FREE PALESTINE
26 décembre 2007

La critique « sioniste libérale » de Walt et Mearsheimer

La critique « sioniste libérale » de Walt et Mearsheimer              

                           
Jeremiah Haber  

                                                                                       
 

              Dans les médias dominants, les critiques du « Lobby pro-israélien 

» de Walt et Mearsheimer, dans son format livre, ont varié de mitigées à négatives. Plus précisément, elles ont été négatives mais avec quelques miettes jetées aux auteurs pour avoir soulevé certaines questions et brisé certains tabous.

         
 

              The Magnes Zionist, 10 octobre 2007
http://themagneszionist.blogspot.com/2007/10/walt-mearsheimer-and-foxman-going-past.html
   
Les critiques que j’ai lues sont unanimes pour dire que le livre est un réquisitoire partial contre la politique d’Israël et ses sympathisants, une harangue en somme qui aurait besoin d’être « contrebalancée ». Telle semble assurément avoir été la perspective du Washington Post

qui a chargé Samuel Freedman d’assurer la revue critique du « Lobby pro-israélien », en même temps que de la « réfutation » de Abe Foxman, « The Deadliest Lies ».

Freedman, qui enseigne le journalisme à l’Université Columbia, et qui a écrit, il y a quelques années, un livre intéressant intitulé « Jew vs. Jew », a un tas de choses à dire contre les deux livres. A son crédit, il prend Walt et Mearsheimer beaucoup plus au sérieux que Abe Foxman dont j’ai parcouru le stupide petit bouquin chez Barnes & Noble. Freedman est un homme intelligent et un excellent journaliste. Mais sa conclusion implicite que la vérité se trouve quelque part au milieu le révèle dans toute sa gloire de sioniste libéral – pas vraiment le critique le plus équitable pour un livre sur le lobby pro-israélien. Pourtant, pratiquement toutes les critiques des principaux canaux médiatiques ont été le fait de sionistes libéraux, à la fois juifs et non-juifs.

Par « sionisme libéral », j’entends la perspective qui soutient l’Etat d’Israël tel qu’il a été fondé en 1948 par des sionistes politiques comme Ben Gourion. Alors que les sionistes libéraux sont souvent critiques à l’égard de la politique israélienne (en particulier celle qui est défendue par la droite israélienne et leurs alliés faucons, par exemple les colonies), ils tiennent pour établi que a) il y a toujours « deux côtés » à l’histoire d’Israël-Palestine, et b) il y a beaucoup de justice dans le camp israélien. Alors, quand ils lisent des ouvrages d’auteurs aussi divers que Walt et Mearsheimer, Jimmy Carter, Tony Judt et Norman Finkelstein, ils ne peuvent se retenir de dire : « Ouais, mais qu’en est-il de la responsabilité du camp palestinien dans ce gâchis ? » Cela part de ce qu’ils admettent fondamentalement le discours sioniste sur une histoire juive culminant dans l’Etat d’Israël et qu’ils rejettent la narration palestinienne selon laquelle un mouvement étranger de colonisation a déplacé les autochtones qui, en tant que population majoritaire en Palestine, espéraient une appartenance à une Palestine arabe avec une minorité juive.

Maintenant, on peut favoriser Israël par rapport aux Palestiniens sans tenir la narration sioniste pour juste. On peut déclarer qu’Israël est un Etat reconnu par les Nation Unies et qu’il y a évidence à favoriser un Etat par rapport à une collectivité non étatique, position de faveur qui s’évaporera lorsque les Palestiniens auront un Etat. Mais ce n’est pas là la position adoptée par les critiques. Tous sans exception font appel à l’adage confortable (et banal) selon lequel la vérité se situe entre les extrêmes. La difficulté est cependant qu’ils situent le « centre » dans le camp sioniste. Ceux qui adoptent une position s’écartant du sionisme politique, même si cette position admet de facto l’Etat d’Israël, sont tenus pour « dogmatiques » et « partiaux ».

Le triomphe du sionisme dans ce pays n’est pas tel que personne de « modéré », aujourd’hui, ne met en doute la sagesse ou la justice de l’établissement et de l’existence continue d’un Etat sioniste. C’est plutôt que personne « au milieu » ne remet en cause la justesse de la narration sioniste qui justifie la prétention juive à un Etat aux dépens de la revendication palestinienne. Parce que si quelqu'un le faisait, alors l’échec à établir un Etat palestinien solide et vivant soixante ans après que les Nations Unies aient recommandé de créer un tel Etat, un Etat qui serait au moins l’égal de l’Etat juif, cet échec ne lui permettrait pas de dormir, la nuit.

Je ne suis pas en train de dire que les critiques auraient dû être choisis en fonction de leur rejet de la narration sioniste. Mais pourquoi ne pas demander de faire la critique du livre à des gens qui n’ont investi d’intérêt dans aucune des narrations ? Ou, si on le demande à des sionistes libéraux, pourquoi pas à des Palestiniens libéraux, comme Rashid Khalidi (qui se révèle critique à l’égard de la thèse du livre).

