FREE PALESTINE
25 janvier 2007

les femmes, le Hamas et les élections de janvier 2006

publié le lundi 22 janvier 2007

Une exacte compréhension de l’influence du Hamas auprès des Palestiniens, ainsi que des raisons de sa victoire, permettent d’expliquer la décision du Hamas de suspendre la mise en application d’un programme social islamiste.

Contrairement aux attentes locales et internationales, dix mois (automne 2006) après les élections législatives palestiniennes, le Hamas n’a quasiment rien fait pour mettre en place un programme islamiste concernant notamment les femmes.

Une exacte compréhension de l’influence du Hamas auprès des Palestiniens, ainsi que des raisons de sa victoire, permettent d’expliquer la décision du Hamas de suspendre la mise en application d’un programme social islamiste.

Depuis son arrivée au pouvoir le Hamas a été confronté à des luttes pour le pouvoir et la souveraineté à la fois sur le plan local et international. Contrairement aux prévisions, jusqu’à présent, le challenge fondamental pour le mouvement des femmes reste largement interne.

Le 26 janvier 2006, les résultats des secondes élections législatives en Palestine étaient annoncées à un public las qui les attendait avec une certaine appréhension. De fait, le suspense avait commencé la veille quand les premiers sondages dans tout le pays avaient suggéré que le Hamas allait remporter une victoire politique institutionnelle massive.

Les Palestiniens, confrontés depuis de longues années à une occupation israélienne perverse, un scandaleux mur de l’apartheid, une autorité palestinienne de plus en plus critiquée et une détérioration continue de la situation politique, étaient scotchés à leur télévision.

Certains d’entre eux étaient enthousiastes devant la victoire inattendue et soudaine du Hamas, tandis que d’autres qui s’attendaient à un échec recevaient un choc qui leur laissait un goût amer. Quels qu’aient été les émotions et les points de vue, ce 26 janvier, les Palestiniens ont senti qu’ils étaient en train d’entrer dans une nouvelle ère politique complexe.

Quelques heures après les résultats, la chaîne Al Jazeera retransmit un événement qui rassemblait les représentants politiques de toutes les actions palestiniennes, y compris le Hamas triomphant.

L’événement eut lieu en public au théâtre et à la cinémathèque Al Kasaba de Ramallah. L’une de mes amies, Tahreer Al Arraj était là. Très émue, elle se dirigea vers le micro et demanda aux représentants du Hamas s’ils prévoyaient de réduire les libertés privées des femmes et éventuellement de supprimer les quelques victoires obtenues ces dernières années par le mouvement des femmes palestiniennes.

De manière éloquente et calme, le représentant du Hamas répondit qu’ils n’allaient pas porter atteinte aux libertés privées et qu’ils allaient soutenir le pluralisme dans la société grâce au dialogue. C’était la première intervention publique du Hamas à propos de son programme social après les élections.

Cette prise de position fut suivie par d’autres aussi rassurantes,notamment de la part du ministre de la Culture, Attalah Abu El Sabah, et du ministre des Affaires féminines, Mariam Saleh.

Mais avant d’analyser le programme social du Hamas et ses conséquences pour les femmes, il est extrêmement important de replacer la victoire du Hamas dans le contexte de la réalité politique et sociale palestinienne. Une telle analyse nous permettra de ne pas sous-estimer ou surestimer la signification de la victoire politique du Hamas.

Nombre de sièges versus nombre de voix

Lors des dernières élections législatives, le Hamas [1] a obtenu 76 sièges sur les 132 du Conseil législatif. Si l’on y ajoute les quatre candidats indépendants ralliés au Hamas, le parti du Changement et de la réforme (Hamas) a obtenu un total de 80 sièges, soit presque le double des 43 sièges du Fatah.

Cependant une vision simpliste de ces résultats pourrait conduire à une surestimation du pouvoir du Hamas et ne pas refléter précisément l’opinion publique. Que ce soit dû à une meilleure campagne électorale ou à la nature du système électoral palestinien,sans surestimer le pouvoir et l’influence du Hamas dans la société palestinienne, celui-ci a gagné la majorité des sièges avec seulement une étroite majorité d’électeurs [2].

