FREE PALESTINE
29 avril 2007

On harcèle Bishara parce qu’il a raison

On harcèle Bishara parce qu’il a raison

Amnon Raz-Krakotzkin

Mahsom, 12 avril 2007

www.mahsom.com/article.php?id=5098

« L’hystérie médiatique révèle la vive alarme suscitée par Bishara, mais aussi le grand défi qu’il continue de poser à la société israélienne, en mettant à nu les contradictions et les limites de celle-ci »

Les informations plutôt nébuleuses sur un départ de Bishara du Parlement israélien soulèvent une grande émotion en Israël, émotion que l’on tente parfois de dissimuler, mais sans grand succès. L’hystérie médiatique révèle la vive alarme suscitée par Bishara, mais aussi le grand défi qu’il continue de poser à la société israélienne, en mettant à nu les contradictions et les limites de celle-ci. Bishara suscite de la haine parce qu’il a raison, et précisément dans les situations où il fait l’objet d’attaques. Le besoin de déformer sans cesse ses propos montre à quel point ils sont pertinents et représentent un défi. La peur s’est accrue ces derniers temps, quand il est apparu qu’il ne s’agissait pas de positions partagées par les seuls sympathisants du parti Balad [Alliance Nationale Démocratique], mais par la population arabe tout entière. Les documents ([1]) qui se sont répandus ces derniers temps, ont conduit les services de la Sécurité générale (Shabak) à définir la population arabe dans son ensemble comme une « menace stratégique ». Dans ce contexte-là, il n’est pas étonnant que la Sécurité générale ait décidé de tenter d’isoler le parti Balad, avec la conviction que combattre Bishara neutralisera d’un coup toute cette effervescence.

Mais même si l’on réussit à écarter Bishara de la scène politique (et même s’il décidait de lui-même de quitter finalement ses fonctions au Parlement), on ne parviendra à se débarrasser ni de son esprit ni de ses idées qui gagnent une place de plus en plus centrale dans la construction de la conscience des Palestiniens en Israël. Même les opposants de Bishara ne peuvent nier la contribution décisive qui est la sienne dans cet important processus, dans l’établissement de bases pouvant aider la minorité palestinienne en Israël à faire face à la guerre que l’Etat lui a récemment déclarée publiquement. Ce serait une illusion de penser que l’éviction de Bishara de la vie politique tuera ces principes, même si dans un premier temps, le régime d’intimidation devait parvenir à les réduire au silence. La société israélienne, plongée dans une crise profonde, sans avenir, sans espoir ni sans rêve, en déplace la responsabilité sur Bishara et le parti Balad. Nulle tentative ici de discuter avec Balad, mais une tentative sans fin de le délégitimer. Mais dans ce moment de danger naît aussi l’espoir que la dramatique crise actuelle conduise la société israélienne dans une autre voie, à affronter le défi avancé dernièrement par les représentants de la population arabe entière.

La provocation contre Bishara, Balad et la population arabe

La virulence des critiques en provenance de la droite n’est, bien sûr, pas pour surprendre. Eitam, Orlev et leurs partenaires dans l’interprétation raciste du judaïsme sont de toute façon d’avis qu’il n’y a pas de place pour des Arabes au Parlement, ni plus généralement dans le pays. Mais il convient de rappeler que ce n’est pas l’extrême droite qui a initié cette campagne de provocation à l’encontre de Bishara mais bien des cercles tenus pour plus progressistes. Ce sont eux qui ont cultivé à longueur d’années une représentation de Bishara comme un nationaliste extrémiste. Cette provocation a débuté essentiellement quand il est apparu que contrairement à ce qui était attendu, Bishara et ses amis ne soutenaient pas automatiquement une politique qui prétend dicter ce qui est défini comme « de gauche » (Travailliste et Meretz), en particulier depuis les élections de 1999 et l’époque du gouvernement Barak. Tant que Bishara avançait ses idées en tant qu’intellectuel, elles étaient recevables et on pouvait même en être impressionné. Dans les années 90, il était même reconnu comme un des intellectuels éminents en Israël. Le passage de ces idées dans le domaine politique a mis en évidence ce que la mise en œuvre des principes démocratiques exigeait, et cela, la population juive l’a refusé. La gauche israélienne ne pouvait pardonner à Bishara d’avoir mis à nu le nationalisme et l’arrogance qui sont au fondement de son approche. Il a sacrifié la tranquillité à l'arrogance, chose interdite aux Arabes.

