FREE PALESTINE
28 novembre 2007

Fiction contre réalité en Palestine/Israël

Fiction contre réalité en Palestine/Israël

mercredi 28 novembre 2007 - Kathleen et Bill Christison - CounterPunch

acc_2_20

« Israël a-t-il le droit moral de continuer l’occupation ? »

Les gros titres pour Annapolis

L’Institution Annapolis - comme pourraient l’appeler ceux en Israël, en Palestine et aux Etats-Unis qui ont tout intérêt à donner au sommet d’Annapolis un semblant de sérieux - suscite un élan d’enthousiasme, étrangement irréel à l’approche de la conférence ; un élan qui prédit son succès impossible et prétend exprimer une volonté nouvelle américaine d’élaborer une certaine paix. La plupart des Palestiniens, profondément sceptiques, n’y croient pas.

Dans une brume d’irréalité, les gros titres de Ha’aretz de dimanche, 25 novembre, se sont félicités du retour triomphal des Etats-Unis à la direction du Moyen-Orient et du monde pour avoir organisé avec brio le sommet, après des années de déboires dans la région. Un journaliste éminent de Ha’aretz, habituellement réaliste, y déclare que les Etats-Unis « redevenaient le leader du Moyen-Orient » et qu’ils feront passer, à Annapolis, ce message que « lorsque les Etats-Unis lancent une convocation, le monde vient à leur côté ». Le journaliste apprécie cela, bien sûr, comme un grand coup de fouet donné aux intérêts d’Israël. D’autres titres voient comme une « victoire » (pour Israël et les USA) la décision des dirigeants arabes de participer au sommet et donc de le légitimer, et prédisent que ces rebondissements seront un « coup sérieux » porté pour l’affaiblissement du Hamas.

D’une manière déconcertante, les Palestiniens rattachés à l’Autorité palestinienne s’expriment pareillement, quoiqu’en termes moins excessifs, à propos de perspectives de progrès réels avec Annapolis et semblent s’accorder avec un commentateur israélien éminent qui veut nous faire croire que l’administration Bush serait enfin prête à « s’engager » pour accélérer la conclusion d’un accord de paix sur deux Etats. Ces Palestiniens de l’establishment, d’après un analyste palestinien sérieux, sont pratiquement prêts à tout pour que l’Amérique s’implique, seul espoir à leurs yeux de rompre avec l’intransigeance israélienne et d’avancer vers un accord de paix. Ils pensent que maintenant que les Etats-Unis se sont engagés et soutiennent Mahmoud Abbas, le processus de paix aura quelque crédibilité, et ils agissent en fonction de cette hypothèse naïve qu’en gagnant un processus de paix, ils gagneront la paix.

Mais, dans la vie réelle, celle où les Palestiniens connaissent la sinistre réalité quotidienne de l’occupation et l’expérience de deux décennies gaspillées en efforts stériles pour construire la paix, toute référence à Annapolis est accueillie avec cynisme et mauvaise humeur. Aux allégations de ceux au pouvoir qui prennent leurs désirs pour des réalités, disant que Condoleezza Rice comprend bien la position des Palestiniens pour Annapolis, l’homme palestinien de la rue répond en passant une brève vidéo sur son téléphone portable - un clip si largement diffusé qu’il est difficile de trouver quelqu’un qui ne l’a pas vu -, une vidéo qui montre une Rice, charmeuse, faisant voleter ses boucles brunes, se dandinant, tressant des couronnes aux dirigeants arabes « modérés » assis devant elle (ceux que l’on connaît pour être plus ou moins dans la poche des USA) et leur disant qu’ils sont « de bons petits » pour avoir fait ce que les Etats-Unis demandaient.

ID953344_25_rice_ap_195729_00DXEZ_0

Ces Palestiniens agissent en fonction de cette hypothèse naïve
qu’en gagnant un processus de paix, ils gagneront la paix.

Ce qu’on appelle la « rue » en Palestine - un terme, il est important de le savoir, qui recouvre un large spectre de gens ordinaires mais très politisés et très bien informés - est parfaitement conscient de la vraie dynamique derrière tout cela comme derrière les « processus de paix » précédents : consciente des dérobades d’Israël et de ses atermoiements sans fin, des refus systématiques des Américains de rappeler à l’ordre Israël pour ses tromperies, de la carence des Etats-Unis à comprendre, et même à se soucier, des réalités politiques. Les Palestiniens ont pris du recul avec le système et ne se sont pas laissés séduire, la plupart savent parfaitement que les négociations dans le style américano-israélien sont surtout un processus dépourvu de tout contenu - guère plus qu’un moyen de détourner l’attention de l’occupation et d’écarter Israël de toute pression pendant qu’il est occupé à absorber les territoires palestiniens.