Le message des électeurs à l’Autorité palestinienne

En dépit de ces analyses, le Hamas a clairement resserré son emprise sur la société palestinienne. Le message clair envoyé par les électeurs palestiniens au Fatah est : “Assez ! Nous en avons assez !”. L’hégémonie conservée pendant 40 ans par le Fatah sur la prise de décision et sur les ressources financières, ses méthodes non démocratiques de gouverner,sa corruption financière dissimulée, ont fini par créer un fossé entre l’Autorité palestinienne et la population.

Depuis le début de l’intifada et en particulier après la mort de Yasser Arafat, le ciment qui maintenait une apparence unie au Fatah s’est fissuré, en même temps que les contradictions à l’intérieur du parti se montraient au grand jour.

De son côté, le Hamas s’est construit sur le cadre organisationnel mis en place en Cisjordanie et à Gaza par les mouvements de Frères musulmans depuis plusieurs années. La plateforme politique du Hamas a laissé intelligemment dans l’ombre tous les problèmes politiques sur lesquels les Accords d’Oslo et le Fatah ont reculé en ce qui concerne les droits nationaux des Palestiniens : le droit au retour des réfugiés,Jérusalem, l’unité de la totalité du peuple palestinien.

Depuis sa création,le Hamas a joué deux rôles différents : celui de la victime et celui du héros. Sans appartenir au système politique issu des Accords d’Oslo,le Hamas n’a pas eu à endosser de responsabilités sociales, économiques, administratives.

Les dernières élections législatives ont échangé les rôles des deux pôles politiques majeurs en Palestine, le Hamas et le Fatah. L’ironie de la situation est que chaque parti a joué un rôle qu’il n’avait jamais joué auparavant : le Fatah est maintenant dans l’opposition alors qu’il n’a aucune expérience en la matière, et le Hamas est devenu décisionnaire alors qu’il a toujours été dans l’opposition.

Malheureusement, en 2006, on peut toujours dire que, bien que les femmes palestiniennes aient réussi à créer plusieurs organisations - la plupart non gouvernementales -, des réseaux temporaires, elles n’ont toujours pas réussi à créer un mouvement des femmes puissant.

Pour plusieurs raisons. La principale est la fragmentation du mouvement qui semble être la résultante et le reflet des querelles intra-palestiniennes.

Jusqu’à présent, les mouvements de femmes paraissent plus tournés vers les programmes politiques de leurs partis que vers les besoins des femmes palestiniennes. Mais le problème le plus important est l’absence d’accord sur quelques questions-clés. Ce manque de consensus est dû en partie à la diversité des priorités des femmes.

Hiatus dans le mouvement des femmes

En Palestine, le hiatus entre les différentes priorités des femmes est immense et a été accru dans les dernières années par les incursions israéliennes, le mur et les restrictions de circulation. Jusqu’à présent,les femmes palestiniennes n’ont pas été d’accord sur la nécessité de mettre en avant la violence domestique dans leur programme.

A l’intérieur du mouvement, les leaders conservateurs ont insisté sur le danger qu’il y avait à exposer les imperfections internes à la société palestinienne. Les femmes qui voulaient apporter des conseils, de l’aide et une protection aux femmes victimes de violences n’ont pu le faire que de manière insuffisante.

Mais ce qui est le plus ennuyeux - en particulier pour les jeunes femmes qui travaillent comme moi - c’est la lassitude qui est devenue la marque du mouvement des femmes. Depuis mon adolescence et jusqu’à présent, le mouvement a été dominé par le même groupe de femmes. A quelques exceptions près, les organisations de femmes palestiniennes sont dirigées par les mêmes, et il semble que le changement de leaders ne soit pas à l’ordre du jour. En dépit des discours et de la rhétorique sur la nécessité d’avoir du sang neuf dans le mouvement, il n’est pas fait grand chose pour réaliser ce programme.

Le 26 janvier 2006, treize femmes - dont six femmes du Hamas- ont été élues grâce au nouveau système des quotas introduit en 2005, afin que les femmes constituent au moins 20% du Conseil législatif palestinien.

C’est un progrès par rapport aux neuf femmes élues en 1996 lors des élections du premier Conseil législatif.

Comme il a été souligné plus haut, la première réaction des femmes à ces résultats électoraux a été la peur. De manière surprenante, la plupart des prises de position publiques du Hamas furent rassurantes et modérées.

Les femmes, le Hamas et le Conseil législatif palestinien

Juste avant d’être nommée ministre des Affaires féminines, Mariam Saleh, interviewée par Louisa Morgantini affirmait : “Au Hamas, nous considérons que la femme palestinienne est l’élément le plus courageux et le plus fort de toute la société, dans la mesure où elle supporte les morts, les blessures, la prison, la vie loin des gens qu’elle aime, subit la cruauté de l’occupant et s’arrange pour rendre possibles toutes ces vies misérables.”