Les représentants du « camp de la paix » perdent leur calme chaque fois que Balad (et aussi d’autres groupes) refuse leur diktat politique. Cette attitude est également devenue par exemple la ligne éditoriale déclarée du quotidien « Haaretz », même s’il a parfois publié des écrits de Bishara. La frontière entre Hadash et Balad n’a cessé d’être présentée, dans plus d’un éditorial, comme une frontière entre le légitime et l’illégitime. Hadash était présenté comme exprimant théoriquement une ligne d’attitude citoyenne et de coexistence, face à un Balad nationaliste et séparatiste. De ce point de vue, la position de « Haaretz » est parfaitement identique à celle des services la Sécurité générale (Shabak) même s’il se peut qu’il y ait entre eux des divergences sur les conclusions : là où la Sécurité générale propose de sortir du cadre de la Loi, « Haaretz » préférera user de tolérance, en témoignage de l’extraordinaire attitude démocratique de l’Etat d’Israël. Cette ligne qui fait la part entre ceux qui sont définis comme « nationalistes » et ceux qui sont considérés comme ayant une attitude « citoyenne », signifie simplement que la condition mise à la participation des Arabes à la société israélienne, c’est le renoncement à leur identité et leur mode d’identification nationale jusqu’à se retrouver dépouillé de toute identité ; alors que la caractérisation de l’Etat admise par le consensus les éloigne du champ de la participation limité aux seuls Juifs, ils ne sont pas non plus autorisés à s’identifier comme Arabes ni comme Palestiniens.

Telle n’est évidemment pas la vraie frontière et je ne considère pas que la position de Hadash soit si médiocre : il est bien commode pour les progressistes israéliens de présenter Hadash ainsi, et il est simplement dommage que pour des motifs politiques, ses membres soient parfois entraînés à adopter ce diagnostic simpliste. Balad, par comparaison, n’est pas un parti « séparatiste » ni, bien sûr, « extrémiste », mais un parti qui a proposé un autre défi de l’intégration : une lutte pour l’égalité qui ne soit pas fondée sur la négation de l’identité nationale, mais précisément sur sa préservation et son développement ; « une identité entière, une citoyenneté pleine », comme disait le slogan électoral du parti. En outre, l’hystérie actuelle s’est développée après que beaucoup de Juifs se sont rendu compte, à leur grande surprise, que cette frontière était fissurée, que les positions essentielles de Balad étaient partagées par le public et qu’elles étaient reçues aussi parmi les membres de Hadash. Il y a bien entendu des différences et des controverses fondamentales entre diverses composantes parmi les citoyens palestiniens d’Israël – mais il y a aussi, aujourd’hui, un large accord et c’est contre celui-ci que les services de la Sécurité générale (Shabak) se lancent maintenant, avec le soutien (ou dans le silence) des cercles israéliens définis comme progressistes. Dans ce contexte, Balad est perçu comme plus dangereux encore, comme celui qui « corrompt » les Arabes et propage parmi la jeunesse les germes de la démocratie. Conformément au mode de pensée infantile de la Sécurité générale (Shabak), qui traite les Arabes comme des personnes infantiles, si l’on éloigne l’enfant mauvais, les autres enfants apprendront la leçon et resteront tranquilles ; ils ne chanteront pas l’hymne national, mais s’identifieront avec l’entreprise du « Retour à Sion ». Dans cette manière de voir, les Arabes légitimes sont ceux qui accepteront la situation existante avec de légères retouches et qui seront d’accord avec la politique de la gauche.

Le défi de Bishara

Cela fait plus de deux décennies que Bishara lance des défis à la société israélienne juive. Il a joué un rôle central dans l’approche fondamentale de la demande de reconnaissance d’Israël comme Etat de tous ses citoyens. Il a bien évidemment eu des devanciers, mais son rôle aura été décisif pour faire de ce principe une composante significative dans l’agenda public et une base de discussion à laquelle se sont associés de plus en plus de gens. Plus qu’un programme explicite, cette revendication constitue une position critique qui fait la démonstration des fondements antidémocratiques et racistes de la réalité existante. Elle exprime une aspiration à la démocratisation de l’Etat et à l’abrogation de toutes les institutions et tous les mécanismes qui perpétuent la discrimination et la dépossession des citoyens arabes. La demande de démocratisation a montré les implications de la caractérisation actuelle de l’Etat.

