’attaque.
Mais il y a aussi une responsabilité internationale. La communauté internationale a demandé d’organiser des élections, après le décès du président Arafat en 2004. L’UE et d’autres organismes surveillent et financent ces élections et reconnaissent officiellement les candidats et les partis, dont ceux du Hamas. Et lorsque les résultats sortent, étant donné que c’est le Hamas qui a la majorité, la communauté internationale ne les reconnait pas. Donc ceux qui ont perdu, en l’occurence le Fatah, ont l’impression qu’il peuvent faire comme s’ils n’ont pas perdu. Ceci est très grave, parce que cela pousse le Hamas vers la faute ultime.
Le plus grave pour moi dans cette affaire, c’est comment cela affecte le ciment social palestinien du mouvement de libération national. Le talon d’achille de tout mouvement national, c’est sa fragmentation, l’effritement de l’intérieur. La seule chose qui a permis aux Palestiniens de survivre ces 60 dernières années, c’est leur unité. Ce danger qui vient de l’intérieur, arrange évidemment Israël qui fait tout pour l’alimenter et l’encourager.“
„T”: Vous exprimiez depuis l’été dernier vos craintes devant le risque de guerre civile. Qu’en est-il maintenant?
L.S.: „Avec un peu de soulagement je constate qu’il y a une force qui empêche la guerre civile d’aller plus loin. Cela fait sept mois depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza. On aurait pu penser, vu les horreurs qui se sont produites au début, que tout cela ferait effet de boule de neige. Il y a eu malheureusement des vendettas contre le Hamas en Cisjordanie, mais les affrontements n’ont pas pris les dimensions qu’on aurait pu craindre.
La société peut contenir la guerre civile, mais elle n’a pas les moyens de remettre les choses sur les rails, comme il le faudrait.“
„T”: Voyez-vous des signes d’une amélioration de la situation? Avec Israël, mais aussi sur le plan intérieur entre le Fatah et le Hamas?
L.S.: „Ce qui s’est déroulé entre les Palestiniens et les Israéliens depuis Annapolis, n’est qu’un dialogue de sourds. Puisque les Israéliens avant chaque rencontre, ou bien déclarent de nouvelles unités de logement dans les colonies, ou bien bombardent et tuent des dizaines de Palestiniens, comment voulez-vous dialoguer? Sur le plan intérieur, le Fatah et le Hamas sentent que la population est devenue très critique à l’égard de leur attitude. Et il y a une énorme pression de la part de la société civile, afin que les contacts se rétablissent.
Le Hamas a fait une énorme erreur, quand il a renversé le gouvernement de coalition. Surtout, depuis qu’il a pris le pouvoir à Gaza, l’attitude du Hamas envers la population a été terrible et leur a couté beaucoup de popularité.
De son côté, le Fatah n’a pas montré qu’il a appris les leçons de sa défaite électorale, il n’a pas fait son autocritique. Sa politique, ses objectifs et son appareil politique n’ont pas été renouvelés. La population veut que la première tâche de sa direction soit celle de refaire cette union nationale, sur des bases claires. Il faut trouver un dénominateur commun entre les deux partis. Je pense que des deux côtés, il y a des discours qui vont dans cette direction, mais il y aussi des dissensions au sein du Hamas“.
„T”: Quelle est la condition féminine à Gaza, surtout après la prise de contrôle par le Hamas?
L.S.: „Très grave. Il est évident que l’idéologie politique et sociale du Hamas pose un énorme problème à la société palestinienne. Mais le statut des femmes a en fait déjà régressé avant la prise de pouvoir du Hamas, au moment de l’échec du processus de paix d’Oslo. Les accords d’Oslo en 1993 avaient permis une sorte d’explosion de soulagement au sein de la population. Puisque le Fatah, donc les laïques, était le moteur de cette démarche, il s’ensuivait une libération immédiate des moeurs dans la société. Le sape du processus par l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, constitue un énorme retour en arrière. Au nom de la sacro-sainte sécurité d’Israël, Israël fragmente le territoire palestinien et boucle chaque ville, chaque village et chaque camp de réfugiés. Cela dure depuis sept ans. Israël a réduit depuis le mouvement de libération nationale au niveau du village et du clan.
A la minute où vous réduisez le sentiment d’appartenance à la cellule clanique, vous refaites sortir toutes les moeurs archaïques. Cela veut dire: la vendetta, le crime d’honneur, le statut de la femme enfermée, l’inceste, la prostitution. Lorsqu’une société régresse sur le plan culturel, social et politique, les premiers à être touchés sont les éléments les plus fragiles d’une société – les enfants et les femmes. Le traumatisme que vivent aujourd’hui les enfants, en particulier au Gaza, est très profond. Les régressions au niveau du comportement psychologique de certains enfants est terrible. Il nous faudra des années afin de les soigner. La même chose vaut pour les femmes.”

http://www.tageblatt.lu/edition/article.asp?ArticleId=12000

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