Tant que le monde n’impose pas une solution qui aplanisse le terrain de jeu entre Juifs israéliens et Palestiniens, cela ne rime à rien de parler d’équidistance. La situation, là-bas, est incroyablement faussée en faveur d’Israël, qui a pratiquement toutes les cartes, et contre les Palestiniens, qui n’en ont pratiquement aucune.

Permettez-moi de démontrer l’acceptation fondamentale par Freedman de la narration sioniste libérale, avec le passage suivant :

« C’est certainement le droit de Mearsheimer et Walt d’avancer ces arguments, et leur analyse de Camp David, en particulier, fait écho à celle de Robert Malley, qui y était un des médiateurs américains. La culpabilité israélienne ne manque pas dans le bourbier du Proche-Orient – le plus flagrant étant l’entreprise de colonisation. Pourtant, on peut quitter ce livre en se rendant à peine compte qu’en Israël, la majorité politique avait été préparée à se retirer d’une bonne partie des territoires occupés afin de conclure un accord de paix avec un Etat palestinien – jusqu’à ce que l’Intifada Al-Aqsa porte le terrorisme profondément à l’intérieur de l’Israël souverain, celui d’avant 1967, jusqu’au front de mer de Tel Aviv. Pour s’être retiré de l’ensemble de Gaza en 2005, Israël a reçu une pluie régulière de tirs de roquettes qui ont miné le soutien public à une autre évacuation de certaines parties, au moins, de la Cisjordanie. Les auteurs n’ont pas besoin d’être d’accord avec la réaction israélienne à ces événements, mais ils montrent leur malhonnêteté intellectuelle en en faisant à peine mention… Ainsi, alors que Mearsheimer et Walt appuient une solution à deux Etats, ils incluent dans l’infâme lobby pro-Israël quelques-uns des diplomates – Martin Indyk et Dennis Ross, pour en nommer deux – qui ont précisément tenté de négocier un tel accord de paix. »

Vous avez ici, dans une coquille de noix, la foi du sioniste libéral. Israël est effectivement responsable d’une grande part du bourbier proche-oriental, « le plus flagrant étant l’entreprise de colonisation », comme si tout l’avant-1967 était au poil et pouvait être résolu par un simple retrait aux frontières de 67 – en cédant « une bonne partie des territoires occupés » et en concluant le tout à Genève ou Camp David avec un accord de paix. Il semble que d’après Freedman, le conflit israélo-palestinien aurait pu être résolu via Oslo, s’il n’y avait pas eu l’Intifada Al-Aqsa, qui a porté « le terrorisme profondément à l’intérieur de l’Israël souverain, celui d’avant 1967, jusqu’au front de mer de Tel Aviv ». Outre qu’au niveau des faits, c’est inexact – des Palestiniens ont faits sauter des civils israéliens à Tel Aviv avant, pendant et après Oslo – cela revient à supposer que les Israéliens ont un jour voulu conclure avec les Palestiniens un accord de paix qui aurait créé un Etat palestinien solide et sûr. Comme je l’ai déjà écrit, ce ne sont que pures fadaises. Personne en Israël, exception faite de ceux qui se situent à l’extrême-gauche, n’a jamais soutenu l’établissement d’un Etat palestinien – ils appuient plutôt un « Etat » émasculé, démilitarisé, qui ne pourrait survivre que par sa relation de nature néocoloniale avec Israël, et qui ne représenterait jamais une menace pour la sécurité de l’Etat juif. Le fait que l’Etat d’Israël représenterait une menace pour la sécurité de l’Etat palestinien est rejeté – après tout, nous sommes juifs et nous honorons les accords.

Freedman, en tant que sioniste libéral, paraît croire qu’Israël s’est retiré de Gaza en 2005. Cela aussi, ce sont des fadaises, comme bien des gens l’ont écrit. Israël ne s’est jamais « retiré » de Gaza ; il a redéployé ses troupes, pour la plus grande part, de l’autre côté de la « Ligne Verte » et a, plus tard, imposé à l’encontre de Gaza un état de siège paralysant, lorsque les Palestiniens ont élu le Hamas. Dès lors, ce qui s’est réellement passé, c’est que les Israéliens qui estimaient que la manière la plus efficace de contrôler Gaza passait par la présence de colons et de troupes de l’armée israélienne, ont perdu devant les Israéliens qui estimaient que la manière la plus efficace de contrôler Gaza consistait à retirer les colons et l’armée israélienne. Mais le contrôle de Gaza « pour la sécurité d’Israël » n’a à aucun moment été mis en question.