Mais si beaucoup pouvaient vivre avec le slogan d’un « Etat de tous ses citoyens », la revendication complémentaire avancée par Balad – à savoir la demande de reconnaissance des citoyens palestiniens comme minorité nationale – a suscité une opposition venant de bien des côtés. L’exigence qui est celle de Balad, d’une égalité basée sur la préservation de la conscience nationale, sur la reconnaissance que seul un mode d’organisation national permettrait de lutter et de résister aux modèles d’intégration basés sur la « négation de l’identité », a soulevé une opposition, y compris dans des cercles de gauche. Et cela en dépit

du fait – ou peut-être justement du fait – que cette demande s’accompagnait d’une claire reconnaissance du droit du peuple israélien juif à l’autodétermination. L’essence même de cette reconnaissance (qu’on n’a pas cessé de chercher à nier) – non pas expression de gratitude mais reconnaissance de l’existence du collectif israélien juif – est le signe d’un changement des règles du jeu, et elle porte le grand défi suivant : ce ne sont pas des Juifs qui, se rappelant avec émotion de leur progressisme, accordent des droits aux membres de la minorité arabe, mais des Palestiniens qui reconnaissent les droits des Juifs dans le cadre de la démocratie, de l’égalité et de la justice, tant au niveau du citoyen qu’au niveau de la nation.

Provoquer plutôt que de faire face

L’opposition à Balad en général et à Bishara en particulier s’est développée sur fond de ses prises de position et de son activité politique ainsi que celle de ses amis, depuis la fin des années 90 et plus particulièrement depuis l’année 2000. Balad n’était bien sûr pas le seul parti à être confronté, de manière continue, à la provocation. D’autres députés arabes au Parlement ont aussi dû faire face à des enquêtes et à l’agressivité vulgaire des journalistes de la télévision et de la presse écrite. Mais on a toujours insisté davantage sur Bishara, parce qu’il était impossible de nier le défi fondamental qu’il lançait. Ce ne sont pas seulement les positions qu’il exprimait qui suscitaient la fureur, mais aussi le fait qu’elles étaient formulées dans un contexte arabe, en rejetant le fait de présenter le monde arabe comme un ennemi et en exprimant clairement une approche qui tient que la citoyenneté d’un Arabe n’est pas conditionnée par le rejet de son identité en tant qu’Arabe actif au sein du monde arabe. Ce fondement-là, qui soulève des difficultés même parmi des Israéliens comme il faut, non racistes, constitue lui aussi le grand défi. Les mêmes propos qu’il tenait dans le monde arabe, Bishara les tenait aussi en hébreu, mais contrairement à ses discours en arabe, les paroles qu’il disait en Israël n’avaient droit qu’à l’indifférence. Bishara ne parle pas comme des Juifs voudraient qu’il parle : il s’exprime en tant qu’Arabe, et rejette l’argument qui veut qu’étant citoyen d’Israël, il n’ait pas le droit de s’exprimer en tant qu’Arabe. Dans le passé, son succès découlait de ce qu’il s’adressait en même temps aux deux côtés, mais il s’est abstenu de s’adresser au public israélien depuis que toute interview de lui par un journaliste a pris des allures d’interview par un membre de la Sécurité générale (Shabak), où plutôt que d’exprimer une position, il était tenu de se justifier.

La haine dont Bishara fait l’objet s’est renforcée précisément parce qu’il a raison. Il a exprimé d’une manière cohérente des positions opposées au « processus de paix » dans sa structure actuelle et contesté les principes de base qui définissent le « camp de la paix ». Les positions qu’il a avancées se sont révélées à la fois justes et pragmatiques. La société israélienne l’a mis à l’écart depuis 2000, même s’il a, comme toujours, continué à susciter de l’intérêt. La provocation contre Bishara est devenue une composante de l’identité israélienne, en particulier chez des gens de « gauche » qui soutiennent qu’il « est allé trop loin », qu’il « a dépassé les limites », tandis qu’ils se désignent eux-mêmes comme la limite de ce qui est permis.

Bishara avait raison quand il a été le seul député n’appartenant pas à la droite, à ne pas avoir soutenu au Parlement le plan de Barak avant le sommet de Camp David en 2000, et à avoir mis en garde, dans son discours au Parlement, contre les conséquences de l’arrogante « politique du non » de Barak. Et cela, en opposition avec le reste des députés arabes (parmi lesquels émergeait Ahmed Tibi qui a déserté son partenariat avec Balad immédiatement après les élections) qui avaient rejoint le consensus du soutien. Il n’est plus besoin aujourd’hui d’éclairer ce qu’ont été les conséquences de la politique aventureuse et arrogante d’Ehoud Barak et de ce que nulle opposition n’est venue de la gauche. C’est comme cela qu’est apparu clairement que Balad n’était pas une voix sur laquelle la gauche israélienne pouvait compter d’une manière automatique, indépendamment de sa politique. Et c’est ce qui est apparu une fois encore lorsque Balad a lancé le boycott des élections entre Barak et Sharon en 2001.