Alors qu’il n’y a guère de quoi fonder le moindre optimisme sur le terrain, en Palestine, et que beaucoup parlent franchement de la défaite de la Palestine et de la victoire d’Israël et des USA, on a le sentiment que la plupart des Palestiniens ne se laissent pas aller à l’échec et qu’ils vont continuer à résister partout où c’est possible. Pendant que les politiciens palestiniens au pouvoir s’envolent vers Annapolis, les chefs populaires de la Palestine animent des campagnes de boycotts, de désinvestissements et de sanctions. Environ 500 personnes ont participé à une conférence de Palestine BDS campaign à Ramallah, la semaine dernière. Ils se mobilisent pour des campagnes de protestations contre le mur de séparation et contre la conférence d’Annapolis elle-même. Le Hamas, l’acteur dans ce « processus de paix » que tout le monde essaie résolument d’ignorer, a organisé un grand rassemblement dimanche, à Gaza, et une manifestation populaire est prévue pour mardi à Ramallah, au moment même de l’ouverture d’Annapolis. Ils parlent des « thawabit », les principes immuables, c’est-à-dire du refus de céder des positions qui sont l’essence même du combat des Palestiniens. Un jeune militant, au bout d’une soirée passée à discuter sur la résistance populaire et la nécessité de rester fermes - immuables - sur les questions de fond tel que le droit au retour, est revenu sur le sujet que l’on croyait avoir épuisé. Il a dit vouloir ajouter un mot sur l’importance, pour les Palestiniens, du droit au retour : « Si vous abandonnez ce droit, vous réduisez à néant la cause palestinienne dans sa totalité, dit-il. Cela ôterait le cœur même de la cause palestinienne et tout le vécu des Palestiniens. Il ne faut pas l’abandonner. »

On a le sentiment que les Palestiniens ne laisseront personne agir dans leur dos, ni leurs propres dirigeants, ni Israël, ni les Etats-Unis. Aucune victoire palestinienne n’apparaît à l’horizon - c’en est loin -, mais cet esprit de résistance peut empêcher le pouvoir palestinien de capituler à Annapolis sur les droits fondamentaux.

Un journaliste israélien, Gideon Lévy, a effleuré l’essence du conflit dans un article paru dans Ha’aretz, lequel article s’est trouvé en contradiction totale avec les gros titres enthousiastes et, en fait, avec la base même du sommet d’Annapolis. Stigmatisant les inquiétudes israéliennes sous-jacentes à propos des concessions coûteuses que pourrait faire Israël sous la pression, Lévy fait remarquer qu’il n’a pas été demandé aux Israéliens de « céder » quoi que ce soit aux Palestiniens, mais seulement de « leur rendre les territoires qu’ils leur ont volés et leur respect d’eux-mêmes qu’ils ont foulé aux pieds, en même temps que leurs droits humains fondamentaux et leur humanité. » C’est cela, dit-il, « la question de fond prioritaire », mais personne n’en parle ; la justice « a délibérément été écartée de toutes les négociations ».

La prise de conscience de Lévy est un élément extrêmement important pour comprendre tout ce qui ne va pas avec Annapolis, comme avec toutes les démarches américaines pour la paix, en remontant bien avant celles de l’actuelle administration Bush. La justice pour les Palestiniens n’a jamais été un élément de l’équation, c’est pourquoi aucune action pour la paix n’a jamais réussi et c’est pourquoi Annapolis échouera tôt ou tard. Lévy pose la question : « Israël a-t-il le droit moral de continuer l’occupation ? » et il souligne que le monde, même la direction palestinienne, et plus particulièrement les Israéliens qui « en portent la responsabilité », le monde ne s’est jamais posé cette question fondamentale.

Lévy ne parle que des 40 années d’occupation, peut-être ne réalise-t-il pas que, une fois cette question posée, une autre question est incontournable : « Israël a-t-il le droit moral de conserver en sa possession les maisons et la terre des Palestiniens expulsés et dépossédés en 1948 ? » Aucune vraie paix ne sera possible tant qu’on n’aura pas réglé au moins ces deux questions-là.

Peut-être que ce que dit Lévy est un réel espoir pour l’avenir : il y a des Israéliens pour qui l’honnêteté est une priorité - qui reconnaissent, dit-il, que les questions clé admises communément ne sont que secondaires par rapport à la « question de fond prioritaire » de la justice - et qui savent que, en définitive, la grande injustice qu’Israël commet à l’égard des Palestiniens ne peut se perpétuer.

cartes_46_a_99_600

« Israël a-t-il le droit moral de conserver en sa possession les maisons et la terre des Palestiniens expulsés et dépossédés en 1948 ? »

* Bill Christison a été haut responsable à la CIA. Il a servi comme officier dans les services de renseignements des Etats-Unis et comme directeur du bureau des analyses régionales et politiques de l’Agence américaine.

* Kathleen Christison est une ancienne analyste politique de la CIA et a travaillé sur les questions du Moyen-Orient pendant 30 ans. Elle est l’auteur de Perceptions of Palestine et de The Wound of Dispossession

Ils peuvent être contactés à l’adresse : kathy.bill.christison@comcast.net.

Jérusalem, le 26 novembre 2007 - CounterPunch - Traduction : JPP

http://www.info-palestine.net

Commentaires
Derniers commentaires
Recevez nos infos gratuites
Visiteurs
Depuis la création 864 678
Archives