FREE PALESTINE
18 janvier 2008

« Il y a un Américain grièvement blessé par balle au visage »

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« Il y a un Américain grièvement blessé par balle au visage »

Youval Yoaz

Haaretz, 10 janvier 2008

www.haaretz.co.il/hasite/spages/943486.html

Cinq ans après que le pacifiste américain Brian Avery ait été blessé par balle à Jénine, il apparaît que les soldats, qui étaient dans le blindé transporteur de troupe, se souviennent parfaitement comment ils ont ouvert le feu sur lui et l’ont blessé, en contradiction totale avec ce que l’Etat avait, en leur nom, fait entendre à la Cour suprême. Aujourd’hui, les services du Procureur se voient invités à expliquer comment il se fait qu’ils ont menti au tribunal.

En avril 2003, Brian Avery, un Américain de 24 ans, militant au sein du Mouvement de Solidarité Internationale (ISM), séjournait à Jénine, dans le but d’apporter un soutien humanitaire à ses habitants. C’était l’époque de l’Intifada et l’armée israélienne faisait étalage d’une présence lourde et blindée, dans la ville. Avery travaillait, entre autre, comme auxiliaire des équipes médicales qui prodiguaient leurs soins aux habitants. Le samedi 5 avril, Avery et son camarade Jan Tobias Carlson, qui partageait avec lui un appartement en location, ont entendu des coups de feu à proximité. Quand le bruit des tirs a cessé, ils sont entrés en contact téléphonique avec d’autres militants puis sont sortis dans la rue afin de voir s’il y avait des blessés.

Selon les témoignages des militants d’ISM, Avery se tenait sous un lampadaire de la rue, revêtu d’une chasuble rouge réfléchissante portant, à l’avant et à l’arrière, l’inscription « médecin » en anglais et en arabe. Un transporteur de troupe et un char de l’armée israélienne sont arrivés dans la rue. Avery et Carlson ont levé les mains pour montrer qu’ils n’étaient pas armés. En dehors d’eux se trouvaient encore, dans la rue, quatre camarades de l’organisation, des bénévoles européens. Tous les témoins visuels ont rapporté que les véhicules de l’armée israélienne avaient avancé vers Avery et que lorsqu’ils sont arrivés à une distance de quelques dizaines de mètres, le blindé de transport de troupe avait ouvert un tir nourri dans sa direction – une trentaine de balles. Avery a été grièvement blessé au visage : joue arrachée, maxillaires broyés, de même que l’orbite oculaire. Au cours de ces dernières années, Avery a subi 11 interventions chirurgicales mais il souffre encore de dommages graves et irréversibles au visage.

Un an et demi après l’incident, Avery a introduit une requête auprès de la Cour suprême israélienne, demandant que le procureur militaire principal ordonne l’ouverture d’une enquête par la division d’investigation criminelle sur cette affaire. L’armée a refusé, faisant savoir que l’on pouvait se contenter du débriefing opérationnel qui montrait qu’il n’y avait pas de preuves que le tir ait été le fait des soldats de l’armée israélienne. Deux années ont encore passé avant que le procureur militaire principal, le brigadier général Avihai Mandelblit, n’ordonne à la division d’investigation criminelle d’ouvrir une enquête dans le but d’examiner si les soldats qui étaient sur place avaient une responsabilité criminelle dans la blessure d’Avery. « Bien que le procureur militaire principal estime encore que sa décision initiale était logique », a alors écrit à la Cour suprême l’avocat Youval Reutman du bureau du procureur, « et afin de dissiper le moindre doute sur la minutie de l’enquête et aussi dans le but de dénoncer toute allégation prétendant que l’examen de l’affaire n’aurait pas été mené à bonne fin, le procureur militaire principal a décidé, au-delà de ce qui est requis par la loi, d’ordonner à la division d’investigation criminelle d’ouvrir une enquête ».

Chargé de représenter Avery, l’avocat Michael Sfard a alors plaidé à la Cour suprême que « le débriefing opérationnel de l’armée israélienne ne constituait pas un outil fiable et qu’il ne pouvait pas remplacer l’investigation criminelle. Le débriefing a acquis une mauvaise réputation au fil de l’actuelle Intifada quand, dans toute une série de cas, il blanchissait les soldats de l’armée israélienne alors que l’enquête de la division d’investigation criminelle produisait des preuves accablantes et des actes d’accusation des plus graves ».