Bishara avait raison lorsqu’en Syrie, en 2001, il déclarait dans un discours à la mémoire du Président Assad, que la résistance palestinienne à l’occupation ne pouvait réussir si elle ne s’accompagnait pas d’une position politique arabe d’ensemble. Sauf que, aujourd’hui encore, les différents commentateurs israéliens sont tenus de déformer ses propos lorsqu’ils diffusent le discours et le coupent au beau milieu. On souligne ses paroles concernant la « résistance » – et il n’a effectivement pas nié le droit des Palestiniens à résister à l’occupation dans les Territoires – mais en ne tenant absolument aucun compte du contexte : de l’affirmation que la résistance à l’occupation n’avait aucune chance sans une initiative politique d’ensemble. Ceux qui ne sont pas asservis aux provocations d’Ehoud Yaari, Zvi Yehezkeli et leurs semblables, reconnaîtront aujourd’hui l’importance historique de ces propos qui ont été plus tard mis en œuvre dans l’initiative de paix arabe.

Malgré cela, les médias israéliens se sont fatigués à dissimuler les paroles de Bishara contre les opérations suicides : un bref compte-rendu par Amira Hass des mots qu’il avait prononcé lors d’une assemblée à Ramallah contre les opérations suicides a été rapidement retiré du site Internet sans laisser de trace et il n’a eu droit à aucune mention dans l’édition imprimée. Tout à coup Bishara n’était plus si intéressant, peut-être par crainte que le portrait de Bishara en monstre ne se fissure et peut-être parce que, dans le cas où l’on rapporterait ses propos, on serait bien obligé d’examiner si des modes de résistance à l’occupation ne seraient pas effectivement légitimes.

Bishara avait évidemment raison lorsqu’il s’est opposé en 2000 au retrait du Liban sans accord avec la Syrie, et lorsqu’il a appuyé la position syrienne en dépit des critiques émises de divers côtés. Balad a effectivement vu, avec satisfaction, dans le retrait israélien une première étape dans la fin de l’occupation israélienne, mais il a énoncé une position complexe en regard du contexte. Beaucoup en Israël s’associent à cette position, mais ce qui les dérange, c’est que Bishara le fasse en se référant explicitement aux intérêts arabes.

L’opposition de Balad à la dernière guerre au Liban était évidemment parfaitement justifiée et il ne s’est pas retrouvé seul dans cette opposition. Cette opinion était partagée par la majorité de la population arabe et par toutes les forces politiques arabes. Ce par quoi Bishara s’est démarqué à cette occasion, c’est le fait qu’il ait refusé de condamner le Hezbollah et qu’il ait pointé du doigt le contexte général de la crise : les transgressions, les actions agressives incessantes d’Israël et la place de cette guerre dans le cadre du plan américano-israélien. Bishara n’a pas hésité à regarder le Hezbollah comme une organisation de résistance et non comme une monstruosité, même s’il exprime, comme on sait, des réserves sur une partie de ses positions.

Bishara avait clairement raison quand il a annoncé dès le début de la guerre que le Hezbollah ne serait pas défait, ce qui a encore attisé la colère des commentateurs qui, à ce moment-là, salivaient encore d’enthousiasme devant l’offensive aérienne qui devait détruire, anéantir, briser, ruiner. Pareille chose est évidemment difficile à pardonner : que la guerre dans laquelle Israël s’est lancé avec l’espoir de se purifier, une guerre qui a été présentée comme une guerre « on ne peut plus juste », qui était censée faire oublier les horreurs quotidiennes de l’occupation et de l’unilatéralisme – que cette guerre-là se soit achevée par une amère déception du point de vue israélien.

Les commissions d’enquête cherchent, chacune à sa manière, à identifier les circonstances de l’échec de la guerre, mais s’abstiennent de faire référence à son image de « guerre juste » menée contre un ennemi monstrueux, une guerre destinée à libérer les Israéliens enlevés. Plus personne en Israël ne se demande s’il y avait une justification au carnage perpétré contre la population civile libanaise lors de cette offensive. Au lieu de s’examiner elles-mêmes, les autorités, en Israël, recherchent ailleurs les coupables. La guerre a complètement ébranlé la défense israélienne, montré les limites de la supériorité militaire et s’est accompagnée d’une crise générale d’une société désorientée, qui manque de confiance et de toute vision. Plus apparaît à quel point cette guerre était un échec, plus la campagne de provocation contre Bishara s’étend.

