« La question palestinienne est déterminante »
Al-Ahram Hebdo Semaine du 20 au 26 Juin 2007, numéro 667 la la Palestine. Nous la Palestine
« La question palestinienne est déterminante »
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Conseiller du roi Mohamed VI du Maroc, André Azoulay est membre du
Groupe de haut niveau des Nations-Unies pour l’alliance de
civilisations. Il fait le point sur l’état des relations entre le monde
arabo-musulman et l’Occident.
Al-Ahram Hebdo : Dans l’annexe au rapport du Groupe de haut niveau pour
l’alliance de civilisations que vous avez présentée avec l’ancien chef
de la diplomatie française, Hubert Védrine, vous avez souligné un point
important : le fait que le conflit israélo-palestinien est au cœur de la
notion du choc des civilisations … Pourquoi ?
André Azoulay : Nous avons essayé en premier de débusquer cette idée
fausse qui est celle que nous sommes aujourd’hui dans une époque de choc
des civilisations, de choc entre les cultures et que nous sommes dans
une logique qui ferait que, parce que nous ne portons pas les mêmes
costumes et que nous avons des comportements différents, nous sommes
condamnés à la confrontation. Ceci est une aberration, une véritable
escroquerie intellectuelle. Mais malheureusement, la théorie du
professeur Samuel Huntington est devenue une référence qui s’est
introduite par effraction et défaut dans le code des relations
internationales.
Or, ce que nous avons voulu faire c’est montrer qu’il s’agit d’une
escroquerie, à la fois intellectuelle et idéologique, qui est de vouloir
tout expliquer par la religion. Dans ce débat, celle-ci est
instrumentalisée et devient l’alibi, le prétexte et la feuille de vigne
pour couvrir tous ces dossiers qu’on ne veut pas voir. Et Ceci est vrai
des deux côtés, du côté occidental comme du côté du monde
arabo-musulman. La religion est devenue donc l’instrument de tous ceux
qui refusent d’apporter une vraie analyse et une solution politique.
Donc, il a fallu d’abord démonter ce mécanisme et lorsqu’on a fait cela,
il est devenu clair que tout était politique et dans cette rationalité
de l’analyse, le moment était venu d’appeler un chat, un chat.
— Quels sont les dossiers qui sont à la base des tensions entre les
mondes occidental et arabo-musulman ?
— Ces dossiers s’appellent Palestine, Israël, Iraq, Afghanistan et on ne
peut plus longtemps gommer cette réalité ni l’occulter. Tout commence là
et tout fini là. Si l’on arrive à comprendre cette réalité et à lui
apporter les solutions qui s’imposent, alors tout deviendra possible. Et
quand on dit tout cela, on note que dans l’ensemble de ces dossiers, il
y en a un qui est horizontal, central et déterminant. C’est celui de
Palestine. J
avons la paix en Iraq et tout s’arrange en Afghanistan, si l’on ne
s’attaque pas à la question palestinienne, on revient à zéro. C’est dans
ce sens que la question palestinienne est centrale et déterminante dans
les problèmes que nous sommes en train de confronter. Pour illustrer
cette idée, il faut essayer de comprendre pourquoi, par exemple, un
Indonésien que je ne vais jamais rencontrer et moi qui suis Marocain,
musulman, ou juif comme je le suis, partageons les mêmes opinions et les
mêmes positions sur
rencontrer, mais sur
frustrations et ambitions. La réalité aujourd’hui est horizontale,
verticale, structurelle si l’on veut comprendre ce qui se passe entre
l’islam et le reste du monde.
— Le rapport du Groupe de haut niveau des Nations-Unies a fait mention
d’une déformation de l’image des Arabes en Occident au cours des
soixante dernières années. Comment l’expliquez-vous ?
— Il y a eu une distorsion totale, il y eu une stigmatisation, les
clichés sont devenus une théorie et les stéréotypes sont devenus une
stratégie. Nous sommes dans une logique qui est profondément régressive.
Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus archaïques que nous l’étions il y
a 70 ou 100 ans. Il y a eu un énorme recul collectif et je pense que le
vrai et seul moyen de rebondir et d’en sortir, c’est d’aborder tous ces
problèmes qui ont fait le lit des obscurantistes de tous les côtés et
donc d’arriver à la solution des problèmes concrets que j’ai mentionnés.