C’est le débat sioniste classique – le genre « Juif vs Juif » sur lequel Freedman aurait dû écrire : comment contrôle-t-on le maximum de territoire avec le minimum de responsabilité à l’égard des Arabes autochtones ? Si Ariel Sharon avait été intéressé à donner une chance à la paix – mais il faut mettre à son crédit qu’il n‘a jamais fait d’allusion dans ce sens – il aurait négocié un retrait avec l’Autorité Palestinienne et, plus encore, il aurait négocié un accord définitif. Mais le retrait de Gaza n’a jamais été lié à l’idée de tracer la voie vers la paix – et Sharon avait le cran de le dire. En fait, le retrait unilatéral de Gaza était destiné à humilier les Palestiniens en laissant entendre que négocier avec eux avait autant de sens que de négocier avec des bêtes sauvages. (Rappelez-vous la solution proposée pour les Palestiniens par le sioniste libéral, Benny Morris, dans son interview par Ari Shavit : « Mettez-les dans des cages ») * . Seul un sioniste libéral, qui assimile un redéploiement de troupes avec une ouverture de paix, peut donner au retrait de Gaza une allure d’opportunité de paix.

Parce que Freedman est un sioniste libéral – et ce n’est pas lui que je critique pour cela, mais les éditeurs qui n’ont pas exigé de lui de divulguer pleinement la chose quand ils l’ont sollicité à faire la critique des livres – il est choqué que Walt et Mearsheimer rangent Martin Indik et Dennis Ross dans le lobby israélien. Comment osent-ils envoyer ces deux pacificateurs libéraux dans le même camp que Abe Foxman, l’AIPAC, Daniel Pipes et Norman Podhoretz ? Je veux dire, combien de fois Indyk et Ross ne se sont-ils pas vus traités par la droite de « Juifs ayant la haine d’eux-mêmes » ? Et que n’ont-il travaillé dur pour la paix ?

Mais la vérité est que pratiquement tous les Juifs aux Etats-Unis, depuis l’extrême-doite jusqu’à la Gauche-la-Paix-Maintenant-Meretz-Tikkun, font partie du lobby pro-Israël, ou si vous n’aimez pas le terme (et je ne l’aime pas), ce sont d’ardents partisans d’Israël, chacun à leur façon. De nouveau, ce n’est pas une critique – croyez-moi, quelques-uns de mes meilleurs amis sont des sionistes libéraux (pleine révélation : je possède une carte de membre du Meretz, bien que, pour ma défense, je n’ai rejoint le parti que pour voter pour Yossi Beilin aux primaires). Pour voir à quel point Dennis Ross est profondément sioniste, il suffit de lire quelques pages de The Missing Peace. Le fait qu’il ne partage pas la névrose « islamofasciste » de Podhoretz et Pipes n’en fait pas un centriste sur la question Israël-Palestine.

Alors, qui est vraiment au centre et pas juste « au centre » ? Eh bien, Walt et Mearsheimer, Carter, Chomsky, Khalidi, pour commencer. Ils souhaitent permettre un Etat sioniste solide en Palestine – davantage que je ne peux le dire pour la plupart des Israéliens à l’égard de la Palestine. En fait, la plupart des partisans d’un seul Etat que je connais sont au centre – ils n’appellent pas au transfert de populations contre leur volonté. Si vous êtes pour un transfert – palestinien ou juif israélien aussi bien – alors vous n’êtes assurément pas au centre. Si votre volonté d’autodétermination nationale doit se faire aux dépens de l’autodétermination nationale de l’autre groupe – alors vous n’êtes assurément pas au centre.

Parce que la narration sioniste a été acceptée par la presse libérale dominante aux Etats-Unis (mais pas par des experts du Proche-Orient), on n’a pas besoin d’un AIPAC ni d’un Foxman ni d’un Dershowitz pour prendre la défense d’Israël. Ceux-ci serviront toujours de « mauvais flics » pour de « bons flics » comme Tom Friedman, Richard Cohen, Dennis Ross, etc. La vraie question est – et Walt et Mearsheimer ne la posent pas – pourquoi Israël a-t-il si bien réussi à faire accepter la narration sioniste ? Ce n’est pas juste la prétendue influence ou l’argent d’un lobby pro-Israël. Il peut y avoir beaucoup de facteurs – culpabilité chrétienne libérale pour l’antisémitisme chrétien, sympathie pour les Juifs après le génocide, le commun héritage judéo-chrétien sur la Bible (l’arme secrète du sioniste), la success story des Juifs aux Etats-Unis, y compris le taux élevé d’intermariages qui rend plus compliqué pour des chrétiens d’agir contre des membres de leur famille. Les Palestiniens ne sont pas parvenus à avoir le même impact que les Juifs sur la conscience des non-juifs américains. Ils n’ont pas autant roulé leur bosse. Et ils sont « orientaux » comme les Israéliens ashkénazes ne le sont pas.

Et ils sont arabes et, surtout, musulmans.

(Traduction de l'anglais : Michel Ghys)            

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