La provocation actuelle

A partir de ce qui est publié dans le cadre des limites imposées par une « censure à la publication » qui a été décrétée dans l’affaire Bishara, on peut supposer que la Sécurité générale (Shabak) tente de lui ficeler un dossier. On peut supposer que celui-ci est lié aux positions prises par Bishara pendant la guerre du Liban. Israël, défait, cherche par tous les moyens la cause de la défaite, mais au lieu d’affronter la véritable cause – sa politique immuable – Israël harcèle Bishara qui s’est identifié avec « l’ennemi ». Je n’ai aucune idée de ce que peuvent être les détails de l’affaire, mais à partir des allusions faites par les médias, il est clair qu’on essaiera de porter contre lui les accusations les plus graves. Le jugement public l’a déjà déclaré coupable de soutien à l’ennemi et au terrorisme. Il ne reste plus qu’à trouver des preuves qui s’accordent avec ces accusations.

Toutes les enquêtes menées antérieurement sur Bishara s’occupaient de ses activités connues, publiques. Même si cette nouvelle enquête, d’après les allusions des journalistes, s’appuie sur des matières confidentielles (comme la Sécurité générale en a à profusion), il est clair qu’elle concerne ses prises de position politiques explicites – quelles que puissent être les informations sensationnelles que nous a promises la promo organisée par la Sécurité générale la semaine dernière, par l’intermédiaire des opposants de Balad dans la presse en arabe.

Dans l’Israël d’aujourd’hui, la Sécurité générale (Shabak) a été proclamée autorité décisionnelle en matière de démocratie. Quand elle a déclaré que les citoyens arabes constituaient une « menace stratégique », cela n’a suscité aucune réaction. Même les porte-parole de la « gauche » comme Youli Tamir et Ran Cohen s’identifient totalement avec la ligne des services de la Sécurité générale. La campagne menée contre Bishara n’est pas seulement dirigée contre lui, ni seulement contre Balad. Elle est destinée à montrer à l’ensemble de la population arabe où sont les limites. Celui qui, dans cette situation, déclare que Bishara « a franchi la limite » (et cela s’est dit sans aucun lien avec cette investigation extraordinairement mystérieuse) se fixe à lui-même cette limite qui ira en se resserrant toujours plus, jusqu’à, peut-être, ne plus laisser le moindre espace. Ceux aussi qui critiquent telle ou telle position de Bishara doivent comprendre la nature du danger qui se dresse devant nous. Cette investigation a lieu précisément contre l’idée de réduire les différences, dans le but de faire échouer toute tentative du genre de celle qui s’est manifestée dans les documents de prise de position publiés récemment. C’est là bien sûr une activité hystérique, même dans les conceptions de la Sécurité générale, mais elle est parfaitement capable de conduire à de grands ravages, à un régime d’oppression et d’intimidation. C’est bien le but.

Dans ce contexte, le choix qui s’offre à nous, Juifs israéliens, s’établit entre approuver une situation où c’est la Sécurité générale qui gouverne ou bien l’ouverture d’un débat général sur le large défi politique posé par Bishara et les nombreuses personnalités palestiniennes impliquées dans la rédaction des divers documents (1). Il est parfaitement possible de comprendre pourquoi ces documents ont suscité une telle opposition chez de nombreux Israéliens, et il y a place pour une discussion approfondie sur leurs implications. Il est impératif que ce débat remplace l’actuelle campagne de harcèlement.

Il revient à tous ceux qui sont épris de démocratie de se dresser face à l’offensive de provocation à laquelle on peut s’attendre quand la Sécurité générale décidera de lever les diverses censures à la publication. Tous ceux qui croient dans les principes d’égalité nationale et citoyenne doivent comprendre que ce combat ne concerne pas seulement Bishara, mais nous tous.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

* Amnon Raz-Krakotzkin est professeur d’histoire juive à l’Université Ben Gourion. Les éditions La Fabrique viennent de publier son livre « Exil et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale », préfacé par Carlo Ginzburg.

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[1] La « Constitution démocratique », la « Vision future des Arabes palestiniens en Israël », le « Document en 10 points » du Centre Mossawa…

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