Ces propos se sont malheureusement révélés justes, ces dernières semaines. Et cela, dans le cadre du débat en cours depuis deux ans au tribunal du district de Jérusalem autour de la plainte en dommage introduite au civil par Avery, par l’intermédiaire de l’avocat Shlomo Laker, contre l’Etat d’Israël. C’est là qu’il est apparu que les témoignages sous serment des soldats impliqués dans l’incident étaient en contradiction totale avec les déclarations faites en leur nom par l’Etat dans le cadre des débats devant la Cour suprême.

C’est ainsi, par exemple, que dans le communiqué du procureur militaire principal à la Cour suprême, il était dit que « le tir avait été effectué en direction d’une rue proche du mur d’un bâtiment ». Pourtant, dans les déclarations sous serment du mitrailleur, qui était dans le blindé de transport de troupe, et du commandant de compagnie qui commandait les forces à Jénine ce jour-là, il est dit explicitement que « le tir a été effectué en direction de trois personnes suspectes ». Dans le communiqué adressé à la Cour suprême par le procureur militaire principal, il est dit que « les personnes ont fui en quittant les lieux » et que « les soldats à l’intérieur du transporteur de troupe n’ont pas identifié de coup au but, ni fait rapport sur des blessés dus au tir » ; dans les déclarations sous serment transmises au tribunal de district, les soldats reconnaissent que, suite au tir, « une personne » était tombée et que les deux autres étaient penchées vers elle. Une heure après l’incident, environ, selon ce qu’il apparaît maintenant, les soldats sur place faisaient déjà rapport à leurs commandants : « Il y a un Américain grièvement blessé au visage par une balle tirée d’un char, Brian Avery. Il se trouve à l’hôpital de Jénine et on veut l’évacuer en Israël ».

L’office du procureur était allé jusqu’à affirmer, dans son communiqué à la Cour suprême, qu’ « un débriefing opérationnel détaillé, approfondi, avait été organisé par le commandant de la compagnie Menashe, un officier du grade de colonel, à proximité des combats », et que ce débriefing « s’était appuyé sur l’analyse faite par les combattants ». Pourtant, deux des soldats qui ont maintenant fait parvenir au tribunal leurs témoignages sous serment, ont dit n’avoir participé à aucune investigation et que c’était la première fois qu’on les interrogeait sur cet incident remontant à un an et demi. Dans le journal des opérations de l’armée israélienne, aujourd’hui exposé dans le cadre de la plainte en dommages, une date est marquée – à peu près un mois après l’incident – où un débriefing se serait tenu dans le bureau du commandant de secteur et auquel, pourtant, jamais les soldats n’ont été convoqués.

« Les contradictions révélées dans la procédure au civil provoquent l’étonnement et amènent des questions qui méritent d’être examinées de près par le procureur de l’Etat », ont écrit, la semaine passée, les avocats Shlomo Laker et Michael Sfard à l’avocat Youval Reutman du département de la Cour suprême au Ministère israélien de la Justice, « et à la suite de ces investigations, il conviendrait de faire à la Cour suprême un rapport véridique de la situation. La réaction du procureur militaire principal à la requête déposée auprès de la Cour suprême se fondait sur l’enquête du commandant de brigade. Il semble que cette enquête dissimule les faits significatifs et il est difficile de comprendre pourquoi les journaux d’opérations n’ont pas été examinés avant que la réponse ne soit donnée à la Cour suprême ».

Dans le cadre de l’enquête de la division d’investigation criminelle, qui a notamment invité, en septembre, Brian Avery et trois autres militants en Israël pour une reconstitution de l’incident de Jénine, il est également question, sur la demande de l’office du procureur, d’enregistrer les témoignages des médecins du département d’orthopédie de l’hôpital Rambam à Haïfa, dans lequel Avery avait été transféré depuis Jénine. Au moment de son hospitalisation, les médecins lui avaient dit qu’il avait été touché par une balle de mitrailleuse ; le mitrailleur du blindé de transport de troupe affirme n’avoir pas tiré dans sa direction et qu’il semble avoir été blessé par un ricochet. « Cette question est d’une grande importance », ont écrit les avocats, « et on ne peut faire l’économie de son élucidation ».

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

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