FREE PALESTINE
9 avril 2007

Ils tirent sur des enfants

Ils tirent sur des enfants 

Tamar Goldschmidt et Aya Kaniuk 

Mahsom, 30 mars 2007 

www.mahsom.com/article.php?id=5015

De nouveau, vendredi dernier, après la prière, des adolescents et des enfants sont descendus, les soldats attendaient déjà, et ça a commencé. Les enfants savaient que les soldats seraient là et les soldats savaient que les enfants viendraient. A la fin de la journée, il y avait plusieurs blessés – dont un grave – aux membres inférieurs. Pourquoi la jeep attendait-elle, avec ses soldats armés de fusils ? Car c’est ce que font des soldats : ils tirent sur des enfants. 

Cela fait des années qu’ils tirent sur les enfants du camp de réfugiés de Qalandiya. Pas les mêmes soldats, ni les mêmes enfants. Mais d’autres classes, d’autres corps d’armée, d’autres périodes de l’année. Se transmettent-ils les uns aux autres ces traditions du plaisir de la chasse ? Est-ce une obligation du service ? Est-ce une norme, une consigne ou un peu les deux… ? Parfois, les enfants lancent des pierres, et alors on tire. Et quand les enfants ne lancent pas de pierres, alors on attend qu’ils en lancent. Un jour, mais c’était il y a longtemps, nous avons vu que lorsque cela ne marchait pas, les soldats se mettaient à ramper sur la colline et à lancer eux-mêmes des pierres sur les enfants pour qu’enfin ceux-ci se mettent à lancer les pierres tant espérées. Et alors on pouvait, pour défendre « notre maison », leur tirer dessus, dans leur fuite. 

Dans les diverses occasions où nous nous sommes trouvées là, nous avons vu parfois les enfants sur la colline qui domine le checkpoint – à un endroit où quatre enfants ont déjà été tués au cours des dernières années – tandis que les jeeps étaient sur la route ; et parfois, les jeeps étaient sur la colline et les enfants sur la route. Nous avons écrit et filmé, nous écrirons et filmerons encore, et nous serons, à l’occasion, témoins de ce qu’il y a des blessés et parfois des tués, et peut-être aussi nous plaindrons-nous auprès de quelqu'un, auprès des forces d’occupation par exemple, et on nous dira : « Mouais. Vraiment, oy va voy, non non et non : on ne tire pas sur des enfants, c’est quoi ça ? », parce que nous sommes juifs, moraux, démocrates, blancs et que nous connaissons la Torah. Et tandis que tel porte-parole ou tel autre parlera, la jeep remplie de la fine fleur de la jeunesse juive sera en route, en quête de victimes. Logiquement, elle trouvera car il y aura toujours des jeunes gens pour lancer des pierres sur l’occupant revêtu de son gilet pare-balle. 

Nous espérions, ou nous voulions espérer, que cela arrivait moins souvent actuellement. Ce rituel permanent, qui dure depuis des années, où des adolescents et des enfants lancent des pierres – ou non – et où des soldats les visent, leur tirent dessus, et ils meurent. 

Et puis, Ahmed a téléphoné, disant que son fils de 15 ans, Mohamed, avait été atteint d’une balle à la jambe. C’est arrivé le quinze janvier, mais « ça ira », et il s’est mis à parler des autres. 

Difficile de décider par où commencer, que choisir. Partir de Mohamed, le fils d’Ahmed ? Ou de Taha, 16 ans, abattu quelques jours avant qu’on ne tire sur le fils d’Ahmed ? ([1]) Ou de chaque jour, presque, de ces dernières semaines et de ces dernières années ? Ou de ce jour que je n’oublierai jamais de ma vie, parce que cela s’est passé sous mes yeux, le vendredi 23 mars 2003 où des soldats du barrage de Qalandiya ont ouvert le feu sur Omar Matar, 14 ans, et l’ont assassiné d’une balle dans le cou. Un enfant qui lançait des pierres puis des soldats qui lui courent derrière puis qui tirent au but. Il avait été blessé, s’était retrouvé une semaine dans le coma, puis était mort. 

Les jours de fête se ressemblent, je pense. Et d’ici que mes mots parviennent ici ou là, il y a de fortes probabilités que cela se reproduise. Peut-être que cela se passe juste là, à cet instant et qu’un enfant, encore, est blessé ou tué. Ou peut-être pas. Jusqu’à la prochaine fois. 

Après que des soldats aient tiré sur Taha, 16 ans, un matin, alors qu’il revenait de la mosquée, près de sa maison, dans la région de Qalandiya dans la direction de Jérusalem, et qu’il ait perdu son sang durant deux heures à côté d’eux jusqu’à ce qu’il soit mort, on a demandé au porte-parole de l’armée israélienne – qui fait en réalité office d’agence de publicité pour l’occupation – comment il avait pu arriver qu’on tire sur un enfant ; comment il avait pu arriver qu’on le laisse perdre son sang jusqu’à la mort sans le faire évacuer ni lui porter secours ; et le porte-parole a alors répondu qu’on avait tiré sur lui parce qu’il tentait de couper la clôture. 

Il tentait de couper la clôture, alors on lui a tiré dessus. Voilà ce qu’ils disent. 

Quant à la question de savoir pourquoi on ne lui avait pas porté assistance alors qu’il perdait tout son sang, ils ont dit qu’il était de l’autre côté de la clôture, pas là où ils étaient, donc. 

La vérité est qu’il n’y a aucun doute que Taha n’essayait pas de couper la clôture. Il était seul. Il était jérusalémite et pouvait entrer en Israël autant qu’il voulait, par la grand-route. Il n’avait pas besoin d’entrer à la dérobée. La probabilité qu’il ait tenté de couper la clôture tend vers zéro. 

Mais ce qui est ahurissant, c’est qu’ils disent dans leur réponse – ce qui n’est pas vraiment surprenant, dans la mesure où c’est ce qu’on voit sur le terrain, mais qui n’est généralement pas déclaré ouvertement – qu’un enfant qui coupe la clôture mérite la mort. 

Et qu’un enfant qui a une hémorragie mortelle mais qui se trouve au-delà de la clôture, son sort est d’agoniser sans qu’il faille lui porter secours. 

Une institution qui délègue son porte-parole pour livrer pareille réponse, comme s’il y avait là une réponse, il n’y a pas à s’étonner de la voir instaurer une politique où de telles choses se produisent. 

Des enfants qui n’ont pas de nom, pas d’identité individuelle, pas d’humanité, sur lesquels il est permis, possible et recommandé de tirer comme au stand de tir. Et ces mêmes enfants, quand ils perdent leur sang à en mourir, on peut se dégager de toute responsabilité dans la réalité de leur mort décrétée, imminente, par le fait qu’ils sont de l’autre côté de la clôture. 

Voir un film (3’ 16’’) sur le site de « Mahsanmilim » : “a video-picture from Qalandiya of what happened there, Friday 16.2.2007” 

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys) 

[1] Gideon Lévy : « Etendu au pied de la clôture », Haaretz, 8 février 2007 [www.info-palestine.net/article.php3?id_article=800] 

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