Elle a également déclaré que le mot d’ordre du Hamas est que “les femmes jouent un rôle actif contre l’occupation et pour la construction et le progrès de la société”. Saleh insiste sur l’importance de l’éducation et l’accroissement des capacités des femmes, suggérant la création d’un mouvement enraciné et organisé. Depuis qu’elle est ministre, Mariam Saleh a encouragé ses employées à porter le voile mais elle ne pouvait et ne voulait pas obliger les employées du ministère à se comporter selon sa conception du code vestimentaire islamique.

Le bureau central du ministère des Affaires féminines est situé à Ramallah, la plus cosmopolite et laïque des villes palestiniennes, où le soutien au Hamas est relativement faible. Il faut ajouter que malgré la nomination d’un ministre Hamas des Affaires féminines, le personnel reste majoritairement affilié ou au moins fidèle au Fatah. Ceci est l’un des nombreux dilemmes auxquels le Hamas doit se confronter.

Mais, les femmes laïques sont inquiètes sur les conséquences sociales de l’influence du Hamas dans la société, comme l’obligation du voile ou la législation sur la famille qui pourrait aller à l’encontre de leur programme et finir par faire advenir le projet social réel du Hamas concernant les femmes.

Cependant d’autres femmes sont plus réalistes dans leur perception du Hamas. Dans une interview récente, Islah Jad, professeur associé à l’Institut des Etudes sur les femmes de Bir Zeit,déclarait : “Ce n’est pas la stratégie des islamistes palestiniens d’imposer aux femmes un code social type. Ils ont trop de grosses difficultés politiques à résoudre...pour penser à mettre en oeuvre quelque chose qui pourrait leur apporter plus de problèmes que de soutiens”.

Le Hamas doit jouer un double rôle, en tant que gouvernant et en tant que parti politique. Une distinction cruciale doit être faite entre la prestation du Hamas au gouvernement et celle, depuis sa création, en tant que parti politique jouant un rôle social vital dans la société palestinienne.

Hamas, gouvernement et parti

Jusque là, le Hamas n’a pas assumé ses responsabilités gouvernementales à cause de l’absence de fonds, d’une certaine incohérence stratégique et d’une puissante pression internationale.

Mais il faut insister sur le fait que, depuis 1987, le Hamas a fourni des services de santé notamment pour les enfants, a créé des jardins d’enfants,utilisant pour cela ses propres ressources financières. C’est de ces services rendus à la communauté que le Hamas tire sa force principale.

Inévitablement, la difficulté du Hamas à assumer ses responsabilités gouvernementales affecte son image aux yeux des Palestiniens. Jusqu’à présent, le Hamas n’a pas réussi à tenir ses engagements électoraux. Il n’est même pas parvenu à assurer le paiement des salaires au personnel des services publics.

Dix mois après les secondes élections palestiniennes au Conseil législatif,le Hamas n’a pas réussi à mettre en place un programme islamiste en direction des femmes.

“Le Hamas va-t-il augmenter ou restreindre les droits des femmes ?” reste une question sans réponse. Cependant, en 1999, le Hamas avait admis pour la première fois que les femmes étaient opprimées en tant que femmes et qu’elles devaient lutter contre les discriminations et le sexisme.

Espérons que le pluralisme de la société palestinienne, l’existence du mouvement des femmes palestiniennes empêcheront le Hamas d’avoir une approche trop conservatrice de la place des femmes dans la société palestinienne.

Traduit de l’anglais par Régine Dhoquois-Cohen

Née en 1975, à Ramallah, Fatin Farhat a coordonné le festival du film à Ramallah, le réseau palestinien des centres artistiques et le festival international palestinien de musique et de danse. Elle a également été la directrice du Riwaq (Centre pour la sauvegarde de l’architecture).

Publié dans Confluences Méditerranée, N°59 Automne 2006

http://www.confluences-mediterranee.com/presentation/menu.htm

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[1] Le Hamas s’est présenté aux élections sous le nom de : “Changement et réforme”.

[2] Pour plus d’informations sur ce sujet http://en.wikipedia.org/wiki/palestinian_election

l'Association France Palestine Solidarité : http://www.france-palestine.org

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