Et c’est pour cette raison que j’ai recommandé dans le rapport du Groupe
de haut niveau que l’on mette en chantier sous l’égide de l’Onu une
commission composée des autorités morales les plus reconnues, pour
traiter du dossier Palestine et Israël. L’idée est d’élaborer un « Livre
blanc » pour aborder tout ce qui s’est passé depuis soixante ans. A
travers celui-ci on pourra donner une chance, d’abord, au peuple
palestinien de reconstruire sa dignité et de gagner un peu de confiance
en obtenant de la communauté internationale une reconnaissance de sa
détresse, que l’on leur dise au moins : Nous savons maintenant le prix
que vous avez payé.
— Comment ressentez-vous, en tant que juif marocain, ce problème
palestinien ?
— Lorsque j’ai commencé mon combat en tant que juif engagé pour la cause
palestinienne, je ne l’ai pas fait parce que j’étais anti-sioniste, ou
contre Israël. J’ai fait cela, au contraire, parce que de cette façon
j’étais dans la logique la plus profonde de ma religion, le judaïsme. Je
ne suis pas juif par le sang que j’ai dans les veines. J’essaye au
contraire d’être juif par ce que j’ai dans ma tête. Et moi, la façon
dont j’ai appris en tant que juif arabe à devenir adolescent et adulte,
c’est d’être dans cette logique qui est celle de reconnaître l’altérité.
Celle décrite par Jean Baudrillard lorsqu’il dit mon moi, il est dans
l’autre, sinon rien n’existe.
Malheureusement, nous sommes en train de tout perdre et je ne veux pas
perdre les valeurs fondamentales de ma religion. Mais pour rester
cohérent avec le judaïsme, je dois me battre tous les jours pour que les
Palestiniens retrouvent leur souveraineté, leurs droits, leur dignité.
Et je ne fais pas cela parce que je suis anti-israélien, je le fais
parce que je sais que c’est le meilleur service que l’on puisse rendre
aux enfants israéliens de demain. C’est qu’ils aient à leur côté le plus
vite possible un Etat palestinien, et où les mots identité et dignité se
conjuguent de la même façon qu’en Israël. On doit finir avec ce temps de
double standard. Tant que nous restons dans la logique actuelle, rien ne
sera possible.
— Est que ce « Livre blanc » représente une opportunité de réécrire
l’Histoire du conflit israélo-palestinien au cours des soixante
dernières années ?
— Ce ne pas une réécriture de l’Histoire de cette période, car celle-ci
n’a jamais été écrite de façon scientifique. En réalité, chacun a dit
son Histoire. Alors aujourd’hui, l’exercice est autrement plus
ambitieux, autrement plus exigeant, autrement plus rigoureux. Il ne
s’agit pas seulement d’un exercice des historiens même s’il sont parfois
des experts. Il s’agit d’un travail global à la fois moral et
scientifique. Et le plus important, c’est qu’il doit être fait à deux
voix : une voix palestinienne incontestable et une israélienne qui
bénéficie de la plus grande autorité morale. Et ces gens existent aussi
bien du côté des Palestiniens que de celui des Israéliens et ils sont
prêts aujourd’hui à faire cet exercice. Celui-ci est juste la première
étape, mais si l’on ne fait pas cela, rien n’est possible parce qu’il
faut qu’on sorte des soixante années de confusion, de manipulation et
aussi de mensonge. Je pense que cela est le minimum que l’on puisse
faire pour les Palestiniens, et en même temps cela va contribuer et
aider les Israéliens à mieux comprendre. Cela va les aider aussi à
vaincre leur peur de faire une lecture objective de l’Histoire.
— Comment faire en sorte que la communication entre les deux mondes
occidental et arabo-musulman puisse au moins s’améliorer ?
— Nous avons effectivement fait de nombreuses recommandations dans ce
sens dans le rapport du Groupe de haut Niveau. On peut certainement
faire un peu plus et un peu mieux dans le domaine de l’éducation, faire
un peu plus aussi pour améliorer le travail des médias dans les deux
mondes pour atténuer les équivoques continuellement créées par un côté
comme par l’autre. Mais tout cela restera malheureusement cosmétique
tant que préalablement, on n’aura pas traité l’essentiel qui sont les
dossiers politiques.
Propos recueillis par Randa Achmawi